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Channel: Dounyazad Culture
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Songe d’une Beauté Sauvage

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J’étais retiré dans ma caverne, mes ombres et mes esprits

quand soudain une lumière apparut dans mon songe

je voyais, alors, dans mes murs des ombres sensuelles

qui racontaient la vie d’une princesse au destin poignant

qui a eut tous les affres de la vie; abusé,  martyrisé, violenté, violé,

mais elle est sortie libéré avec courage de sa géhenne

 

Je voyais enfin sa silhouette s’illuminer sur mes murs

elle avait les cheveux abondants noirs comme l’Afrique sauvage

un regard enfoncé qui vous arrache l’âme

les lèvres pulpeuses qui veulent ingérer votre corps

la voie douce et farouche qui caresse

ma violence, ma solitude, mon désespoir.

 

Je restais possédé  devant cette beauté rebelle

émerveillé, passionné, éboulis, extasié,

de flammes, de jouissances, d’ivresses

noyé dans ses vapeurs, ses fleurs, ses parfums

ses soupirs, ses brumes, ses océans, ses peintures

ses étoiles, ses rivages, et ses désirs de mes désirs.

Omri  ya Omri

Jamouli



Mon rêve

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Je fais souvent ce rêve sublime qui me possède
d’un univers submergé d’une onde flamboyante
une foret verdoyante sans issues ni sentiers
des lacs calmes avec le chuchotis des rivières
des oiseaux qui gazouillent de l’aube au coucher
l’espoir, le désir et le contentement.

Je fais souvent ce rêve sublime qui me possède
d’une maison en bois millénaire
au bord d’un océan bleu sans fin
couché sur un sable doré, frais et doux à la fois
dans une île abandonnée sans cité humaine
qui regarde un ciel étendu sur une mer dans le bleu de l’horizon

Je fais souvent ce rêve sublime qui me possède
dans ma nature sauvage, dans ma maison de bois
Un portrait d’une femme au dessus de mon lit
le regard exquis qui fait naitre le désir
et des lèvres de passion qui me nourrissent
de romance, de tendresse, et de jouissance.

Omri
Jamouli

 


Te souviens-tu,

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Par Belabed Zahrat leqloub,

Le sommeil s’est envolé,
Dans cette nuit si tourmentée,
Ton visage me hante et me torture,
J’entend ta voix qui traverse les murs
Mes beaux rêves ont fui d mon esprit,
Et mon coeur palpite battant d’émoi,
Pour toi ô mon tendre amour,
La paix n’est plus de mes jours,
Jours longs ou bien courts,
Tu me manques toujours.
L’âme triste et torturée,
Se met en quête à te chercher,
Dans le ciel où sur terre,
On était si heureux hier,
Te souviens-tu, te souviens-tu.

@(BZ)


A ta recherche

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Un jour je me suis enfui de ma caverne primitive
Pour m’enfoncer dans des océans de folies.
Au milieu d’un déluge de vagues, de givres, et de gelée,
Je traînais les pieds en sang.

J’étais ce vagabond des cargos de misères,
qui convoitait des vaisseaux de mirage.
Pressé par le temps, j’incendiais ma durée
au milieu de cette nature intraitable.

Libre, et dépourvue de sentiments,
je m’enfonçais dans la sauvagerie.
Embarqué pour ces îles de corail,
je m’enlisais à la dérive au bord de l’exécration.

En radeaux sur ces fleuves enragés,
je partais à la recherche d’un regard perdu.
Je me suis jeté en forcené dans ces montagnes de sables
au milieu de furieux cyclones.

Je vivais le combat de la rage contre l’apathie.
Je ressentais l’invisible venin sous ma chaire.
Le précipice se creusait chaque nuit d’avantage.
Dans cette bourrasque, tout a été balayé.

Je marche sans répit,
d’un pas monotone, dans ce sable éternel,
sous un ciel boueux,
sans étoiles, sans soleils, et sans Dieux.

Sur mon chemin,
jonchent des serpents, des ténèbres, des cris, des siroccos, et des cadavres
à qui on a crevé les yeux pour ne pas voir la lumière
qui se cache dans la noirceur de l’obscurité.

Je ne cherche pas de sens, de cause,
ou de raison à ma direction.
Je suis le sens, la cause, et la raison de cette direction.
Je suis un destin en marche !
Je suis une poussière détaché de l’apesanteur !
Je suis un souffle qui survole le temps !
Je suis ton regard qui te recherche !

Jamouli


Eva de Vitray-Meyerovitch : une chercheuse d’absolu, amoureuse de l’islam

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Intellectuelle brillante, écrivain, traductrice, chercheur, responsable du département sciences humaines du CNRS après la Seconde Guerre mondiale, Éva de Vitray-Meyerovitch est entrée en islam vers 1950. Une quarantaine d’ouvrages témoignent de sa recherche ardente, parmi lesquels un trésor enfin révélé aux francophones : le Mathnawi , de Rûmî. Sa parfaite connaissance de la pensée de Muhammad Iqbal lui a permis de trouver sa voie dans un islam ouvert, de paix et d’amour, dont elle est devenue l’une des meilleures ambassadrices.

« Lorsque j’ai fait mes premiers pas vers l’islam, après la lecture du livre d’Iqbal, vous pensez bien que cela n’a pas été facile. J’avais été élevée dans la religion catholique par une grand-mère d’origine anglicane. J’avais un mari juif. J’avais le sentiment de faire quelque chose de fou et j’étais parfois d’autant plus désemparée que je n’avais personne pour me guider… »

Dans son livre intitulé Islam, l’autre visage, Éva de Vitray-Meyerovitch confie à Rachel et Jean-Pierre Cartier qui l’interrogent, l’influence qu’a exercée sur elle sa grand-mère anglicane, convertie par amour du catholicisme. Sa grand-mère, leur dit-elle, « était d’une honnêteté foncière… L’idée était de ne jamais tricher ».

Élevée dans une institution de sœurs, elle ressent très vite le poids des mensonges ou des raccourcis trompeurs. Plus tard, devenue docteure en philosophie, proche de Louis Massignon, son inlassable quête de vérité lui fait rencontrer et traduire la pensée de Muhammad Iqbal, philosophe indien intéressé par la rencontre Orient-Occident.

Ce sont des influences qui comptent, elle fait le choix d’entrer en islam en 1950. Elle explique pourquoi : « L’islam oblige à reconnaître toutes les communautés spirituelles, tous les prophètes antérieurs. L’islam est le dénominateur commun à toutes les religions. On ne se convertit pas à l’islam. On embrasse une religion qui contient toutes les autres. »

Sans doute était-il plus facile de vivre cette expérience peu commune alors, au sein du cénacle des chercheurs. Elle s’entoure de quêteurs de vérité, comme elle : Amadou Hampâte Bâ, Najm Ed-Din Bammate… Ses missions au Caire, où elle a enseigné à Al-Azhar, au Maroc, en Turquie, au Koweït… sont autant de riches expériences du monde arabo-musulman.

Largeur de vue, courage, simplicité, goût du travail bien fait, intelligence généreuse… lui ont permis de dépasser les préjugés et d’ouvrir bien des portes. Elle est bien sûr imprégnée de l’enseignement de Rûmî, dont elle entreprend la traduction dans les années 1970 avec Djamchid Mortazavi. « Une somme spirituelle, une comédie humaine et divine, l’apogée de la mystique musulmane », écrit-elle dans son introduction.

En 1990, après quinze années de travail, le public francophone a pu enfin avoir accès à cette œuvre majeure de l’islam, le Mathnawi, exégèse du Coran, authentique enseignement composé de 50 000 vers, invite à la fois ludique et savante à la perplexité, à la réflexion, à la remise en cause de ses comportements. Œuvre presque indispensable aux « cheminants ».

Décédée en 1999, Éva de Vitray-Meyerovitch laisse derrière elle une trace lumineuse de compréhension de l’Orient musulman et une voie d’accès au bel islam. Son œuvre permet aujourd’hui à de nombreux Occidentaux d’en comprendre la portée et l’importance pour l’humanité, bien au-delà des discours stéréotypés des médias.

* Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu, journalistes et écrivains, ont publié les écrits d’Isabelle Eberhardt à l’occasion de son centenaire. Ils sont co-auteurs, notamment, de Le Voyage soufi d’Isabelle Eberhardt , Éd. Gallimard – Joëlle Losfeld, 2008.

Eva de Vitray-Meyerovitch : une chercheuse d’absolu, amoureuse de l’islam

RÊVE

Lors d’un rêve, alors qu’elle demandait à Allah un signe pour mieux s’orienter spirituellement, elle eut la vision d’une pierre tombale de femme, proche de celle de Rûmî, enterré à Konya, en Turquie, où il a vécu et enseigné, avec son nom musulman, Awa, inscrit dessus.
Depuis 2008, son corps repose à Konya, près de la tombe de Rûmî, avec son nom musulman, Awa, gravé sur la pierre.

BIBLIO EXPRESS

Éva de Vitray-Meyerovitch, Islam, l’autre visage, entretiens avec Rachel et Jean-Pierre Cartier, Éd. Albin Michel, 1995.
Éva de Vitray-Meyerovitch, La Prière en islam, Éd. Albin Michel, 2003.
Djalâl od-din Rûmî, Mathnawi, La Quête de l’Absolu, trad. d’Éva de Vitray-Meyerovitch, Éd. du Rocher, 1990.

LES AMIS D’ÉVA
L’Association Les amis d’Éva de Vitray-Meyerovitch organise, dimanche 19 décembre, un hommage à cette femme injustement méconnue.
Pour tous renseignements ou adhérer à l’association : eva.de.vitray@gmail.com.
Programme complet de la journée, consulter le site des Amis d’Éva de Vitray-Meyerovitch

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La Casbah d’Alger

Il n’est plus question de démocratie : faites place à la « post-démocratie » !

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« La démocratie n’y est plus vue comme un ordre politique à construire en commun, entre les différents groupes ou classes constitutifs de la communauté politique, mais comme une réalité déjà édifiée qui doit être donnée et distribuée par l’État. On ne songe plus à bâtir un État démocratique. On demande à un État posé comme par essence toujours démocratique de distribuer des droits ou de la reconnaissance juridique. De co-constructeurs de la démocratie, les individus des sociétés démocratiques en deviennent les créanciers »,  Alain Caillé.

« Post-démocratie » est un essai publié en 2000 par Colin Crouch (éditions Diaphanes). Né en 1944, politologue et sociologue britannique, il débute à la London School of Economics en 1969, en qualité de lecteur. Enseignant successivement à l’Université de Bath et d’Oxford, il tient de 1995 à 2004 la chaire de Science Politique à l’Institut universitaire européen de Florence et y enseigne la sociologie. Jusqu’à 2011, il est professeur de Management public au sein de l’University of Warwick Business School.

Quel sens donner à l’utilisation du préfixe « post » accolé ici à celui de démocratie ? C’est l’idée de mouvement, de changement à l’intérieur même d’un concept : il en garde le nom, mais ses changements sont si importants qu’il convient de lui ajouter un préfixe « post ». C’est l’après paradigme, vers une forme de dépassement. Dépassement qui ne demeure pas total puisque le paradigme a laissé de considérables marques. C’est pourquoi sa présence est essentielle.

Appliqué au concept de post-démocratie, c’est l’image que cette dernière a dépassé « l’idée d’un gouvernement par le peuple, et remis en cause l’idée même de gouvernement ». Un dépassement perceptible selon l’auteur dans l’évolution de l’équilibre de la citoyenneté : « Effondrement de la déférence envers les gouvernements (…), la revendication d’une transparence publique totale et la réduction de la fonction des hommes politiques ». Ainsi, la « classe politique » forme ses propres réponses face au dépassement à l’œuvre et de leur fonction. Pour ce faire, elle recours essentiellement aux techniques « courantes de la manipulation politique contemporaine », qualifié aussi de show business et de marketing commercial. La période « post » est donc une période très complexe où les réalités formelles du « pré-dépassement » restent présentes.

L’influence croissante des lobbies économiques sur la question politique, débouchant sur une modification des agendas des gouvernements en matière économique, la privatisation exponentielle des services publics ou encore la séparation considérable entre la base citoyenne militante et les partis politiques engendrent de graves conséquences sur la réalité des droits des citoyens. Car la post-démocratie, c’est aussi une remise en cause de la citoyenneté. La citoyenneté active (la participation à la direction de la vie de la cité) laisse place à une citoyenneté « passive » où l’édiction de normes permet la protection de l’individu contre l’autre – autrui – mais surtout contre l’État.

C’est la fragmentation de la population qui est en jeu

Post-démocratie, par Colin Crouch aux éditions Diaphanes.

Post-démocratie, par Colin Crouch aux éditions Diaphanes.

Quelle place pour le citoyen au cœur de cette « phase » démocratique ? La nuance peut être apportée ici car la « post-démocratie » n’est pas un moment où le citoyen n’existe plus, où il n’est plus pris en compte ni écouté : jamais les sondages et la communication politique n’ont connu pareille importance. La post-démocratie se soucie de l’avis des individus, c’est ce qui lui reste du moment « démocratique ». Quelle articulation entre citoyenneté passive et intérêt pour l’individu ? Force est de constater la multiplication de réseaux, d’associations poursuivant collectivement des objectifs qui leurs sont propres. Est-ce pour autant une représentation, une marque de la bonne santé de la démocratie ? Colin Crouch répond par la négative : pour l’auteur, ces « regroupements » sont les témoins d’une « société libérale forte », mais pas d’une « démocratie forte ». Leur poids n’est que trop faible au regard de l’influence que peuvent avoir les lobbies d’intérêts économiques auprès des gouvernements et – surtout – auprès de l’agenda politique.

La conduite de l’idéal démocratique tend vers une démocratie maximale, celle qui se perd au cœur de la post-démocratie. L’auteur démontre rigoureusement, à travers six chapitres concis et précis, par quels mécanismes et par quelles caractéristiques les démocraties modernes sont entrées dans une phase « post-démocratique ».

Les médias, un rôle essentiellement « publicitaire »

La post-démocratie représente la courbe descendante de la parabole démocratique évoquée. La courbe ascendante se situe entre 1945 et 1980, celle de l’ère des États providence : consommation de masse, croissance de la production, soutien de l’État, politisation et revendication des masses… À partir des années 1990, on assiste à l’avènement de la « courbe libérale de la démocratie » mêlant conservation des institutions et dégradation de la citoyenneté (c’est à dire de la capacité des citoyens à changer les instances politiques). Ces deux vecteurs étant accompagnés par les médias qui jouent, selon l’auteur, un rôle essentiellement « publicitaire » livrant une mise en scène constante de la vie politique, des hommes politiques et de la politique. Cette évolution est constante car elle est véhiculée par « l’inévitable entropie de la démocratie ». L’élection n’échappe pas à cette dernière : le changement électoral est visible au sein d’un débat public érigé en spectacle – sous contrôle – face à des citoyens devenus apathiques et passifs.

La politique ne semble se jouer qu’au regard d’interactions entre acteurs : le gouvernement élu, les lobbies et les élites économiques.

Le « moment démocratique » décrit, c’est celui où les sociétés tendent vers une « démocratie maximale » à la suite de l’instauration de la démocratie ou suite à de « graves crises de régime ». Le phénomène donne lieu à un certain enthousiasme, à une redéfinition collective de la vie en société et à une mise à l’écart « de groupes puissants non-démocratiques ». Aussi, c’est une période dans laquelle les sociétés ne connaissent pas – encore – l’art de la manipulation. Crouch envisage même la possibilité d’une incarnation autoritaire des mouvements de masse.

Cette phase se décline dans le temps. L’engagement politique élevé des années 1940-1950 faiblit, les élites sont de plus en plus présentes et apprennent à manipuler les citoyens. Les problèmes politiques deviennent complexes – emportant une technicisation des questions qui limite la participation de tous – et les électeurs désertent les bureaux de vote.

Les premières crises des années 1970 ainsi que la dérégulation financière des années 1980 vont accélérer le processus : la consommation de masse s’essouffle face à la prééminence des marchés. Le capital s’impose face au travail, les régimes de protection sociale s’effritent et l’influence des syndicats chute.

Les multinationales, en relation constante avec les élites politiques

Les raisons de la crise démocratique sont explicitées successivement avec une logique implacable par l’auteur qui nous amène à le suivre sans sourciller. Il développe dans un premier temps l’influence du modèle de l’entreprise multinationale qu’il qualifie d’institution clef de la post-démocratie. Cette même entreprise qui ne cesse de se diluer, de sous-traiter en masse pour se débarrasser de ses tâches manuelles, pour ne plus se concentrer que sur l’aspect « communicationnel » et – surtout – pour ne plus rendre visible les responsables de ces grandes multinationales. Elle développe un « nouveau paradigme » : c’est l’entreprise fantôme qui se concrétise à partir des années 1980. Les entreprises deviennent des « modèles institutionnels » pour devenir des « concentrations de pouvoir », à côté des élites politiques avec lesquelles elles sont en relation constante.

L’autre versant porte sur les classes sociales et sur les citoyens. Colin Crouch démontre comment l’affaiblissement de l’importance politique des travailleurs a joué sur la crise de la démocratie. Au delà de cet affaiblissement, on retrouve l’idée d’une absence d’organisation des autres classes sociales, notamment celles qui se sont développées au cours des années 1970 avec l’essor des emplois du secteur tertiaire. La crise des bases citoyennes des partis – évoquée avec le problème du réformisme contemporain – amène l’universitaire à évoquer la nouvelle forme du « parti politique » au sein du moment post-démocratique. Ces derniers ont repris le modèle de l’entreprise au cœur d’une reproduction perpétuelle des élites politiques et de l’établissement assumé de relations avec les grandes multinationales par le biais notamment de contrats divers (sondages, analyses, conseils…) et d’évaluations. Ces nouveaux partis sont pourtant plus nuancés que cela : aux traits post-démocratiques évoqués (réelle attention aux sondages d’opinion visant les électeurs) se rajoutent des traits « pré-démocratiques », consacrés par les relations étroites des partis avec les milieux économiques et patronaux. Cette congruence entre milieux économiques/patronaux et milieux politiques se traduit par une privatisation accrue des services publics mais aussi – de facto – de la citoyenneté.

La démocratie, « une coquille vide »

C’est aussi une réduction des droits des citoyens puisque l’opacité de la structure publique désormais privatisée (sous-traitée ou concédée a minima) empêche le citoyen d’exercer un contrôle direct. Ainsi, l’État, par perte de confiance due aux idéologies libérales et économiques – qui tendent à convaincre que l’État est bien moins compétent que les marchés – a tendance à se délester de ses activités principales de gestion de l’intérêt général et de l’égalité d’accès pour « se consacrer à son image ». Telle une entreprise privée. L’absence réelle de contrôle des citoyens renforce l’idée selon laquelle la véritable relation entre ces derniers et l’État reste concentrée sur le jeu électoral.

L’apport de cet essai est indéniable tant il démêle avec précision toutes les caractéristiques qui font la post-démocratie. Du néologisme aux classes sociales, en passant par les entreprises multinationales et les partis politiques, sa démonstration est pertinente et d’actualité. L’auteur ne sombre pas dans un fatalisme certain, celui qui empêche de croire à tous changements. Si « la démocratie est de plus en plus une coquille vide », Colin Crouch nous montre qu’il est de notre devoir de « retrouver des marges d’action ».

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Rencontre autour de Frantz Fanon

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Compte rendu de la Rencontre-Débat autour de Frantz Fanon organisée le Samedi 04 juin 2016, au Musée National du Bardo d’Alger.

« Par-delà l’antillais, nous visons tout homme colonisé », écrivait Fanon dans Peaux noires, masques blancs. Aussi, là où on lit « noir » et « antillais », on peut tout aussi bien lire « colonisé », et donc algérien, indien, etc. Voilà ce qui fait l’importance de l’œuvre de Fanon, son universalité, et sa brûlante actualité dans le contexte de reconquête néocoloniale que nous vivons aujourd’hui, notamment avec sa dimension culturelle.

Ainsi Fanon nous explique que contrairement aux assertions de Mannoni, « c’est le raciste qui crée l’infériorisé ». « Le colonisé se demande s’il est un homme par ce qu’on lui a contesté cette réalité d’âme. Il souffre de ne pas être un blanc dans la mesure où l’homme blanc lui impose une discrimination, fait de lui un colonisé, lui extorque toute valeur, toute originalité, lui dit qu’il parasite le monde. »

Ainsi, le racisme est né de « l’exploitation éhontée d’un groupe d’hommes par un autre parvenu à un stade de développement technique supérieur. » Le racisme est la tentative de PERPÉTUATION de cette supériorité technique née d’un développement historique, en déplaçant cette supériorité matérielle, et donc éphémère et contingente, en une supériorité MORALE, ESSENTIELLE, et donc FIXE et ÉTERNELLE. Autrement dit : ce n’est plus le moteur à vapeur qui a permis la supériorité technique occidentale, mais la supériorité raciale du blanc qui a permis le moteur à vapeur ; celui-ci n’est que le fruit de cette supériorité raciale. C’est de sa NATURE que le blanc tire sa supériorité, la technique n’est que la conséquence de cette supériorité, et non plus la cause. Inversion cause-effet propre à toutes les mystifications.

Raison pour laquelle « la véritable désaliénation du noir implique une prise de conscience abrupte des réalités économiques et sociales. S’il y a complexe d’infériorité, c’est à la suite d’un double processus :

Economique d’abord ;

Par intériorisation ou mieux épidermisation de cette infériorité, ensuite. »

Car avant de parvenir à cette prise de conscience, l’infériorisé va tenter une « lactification hallucinatoire », il va tenter de poser sur sa peau noire un masque blanc, et pour ce faire, nous explique Fanon : « Le noir antillais sera d’autant plus blanc, c’est à dire se rapprochera d’autant plus du véritable homme qu’il aura fait sienne la langue française. »

La langue de l’occupant sera pour lui l’échelle qui lui permettra de se hisser dans la hiérarchie raciale et culturelle établie par ce même occupant. Ainsi, constate Fanon : « Les noirs qui reviennent prêt des leurs (après un séjour en France) donnent l’impression d’avoir achevé un cycle, de s’être ajoutés quelque chose qui leur manquait. » Et à son retour, nous raconte Fanon, le « débarqué » ne connaît plus le patois qu’il a appris à mépriser déjà aux Antilles, à l’école coloniale, il « parle de l’Opéra », mais surtout « il adopte une attitude critique envers les siens ». C’est-à-dire qu’il ne perd pas l’occasion de leur reprocher d’être à la traîne de la civilisation blanche à laquelle son séjour l’a officiellement arrimé.

Or, cette vision réductrice n’est pas propre au « débarqué », elle est partagée par les autochtones. C’est que ces derniers possèdent d’eux-mêmes l’imago similaire qu’a l’européen du nègre. Et cette imago, c’est-à-dire cette représentation inconsciente, est chez l’européen celle du nègre responsable de tous les conflits qui peuvent naître.

C’est que, nous explique Fanon, « tout individu doit rejeter ses instances inférieures, ses pulsions, sur le compte d’un mauvais génie qui sera celui de la culture à laquelle il appartient. Cette culpabilité collective est supportée par ce qu’il est convenu d’appeler le bouc-émissaire. Or, le bouc-émissaire pour la société blanche – basée sur les mythes : progrès, civilisation, libéralisme, éducation, lumière, finesse- sera précisément la force qui s’oppose à l’expansion, à la victoire de ces mythes. Cette force brutale, oppositionnelle, c’est le nègre qui la fournit. »

Là où le bât blesse encore plus, c’est que « dans la société antillaise, où les mythes sont les mêmes que ceux de la société dijonnaise ou niçoise, le jeune noir, s’identifiant aux civilisateurs, fera du nègre le bouc-émissaire de sa vie morale. »

Car, affirme Fanon, « L’inconscient collectif, sans qu’il soit besoin de recourir aux gènes, est tout simplement l’ensemble des préjugés, des mythes, d’attitudes collectives d’un groupe déterminé. » « L’inconscient collectif est culturel, c’est-à-dire acquis. »
Comment se fait-il que les antillais acquièrent un inconscient collectif où le noir est similairement le bouc émissaire de toute bassesse humaine ? C’est que les antillais sont, en situation coloniale, bombardés – c’est le cas de le dire – par « une constellation de données, une série de propositions qui, lentement, sournoisement, à la faveur des écrits, des journaux, de l’éducation, des livres scolaires, des affiches, du cinéma, de la radio pénètrent un individu – en constituant la vision du monde de la collectivité à laquelle il appartient. Aux Antilles, cette vision du monde est blanche par ce qu’aucune expression noire n’existe. »

Fanon nous donne un exemple frappant à la réflexion – alors qu’il paraît anodin et presque dérisoire de prime abord – de cette « imposition culturelle irréfléchie » : La bande dessinée. « Les histoires de Tarzan, d’explorateurs de 12 ans, de Mickey et tous les journaux illustrés tendent à un véritable défoulement d’agressivité collective. Ce sont des journaux écrits par des blancs destinés à de petits blancs. Or le drame se situe ici, aux Antilles, ET NOUS AVONS TOUT LIEU DE PENSER QUE LA SITUATION EST ANALOGUE DANS LES AUTRES COLONIES, ce sont ces mêmes illustrés qui sont dévorés par les indigènes et le loup, le diable, le mauvais génie, le mal, le sauvage sont toujours représentés par un nègre ou un indien, ET COMME IL Y A TOUJOURS IDENTIFICATION AVEC LE VAINQUEUR, le petit nègre se fait explorateur, aventurier, missionnaire « qui risque d’être mangé par les méchants nègres » aussi facilement que le petit blanc. On nous dira que cela n’est pas très important ; mais c’est qu’on n’aura point réfléchi sur le rôle de ces illustrés. »

En conclusion : « Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un antillais, soumis à la méthode du rêve éveillé revive les mêmes fantasmes qu’un européen. C’EST QUE L’ANTILLAIS A LE MÊME INCONSCIENT COLLECTIF QUE L’EUROPEEN. »

Voilà qui rend caduque l’argumentaire éculé des aliénés qui, croyant avoir décrété – alors qu’on a en vérité décrété pour eux, qui ne font que sécréter – que l’algérien est sale, voleur, menteur, etc., se ruent sur chaque turpitude, chaque mégot de cigarette par terre, pour claironner : « Voyez ! Il faut bien admettre que nous décrivons un fait objectif. » C’est que lorsqu’on a décidé d’avance de l’infériorité congénitale, essentielle, d’un peuple, on est porté à ériger chaque erreur, turpitude ou bassesse des membres de ce peuple en preuve irréfragable d’une particularité raciale, à en induire une ESSENCE, comme l’explique Fanon dans cet exemple édifiant : « Récemment, un camarade nous disait que, sans être antisémite, il était obligé de constater que la plupart des juifs qu’il avait connu pendant la guerre s’étaient comportés en salauds. Nous avons vainement essayé de lui faire admettre qu’il y avait dans cette conclusion la conséquence d’une volonté déterminée de détecter l’essence du juif partout où elle pouvait se trouver. » L’essence décrétée, tout fait contingent qui tendrait à la « prouver » est fixé en trait éternel inhérent à cette essence immuable.

Voilà qui dévoile le ressort psychologique qui joue dans la tête de certains « intellectuels » portés à bout de bras par les médias aux ordres du Capital. Un exemple vivant de son époque est pris par Fanon : « Un nègre comme René Maran, ayant vécu en France, respiré, ingéré les mythes et préjugés de l’Europe raciste, assimilé l’inconscient collectif de cette Europe, ne pourra, s’il se dédouble, que constater sa haine du nègre. »

Il n’est plus nécessaire de vivre en Europe aujourd’hui pour ingérer ces mythes et préjugés ; la mondialisation du discours médiatique dominant se charge de s’inviter partout dans le monde pour les inoculer en masse. Comme disait Debord, on ne sent nulle part chez soi, car « le spectacle est partout ».
Il ne faut donc pas s’étonner de voir ânonner le discours néocolonial par ceux-là même qui devraient se sentir visés en premier. C’est que pour ces indigènes de service, le ressort psychologique est pareil que celui qu’explique Fanon dans cette phrase limpide : « C’est en tant qu’il (l’antillais) conçoit la culture européenne comme moyen de se déprendre de sa race, qu’il se pose comme aliéné. » De se déprendre de sa race ou, comme disait un de nos intellectuels sérieux, « de s’extraire de l’indigénat ».

Comment sortir de cette situation maladive. Fanon cite Baruk : « La délivrance des complexes de haine ne sera obtenue que si l’humanité sait renoncer au complexe du bouc émissaire », c’est-à-dire le déchargement de ses turpitudes sur un frère en humanité qu’on postule comme un « autre » inférieur et transformé en tout-à-l’égout des tares dont on lave son Moi civilisé.

Ainsi, développe Fanon : « Si le sujet se trouve à ce point submergé par le désir d’être blanc, c’est qu’il vit dans une société qui rend possible son complexe d’infériorité […], dans une société qui affirme la supériorité d’une race […], ce qui apparait alors, c’est la nécessité d’une action couplée sur l’individu et sur le groupe. »

Sur l’individu, il s’agit donc d’extraire le refoulé, de « conscienciser son inconscient, pour ne plus tenter une lactification hallucinatoire, mais bien agir dans le sens d’un changement des structures sociales. »

En définitive, et c’est ce qui m’a semblé être la clé de voute de ce livre brûlant d’actualité : «Le destin du névrosé demeure entre ses mains. »

Nous avons abordé ensuite conjointement – car pressés par le temps – l’An V de la Révolution algérienne et les Damnés de la terre. Nous avons cité de prime abord ces passages magnifiques qui nous ont fait évoquer la propagande sioniste pour décrédibiliser la résistance palestinienne, tout comme la propagande coloniale française faisait – et fait encore aujourd’hui – avec la résistance algérienne :

« Ses adversaires aiment affirmer que la révolution algérienne est composée de sanguinaires.»

« Dans une guerre de libération, le peuple colonisé doit gagner, mais il doit le faire proprement sans « barbarie » ; […] Le peuple sous-développé est obligé, s’il ne veut pas être moralement condamné par les « nations occidentales », de pratiquer le fair-play, tandis que son adversaire s’aventure, la conscience en paix, dans la découverte illimitée de nouveaux moyens de terreur. Le peuple sous-développé doit à la fois prouver, par la puissance de son combat, son aptitude à se constituer comme nation, et par la pureté de chacun de ses gestes, qu’il est, jusque dans les moindres détails, le peuple le plus transparent, le plus maitre de soi. Mais tout cela est bien difficile. »

Mais aussi : « Tous les discours sur l’égalité de la personne humaine entassés les uns sur les autres ne masquent pas cette banalité qui veut que les sept français tués ou blessés au col de Sakamody, soulèvent l’indignation des consciences civilisées tandis que « comptent pour du beurre » la mise à sac des douars Guergour de la dechra Djerah, le massacre des populations qui avaient précisément motivés l’embuscade. »

Puis nous avons évoqué les passages des damnés de la terre, en rapport avec peau noire et masque blanc, afin de montrer que la stratégie de dépersonnalisation coloniale est la même partout où elle s’exerce. Ainsi, nous rappelle Fanon : « Le colon fait du colonisé une sorte de quintessence du mal. »

« L’indigène est déclaré imperméable à l’éthique, absence de valeurs, mais aussi négation des valeurs. Il est, osons l’avouer, l’ennemi des valeurs. En ce sens, il est le mal absolu. Elément corrosif, détruisant tout ce qu’il approche, élément déformant, défigurant tout ce qui a attrait à l’esthétique ou à la morale, dépositaire de la force maléfique, instrument inconscient et irrécupérable de force aveugle. »

Mais encore : « Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion au mouvement de reptation du jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, au pullulement, au grouillement, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire (…), cette démographie galopante, ces masses hystériques, ces visages d’où toute humanité a fui, ces corps obèses qui ne ressemblent plus à rien, cette cohorte sans tête ni queue, ces enfants qui ont l’air de n’appartenir à personne, cette paresse étalée sous le soleil, ce rythme végétal, tout cela fait partie du langage colonial. »

Pour un exemple de ce langage zoologique, voir Camus dans « Misères de la Kabylie », sur lequel on s’extasie comme un grand exemple de compassion, là où il n’y a que condescendance de « civilisé » envers ce « pullulement » rencontré « nulle part en Europe ».

Cette condescendance s’explique d’ailleurs ainsi : « Quand on réfléchit aux efforts qui ont été déployés pour réaliser l’aliénation culturelle si caractéristique de l’époque coloniale, on comprend que rien n’a été fait au hasard et que le résultat global recherché par la domination coloniale était bien de convaincre les indigènes que le colonialisme devait les arracher à la nuit. Le résultat, consciemment poursuivit par le colonialisme, était d’enfoncer dans la tête des indigènes que le départ du colon signifierait pour eux retour à la barbarie, encanaillement, animalisation. Sur le plan de l’inconscient, le colonialisme ne cherchait donc pas à être perçu par l’indigène comme une mère douce et bienveillante qui protège l’enfant d’un environnement hostile mais bien sous la forme d’une mère qui, sans cesse, empêche un enfant fondamentalement pervers de réussir son suicide, de donner libre court à ses instincts maléfiques. La mère coloniale défend l’enfant contre lui-même, contre son Moi, contre sa physiologie, sa biologie, son malheur ontologique. »

Ainsi, lorsque le colonisateur ouvre les yeux sur la « misère » du colonisé, c’est pour exhorter les siens à « venir en aide » à ces masses grouillantes avant qu’elles ne deviennent nocives pour elles-mêmes et – surtout – pour les « autres » : le système colonial déjà dangereusement menacés par le mouvement nationaliste qui commence à pénétrer ces masses « grouillantes ».

Cette pénétration de la conscience nationale et politique ne se d’ailleurs pas sans peine, car « le militant a quelques fois l’impression HARASSANTE qui lui faut ramener tout son peuple, le remonter du puits, de la grotte. Le militant s’aperçoit très souvent qu’il lui faut non seulement faire la chasse aux forces ennemies mais aussi aux noyaux de désespoir cristallisés dans le corps du colonisé. »

Cela nous rappelle les conversations dans les cafés, ou au quartier, durant lesquelles fusent souvent les vieilles antiennes défaitistes : « C’est foutu » ; « ce pays est trop profondément gangréné » ; « les générations futures s’annoncent pires que celle-ci, qui n’a déjà rien de brillant », etc. Harassant est bien le mot, et arracher les « noyaux de désespoir cristallisés dans le corps colonisé » intellectuellement devient une tâche des plus urgentes. D’où l’importance de promouvoir l’œuvre de Fanon, qui nous raconte entre autres les élucubrations de Porot, le chef de l’école de psychiatrie d’Alger (durant l’époque coloniale) :

« L’algérien est un gros débile mental », résume ironiquement Fanon, qui explique : « Il faut, si l’on veut bien comprendre cette donnée, rappeler la séméiologie établie par l’école d’Alger. L’indigène, y est-il dit, présente les caractéristiques suivantes :

Pas ou presque pas d’émotivité ;

Crédule et suggestible à l’extrême ;

Entêtement tenace ;

Puérilisme mental, moins l’esprit curieux de l’enfant occidental. »

Voilà le délire de Porot en 1920, auquel, en 1932, il apporte une nuance : « Le kabyle est intelligent, instruit, travailleur, économe et, de ce fait, échappe à la débilité mentale, tare foncière de l’Algérien. » Sans doute l’apparition du mouvement nationaliste algérien (l’Emir Khaled en tête) a posé la nécessité de créer des lignes de clivage ethniques pour contrer le nationalisme fédérateur.

Mais Porot n’a pas le monopole du délire organiciste, puisque, selon Carothers, dans une étude patronnée par l’OMS : « La ressemblance entre le malade européen lobotomisé et le primitif africain est très souvent complète. » Ou encore : « L’Africain, avec un manque total d’aptitude à la synthèse, ne doit, par conséquent, utiliser que très peu ses lobes frontaux, et toutes les particularités de la psychiatrie africaine peuvent être rapportées à cette paresse frontale. »

Pas étonnant qu’un sous-préfet dise à Fanon : « À ces êtres naturels, qui obéissent aveuglément aux lois de leurs nature, il faut opposer des cadres strictes et implacables. Il faut domestique la nature et non la convaincre. » Et Fanon de commenter : « Discipliner, dresser, mâter, et aujourd’hui pacifier sont les vocables qui sont le plus utilisés dans les territoires occupés. » Cela nous rappelle le lieu commun qu’on se répète à qui mieux mieux : « L’arabe ne comprend que les coups de bâton. » (L’3arbi yefhem ghir bel qezzoul!)

Toutefois, après l’ignominie du nazisme, qui a appliqué à l’Europe sa propre logique, l’idéologie coloniale a dû se farder un peu, et désormais, nous dit Fanon : « L’objet du racisme n’est plus l’homme particulier mais une certaine forme d’exister. » D’où l’impérialisme culturel comme masque derrière lequel se cache les prétentions néocoloniales.

Et d’où la nécessité d’une résistance culturelle, qui réhabilite et réaffirme les valeurs qui ont fondé la nation indépendante. Fanon nous dit d’ailleurs : « Il nous semble que les lendemains de la culture, la richesse d’une culture nationale sont fonction également des valeurs qui ont hanté le combat libérateur. »

Il ne s’agit donc pas de s’étaler en pamphlets vengeurs ou en litanies pleurnichardes, car, nous dit Fanon, « les dénonciations acérées, les misères étalées, la passion exprimée sont, en effet, assimilées par l’occupant à une opération cathartique. »

Il ne s’agit plus de tomber dans le repli sur soi, revanchard et réducteur, mais de libérer l’homme. Tous les hommes. Ainsi, « la culture spasmée et rigide de l’occupant, libérée s’ouvre enfin à la culture du peuple devenu réellement frère. Les deux cultures peuvent s’affronter, s’enrichir. » Autrement dit : La guerre de libération LIBERE à la fois le colonisé et le colonisateur, et si c’est le colonisé qui l’entreprend, c’est parce qu’il ressent plus durement son aliénation. Donc, la perpétuation de la mémoire révolutionnaire n’a rien de revanchard : c’est la perpétuation de la mémoire de la seule possibilité réelle d’une fraternité universelle. La Révolution est donc l’anniversaire de cette fraternité désormais possible. Vouloir à tout prix prouver qu’il existait une Algérie fraternelle avant la Révolution pour faire le procès de celle-ci est donc un renversement de la réalité ; procédé, redisons-le encore, typique de la mystification.

L’œuvre de Fanon est si monumentale que la rencontre fut bien trop courte pour tenter autre chose qu’une esquisse de cette œuvre et un rapide travelling sur l’un de ses thèmes majeurs : l’aliénation et le complexe du colonisé. Et ce rapide compte-rendu (déjà trop long) a passé sur beaucoup d’idées mentionnées durant ladite rencontre.

Aussi, pour conclure ce compte-rendu de la même manière que la rencontre, rappelons cette phrase déjà célèbre de Fanon :

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »

Ecrit par: Djawad Rostom Touati

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Fuite de l’Absolu: Observations cyniques sur l’Occident postmoderne.

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En Occident, si on recule de 100 ou 200 ans, la vision du monde judéo-chrétienne avait le contrôle, sinon une grande influence, sur un grand nombre d’institutions dont l’éducation, le droit, les soins de santé, les sciences, les arts et la culture, etc. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Au cours du XXe siècle, la laïcisation a marginalisé le discours religieux traditionnel en Occident. Il est manifeste pour le plus grand nombre que l’Occident est devenu séculier, sans religion. Mais si on dépasse les apparences, on découvre que le besoin de sens n’a pas cessé tourmenter le cœur de l’homme postmoderne et, même si le contexte culturel a changé, les questions ultimes restent tout aussi pertinentes au XXIe siècle qu’elles pouvaient l’être dans l’Antiquité ou au Moyen Âge. La science n’a pas éliminé la religion, mais dans le contexte actuel, participe, bon gré, mal gré, à fournir des réponses à la question du sens.

Le monde postmoderne avance très rapidement sur le plan technique… mais pour aller où ? Se peut-il d’ailleurs qu’une partie de notre obsession avec la technologie et les derniers gadgets constitue un espoir subliminal, que nous puissions trouver le salut dans une technologie de plus en plus poussée ? Dans un monde où l’on ne tolère plus la Vérité, la seule chose qui soit vraie est notre frustration de ne pas être heureux. La déconstruction et l’analyse de métarécits sont les outils préférés de nos élites postmodernes, mais si on reprend ces outils en prenant pour cible le discours postmoderne lui-même il y a lieu de penser que l’opération soit digne d’intérêt. Cet ouvrage constitue donc une analyse décapant des discours de l’heure, exposant leurs fondements.

Pour les élites modernes ou postmodernes, l’homme est un objet parmi tant d’autres, sans statut particulier, naviguant dans le temps et l’espace, un monde où, à bien des égards, rien en soi n’a de sens ou de signification. Il importe de comprendre que sa créativité s’exerce dans un cadre particulier, c’est-à-dire celui fourni, dans une très large mesure, par la vision du monde matérialiste découlant de la théorie de l’évolution. Si l’évolutionnisme est vrai comme le proclament les Jacques Monod, Richard Dawkins, Stephen Jay Gould ou Carl Sagan, l’homme n’est effectivement rien d’autre qu’un phénomène naturel parmi tant d’autres. Il n’a aucun sens propre sinon celui qu’il se forge lui-même dans un instant éphémère. Il n’a pas de statut particulier. Il est, tout au plus, qu’une poignée de molécules bien prétentieuses. L’homme postmoderne conscient vit dans un monde désenchanté, un monde vidé de sens où les humains s’agitent, mais où aucune divinité n’intervient.

Le sociologue américain Thomas Luckmann est d’avis qu’a priori toute société possède un système idéologico-religieux, un système de sens, une vision du monde. À son avis, il y a de plus, toujours une dimension religieuse dans l’élaboration de l’identité personnelle et sociale. Si un système idéologico-religieux constitue alors l’infrastructure de toute civilisation, quelle est alors la religion de l’Occident postmoderne ?Quels sont ses institutions, ses rites, ses mythes d’origines, ses apôtres, ses fidèles, ses initiations ? Cet essai tentera d’examiner toutes ces questions embarrassantes, taboues, pour regarder le cœur de notre génération. Qu’y trouverons-nous? L’auteur s’appuie donc sur des progrès dans le champ de l’anthropologie et la sociologie des religions, mais des progrès qui sont rarement appliqués à l’Occident de manière cohérente.

En cours de route nous pourrons y croiser les personnages les plus divers tels que Albert Camus, Friedrich Nietzsche, Galilée, Jacques Derrida, U2, Charles Darwin, David Porush, Denis Diderot, Kurt Vonnegut, Katherine Hayles, Blaise Pascal, Stephen Jay Gould, Dostoïevski, Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, Noam Chomsky, T.S. Eliot, Philip K. Dick et bien d’autres.

Cliquez ici pour obtenir un extrait du livre (Avant-Propos: format PDF)

Si vous désirez d’autres informations, contactez Samizdat publications:

Entretiens avec Paul Gosselin et Louis Robitaille (format WMP).

Au sujet de cet essai, la revue Archives de sciences sociales des religions (Paris) a noté:

«…un ouvrage visant à dire la raison, ou la déraison, du monde occidental ici et maintenant, demain et là. Mais demain est déjà là, et P. Gosselin, baladin de ce nouveau monde en gestation et plein de menaces, veille aux frontières de cet univers qui nous hante, qui nous habite, et nous détruit. Sans doute la menace n’est-elle pas immédiatement perceptible, et la vaste conspiration dont les sociétés occidentales modernes seraient l’objet, ne s’avoue pas telle – et désigner cette menace et cette mort de l’homme à la fin, suppose une écriture assez claire pour être efficace dans son pouvoir de dénonciation, mais clandestine aussi bien, pour n’être pas récupérable par les instances qui énoncent la loi du dire et de l’écrire. D’où ce  » samizdat « , que l’auteur met en circulation comme un cri de protestation et une longue lamentation devant l’horreur d’un Absolu en fuite. (…) Mais P. Gosselin explore au plus profond, et au plus  » inquiétant « , des sociétés occidentales contemporaines, les désastres à venir : témoignages ou prophéties de malheur, le tableau ne manque pas de noirceur. »

Et de la part de la revue Éthique et économique

« Ce livre très stimulant ouvre de nombreuses interrogations aux lecteurs. (…) Ainsi, la postmodernité recèle une perversité majeure : elle laisse croire à l’individu qu’il est le centre de tout, alors qu’il n’est que l’objet d’un manipulation d’une élite cherchant à imposer ses désirs. Les préférences des individus n’ont pas d’importance, ou n’ont pas une importance égale, ce sont celles des élites qui comptent. (…) Gosselin cherche à démontrer en quoi la postmodernité s’impose et impose un système de valeurs et croyances, là aussi sous couvert d’une apparence scientifique. Et, il faut dire d’emblée que la démonstration est plutôt convaincante. » ( v4 no. 2, 2006,)

Table des matières

Avant-propos

Chapitre I Visions du monde
La religion réincarnée
Schizophrénie idéologique
L’Église invisible
Faire entendre sa cause

Chapitre II Vivisection du patient
Science extrême
Mirages médiatiques
Le déclin de l’empire matérialiste
De nouvelles élites religieuses

Chapitre III Le credo fantôme
Infrastructures
Les instruments du pouvoir
Comportements médiatiques
La structure des monopoles scientifiques
Des fétiches réexaminés

Chapitre IV Rites de passage
Les règles du jeu
Protocoles et nuances fatidiques
Relativité et relativisme
Prosélytisme et liberté
Sur le plan intellectuel…
Chercher une référence
Ghettos postmodernes

Chapitre V Les anthropophages
L’embarras du soi
Après soi?
The ghost in the machine
L’épreuve ultime
Gérer le cheptel humain…
Complémentarités dysfonctionnelles
L’homme biotech
Écologie de l’homo sapiens
La faim

Postface
Bibliographie
Index
Considérations techniques

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Le Dernier Stade de la Soif de Frederick Exley

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« Ça parle de filles, de lobotomie frontale, de football et de mille façons de rater sa vie. Ça décrit le présent comme un mauvais souvenir et le passé comme un sombre pressentiment. Bref, ça défoule quand est de mauvaise humeur. Ce qui arrive assez souvent, avouons-le. » — Le Nouvel Observateur

« L’auteur, tout de ciment, ne pleure jamais, et l’humour calciné porte son projet à bout de bras, transformant l’exercice de l’autobiographie gémissante en chef-d’œuvre hilarant. Son style était sublime, sa vie, lamentable.» — Le Figaro Magazine

« On découvre, ému, avec plusieurs décennies de retard, ce roman d’assoiffé héroïque, sorte de testament bohème et férocement désabusé. » — Les Inrockuptibles

«Quoi qu’il lui arrive, Exley reste capable de le raconter avec un mélange de précision et d’humour. Et c’est précisément ce qui fait le mystère fascinant de ce texte : s’étant toujours vécu comme un écrivain, Exley a survécu à sa propre folie. Où l’on voit, pour prolongée la pensée de Camus, que la littérature peut aussi permettre à un homme d’échapper de justesse à la tragédie de son existence.» — Philosophie Magazine

« Il y a quelque chose d’épique et de tragique dans ces pages qui relatent sans fard les errances d’un écrivain incapable d’écrire et d’avancer droit. On en sort saoulé de mots et d’émotions, bousculé par la vitalité et la poigne d’un Exley, dont la noirceur n’a d’égale que la lucidité. » — Lire

« Un récit sans début ni fin, qui fait débander les hommes trop sûrs, pleurer les filles naïves. » — Fluctuat

« Exley (…) signe un roman âpre et douloureux, qui secoue le lecteur et le renvoie à sa propre médiocrité. Relevé par une ironie mordante, Le Dernier Stade… reste un classique US trop méconnu, sauvé de l’oubli par une maison d’édition qui soigne le détail. » — Let’s Motiv

« Ces mémoires électriques déguisées en roman ne manquent pas de panache littéraire et leur excavation est plus que salutaire. » — Chronic’Art

« Sur la route de la déroute, son rire et le nôtre sont toujours francs. » — L’Orange Bleue

« Cette descente aux enfers d’un écrivain raté et fou de sport, se lit comme la terrible autobiographie qu’il prétend être, à fond les ballons (de rouge) et toutes vannes ouvertes: tricheries, mensonges, illusions, désillusions, dérapages, erreurs, oublis. » — Rock & Folk

« Le savant mélange de justesse et de déchéance offerts par cette lecture, comme s’il y avait là “quelque chose de romantique et de tragique à toucher ainsi le fond”, ne me laisse pas indifférente… » — Le Monte-en-l’air

. . . . . .

Frederick Earl Exley (1929-1992) est à la fois unique et emblématique. Unique, car il habitait un univers étrange, et n’obéissait à aucune règle, excepté les siennes ; emblématique car, en écrivain américain typique, sa légende s’est faite sur un seul livre. Inédite en France, l’inimitable «autofiction» de Frederick Exley, Le Dernier stade de la soif, est considérée comme un classique depuis sa première publication en 1968.

Le Dernier Stade de la soif

Le Dernier Stade de la soif
de Frederick Exley
Préface de Nick Hornby
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Philippe Aronson & Jéôme Schmidt
448 pages – 23,50 euros

L E L I V R E

Avec mordant et poigne, Exley décrit les profonds échecs de sa vie professionnelle, sociale et sexuelle. Ses tentatives pour trouver sa place dans un monde inflexible le mènent aux quatre coins du pays, mais surtout à l’hôpital psychiatrique d’Avalon Valley.

Au gré des bars, des boulots et des rencontres improbables, l’obsession d’exley pour la gloire, les New York Giants et leur joueur star, Frank Gifford, grandit.

Dans ses mémoires fictifs, en plongeant la tête la première dans ce «long malaise» qu’est sa vie, frederick exley transforme la dérive alcoolisée d’un marginal en une épopée renversante.

Chargé en grande partie de ce qu’il appelle «les fardeaux du chagrin» et de catastrophes ordinaires, ce premier roman est un époustouflant voyage littéraire. C’est drôle. C’est touchant. C’est à la fois Nabokov et Bukowski et Richard Yates et Thomas Bernhard.

F R E D E R I C K E X L E Y

Exley est né à Watertown. Au lycée, c’était un sportif de haut niveau, et bien que se considérant comme moins doué que son propre père, il fut toutefois un athlète universitaire fameux, qui mettra fin à sa jeune carrière suite à un accident. En 1953, il obtint son diplôme à l’Université de Californie du Sud, où débute aussi la carrière de footballeur de Franck Gifford. (Ils ne se rencontrèrent que plus tard, seulement après que Gifford eut lu Le Dernier stade de la soif et appelé Exley.) Il arrête ensuite ses études et erre de New York à Chicago, où il travaille pour les relations publiques d’une compagnie de chemin de fer pendant quelques années.

Frederick Exley

Licencié, il acceptera toutes sortes de boulots.
Il travaillera dans un hôtel, avant de coucher avec la femme du patron ; il sera même greffier, mais ça tourne mal car il falsifie des documents. Le plus mémorable de ces boulots fut celui qu’il exerça pendant plusieurs années : professeur d’anglais remplaçant.

Sa vie personnelle suivit le cours de ses performances professionnelles. Il se maria deux fois, et eut deux enfants. Son premier mariage dura trois ans tandis que le second ne dura qu’un an de plus que le précédent.
En 1958, Exley fit le premier de trois longs séjours à l’hôpital psychiatrique. Qu’Exley se soit laissé influencer par son côté le plus autodestructeur pendant des années n’est pas très surprenant, ce qui l’est, cependant, est ce qu’il a réussi à accomplir parallèlement. Durant sa deuxième hospitalisation, il commença à écrire ce qui allait devenir Le Dernier stade de la soif.

«Ce qui explique son succès, ce sont ses échecs», écrivit Christopher Lehmann-Haupt dans le New York Times. Exley remporta plusieurs prix et bourses de la part des fondations Rockfeller et Guggenheim.

Personnage haut en couleurs, journaliste incontrôlable, il entretint des relations épistolaires avec les écrivains de son temps : Cheever, DeLillo, Conroy, Gaddis, Markson, Styron ou Vonnegut. Sa spécialité : téléphoner au milieu de la nuit, complètement saoul.

Frederick Earl Exley, dont la trilogie portant sur sa vie passablement mouvementée remporta tous les suffrages de la critique et du public, mourut à 63 ans en 1992, à la suite de deux attaques cardiaques.

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Steve Tesich, « Karoo » : tragédie américaine et perversité du monde intellectuel

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La tragédie américaine

Nous sommes à New York, au début des années 90, tout juste après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime de Ceaucescu. Saul Karoo travaille pour l’industrie du cinéma, il réécrit des scénarios. Depuis quelques temps, il s’est rendu compte qu’il était atteint d’une étrange maladie : quelle que soit la quantité d’alcool qu’il absorbe, il ne parvient pas à être saoul. Désormais, il lui faut jouer l’ivresse pour que ses proches ne soient pas déstabilisés : qu’ils puissent encore voir en lui l’incurable alcoolique qu’ils ont toujours connu.

Déformation professionnelle ? À force de côtoyer l’univers factice d’Hollywood, Karoo passe son temps à jouer un rôle. Menteur professionnel, il joue le raté que son ex-femme voudrait voir en lui, ou le « Doc », le génie du rafistolage de films que le producteur Jay Cromwell lui affirme qu’il est, capable de transformer n’importe quel scénario médiocre en chef-d’œuvre. « Incarner l’image que Cromwell me donne à incarner est très relaxant. J’avais oublié le confort facile qu’il y a à être une image plutôt qu’un être humain. » Bref, il pose. Il pose à « l’homme sans assurance », libéré de toute couverture sociale. Il pose, devant témoins, au père aimant de son fils adoptif Billy. Il rejoue, toujours devant témoins, de spectaculaires scènes de rupture avec cette femme dont il est séparé depuis deux ans, mais avec laquelle il s’enlise dans une procédure de divorce interminable. « Nous allâmes même jusqu’à fêter les deux ans de notre séparation par consentement mutuel. De toute évidence, il était plus facile aux pays d’Europe de l’Est de renverser leurs gouvernements totalitaires qu’à moi de mettre un terme à mon mariage. »

Karoo ment tout le temps, mais c’est qu’il vit dans un monde où le mensonge semble être la langue commune.

Sa femme réinvente pour les clients des tables voisines de leur restaurant favori l’échec de leur mariage, noircissant le tableau, faisant d’un vaudeville une tragédie shakespearienne. L’infâme Cromwell ne se montre jamais à un repas d’affaire sans une jeune maîtresse ou un jeune amant qu’il veut, d’une manière ou d’une autre, abîmer, détruire en public. Même les chauffeurs de taxi racontent des bobards, s’inventent un personnage. « Étant moi-même un menteur invétéré, j’aimais bien ceux qui souffraient du même mal. Je n’avais plus aucune vérité en commun avec les autres. Les mensonges étaient mon lien ultime avec mes congénères. Dans le mensonge, au moins, les hommes étaient tous frères. » Car le mensonge rassure. On peut s’y voir meilleur ou pire que nous sommes. Pire, c’est mieux : plus on se noircit et plus la vérité nous rapprochera de la blancheur originelle…

C’est lorsqu’il commence à s’imaginer meilleur qu’il n’est que Karoo devient réellement monstrueux. Un jour, il découvre le moyen de prouver à son fils Billy tout l’amour qu’il n’a jamais pu lui montrer en privé (« C’était une autre de mes maladies. Je ne savais trop comment l’appeler. Fuite devant l’intimité. Fuite à tout prix devant toute forme d’intimité. Avec qui que ce fût. »). Alors, la vraie tragédie s’installe. Cromwell aura l’idée de donner au scénario inspiré de la vie de Leila Millar ce sous-titre : Une tragédie américaine. Il conviendrait parfaitement à la vie de Saul Karoo. Une tragédie américaine. Comprendre une tragédie grecque déplacée sur le continent américain, entre New York et Pittsburgh, après un passage par Los Angeles et l’Espagne. Tous les ingrédients y sont, depuis la prophétie de Dianah, dans la grande scène du « dernier repas de divorce » (« Chéri, chéri, soupire-t-elle, mon pauvre et pathétique chéri, tu ne te rends donc pas compte que tous ceux que tu approches finissent par devenir tes victimes ? ») jusqu’à la relation œdipienne, incestueuse, en passant par l’aveuglement volontaire du héros tragique et sa mort misérable…

Steve Tesich, qui est mort en 1996, peu de temps après avoir publié Karoo, ne s’est pas contenté de peindre une « critique acerbe » d’Hollywood (je le dis pour les journalistes littéraires qui voient des « critiques acerbes » partout). La « Mecque du Cinéma » telle qu’elle est représentée dans le roman est certes un repaire de requins dénués de morale, prêts à sacrifier n’importe quel chef-d’œuvre au nom du profit, et où le véritable artiste n’a pas sa place – mais bon, ça, c’est une affaire entendue. Karoo raconte comment un homme peut se perdre lui-même dans cet univers malsain. Non pas être broyé par l’infernale machine hollywoodienne : se consumer lui-même. Karoo est l’histoire d’une chute. Celle d’un homme qui, en voulant racheter les erreurs qu’il a commises au cours de son existence, va déclencher, avec une bonne foi désarmante, une impitoyable course à la destruction. Reniant le peu de choses auxquelles il croit encore, il transforme pour une femme un chef-d’œuvre en gentille comédie sentimentale à succès ; lui qui ne s’est jamais préoccupé que de lui-même se met en tête d’agir sur la destinée de son fils adoptif et de la mère biologique de celui-ci, qu’il a retrouvée par hasard… Exactement le genre de choix que prend le héros tragique quand il se met en tête de défier les dieux. Et à la fin, il est toujours puni pour son hybris. Saul Karoo est lancé sur un toboggan fatal, persuadé qu’au bout se trouve une happy end, et le pauvre lecteur, qui le voit faire tous les mauvais choix possibles, ne peut guère que s’agripper à son livre en murmurant : « Oh non, Doc… Fais pas ça… N’ouvre pas cette porte, Saul !… » Et ça, cette empathie affolée, ce n’est pas le moindre des talents de Steve Tesich que de nous la faire ressentir. Mais en plus, au milieu de cette tragédie, dans cet enfer de faux-semblants, on rit beaucoup. Comment supporter la catastrophe, sans humour ?

 

Raphaël Juldé

Steve Tesich, Karoo, Monsieur Toussaint Louverture, février 2012, 608 p.- 22,00 €

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La perversité du monde intellectuel

Unique roman d’un américain mort en 1996 et né en 1942, Karoo a été achevé quelques jours avant la mort de son auteur Steve Tesich. Un roman-fleuve qui fait grand bruit.

On parle beaucoup de ce livre. Coup de cœur des libraires, ce Karoo semblerait avoir trouvé sa place entre Roth et Easton Ellis, Richard Russo et Saul Bellow : à la lumière de telles comparaisons, comment résister à la lecture de ce gros roman de 600 pages ?

Tout commence à la chute de Ceausescu, mais à New York. Le début des années 90 est un moment charnière dans l’Histoire, les pays communistes s’effondrent, les actualités transmettent heure par heure le détail des bouleversements, le narrateur Saul Karoo médite sur sa vie dans ce nouveau contexte mondial. Homme défraichi, blasé, la cinquantaine, Saul Karoo travaille comme script doctor pour Hollywood, redécoupe, sauve ou massacre les films des autres et gaspille son temps à discuter avec sa femme de leur futur divorce sans jamais passer à l’acte – alors qu’ils sont séparés. On découvre rapidement ses pathologies : une impossibilité à rester sobre quelle que soit la quantité d’alcool qu’il ingurgite, une fuite devant l’intimité. Fuite à tout prix devant toute forme d’intimité. Avec qui que ce fût, tendance qui fait de lui le voyeur cynique de la petite société qui tourne autour de lui. Celui qui n’existe qu’en tant que parasite du scénario des autres est devenu un mégalomaniaque aigri, méprisant tout le monde, y compris son fils adopté et son épouse. Serait-ce la frustration dans l’écriture ? Je pense que tous les tyrans sont des écrivaillons glorifiés, des hommes qui réécrivent comme moi. Rien d’original dans ce constat, mais ce que le narrateur va mettre en œuvre pour exister est une entreprise d’un machiavélisme au long cours. Quand son employeur lui demande de réécrire un film qui se révèle être un chef-d’œuvre, Saul Karoo n’hésite pas, il s’exécute. C’est dans ce film que joue la mère biologique de son fils adopté. Cette information va faire de lui le grand manipulateur d’une partie d’échecs.

Réflexion sur la société du spectacle, le pouvoir et la force du mensonge, Karoo met en scène le jeu pervers d’un médiocre qui voudrait être Dieu. L’idée était ambitieuse, mais le livre trop long, alourdi par des métaphores maladroites n’aurait peut-être pas suscité autant d’enthousiasme si son auteur était toujours vivant. C’est sans doute là aussi que réside la perversité du monde intellectuel.

 

Stéphanie Hochet

Steve Tesich, Karoo, traduit de l’anglais (américain) par Anne Wicke, Monsieur Toussaint Louverture, février 2012, 607 pages, 22 €

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Où est la fête de l’indépendance?

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Qui a arrêté la fête de l’Algérie ?

Il y a 52 ans et des poussières que l’Algérie a gagné son droit à l’indépendance…le 5 juillet 62, j’avais tout juste 12 ans et je suis descendu en ville. Nous, les Mouats, nous étions restés au Béni Mélek, dans la ferme de Roger Balestrieri. C’est lui qui nous avait hébergés dans une vieille mansarde lorsque l’armée française était venue détruire notre mechta à Sidi Ahmed…A la ferme, depuis le 19 mars 62, jour du « Cessez-le-feu », nous avions dressé le drapeau Algérien que j’avais ramené depuis la ville. C’est ma tante Zaghda qui l’a fait confectionner dans le vieux quartier en tôles du faubourg…puis, avec le temps et les embruns, le drapeau avait pris des couleurs plus ternes…c’est pourquoi, arrivé au niveau du quartier Arabe  » Z’kak Arabe » j’ai été déçu de voir que les drapeaux qui ornaient toutes les fenêtres avaient des couleurs bien plus éclatantes que le notre à la ferme…aujourd’hui, à minuit passée de quelques minutes, là, dans ce jeune quartier de Mostaganem, mis à part l’immense drapeaux barrant la rue en l’honneur de l’équipe de football, toutes les fenêtres sont restées fermées…pourquoi la joie de 1962 n’a pas fait des petits? Et pourquoi il a fallu un bosniaque pour que notre président sorte de sa tanière? Il n’en a pas mare d’être au pouvoir? Il n’a pas honte de supplier un Bosniaque de rester afin que notre emblème national sorte dans la rue, comme en 62?

Des collabos aux premières loges

Je jure que le 5 juillet 62, du haut de mes douze ans, je croyais que la fête ne s’arrêtera jamais, je croyais que la générosité et l’amitié ne quitteront jamais ce pays…je pensais sincèrement que jamais plus nous nous chamaillerons comme de vulgaire petits délinquants….je croyais que réellement nous allions enfin former un seul peuple et que nous allions avoir les mêmes droits…mais c’était un rêve insensé….et le comble c’est que j’ai mis du temps, beaucoup de temps pour m’en rendre compte…car il y avait des indices qui ne trompent pas. J’ai vu des collaborateurs des l’administration coloniale acheter des tenues militaires flambants neuf auprès des tirailleurs Sénégalais de la caserne Mangin, à la porte de Constantine…ensuite ils passaient parader à travers les artères de la ville et les quartiers arabes…je me souviens des noms….elle est très précise et bien redoutable la mémoire de l’enfant que j’étais…j’ai aussi vu un certains Moulay, qui roulait dans une 2CV, qui était armé et qui a passé toute la guerre à nous insulter et à faire le Byya3 auprès de la police…entre temps, il avait servi dans le corps de la Force Locale…je le connais très bien parce que son vieux voisin était berger chez lui et c’est à Sidi Ahmed qu’il emmenait son troupeau tous les matins…comment faisait-il pour avoir un troupeau aussi important? puis une fois passée l’euphorie des premiers jours, les drapeaux prenaient inexorablement, comme s’ils s’étaient donné le mot, la même couleur que mon drapeau du 19 mars…les couleurs vives des premiers jours cédaient de leurs splendeurs sous les effets conjugués du soleil et du temps…ainsi c’était donc ça l’indépendance?

La dernière Zerda

A l’automne, nous avions renoué avec le rituel de la Zerda de Sidi Ahmed. Un rituel dont nous avons été privé durant les sept années de guerre. La dernière Zerda remonte à l’automne 1954, quelques semaines à peine avant le 1er Novembre. Avec mon père, nous avions visité tous les stands. je me souviens des boites de « Gagnant », ces gâteaux succulent de l’Alsacienne que l’on achetait en paires. Les deux gâteaux étaient retenus par une bande de papier et lorsque nous les séparions, on pouvait parfois gagner une boite plus grosse…je crois que c’était une double rangée de 4 gâteaux…plus tard j’ai appris que la paire gagnante était glissé dans le carton par le vendeur…et qu’il arrivait que personne ne gagnait, ce qui permettait au vendeur de revendre les cadeaux…mais j’avoue que les gâteaux de l’Alsacienne étaient succulents, c’étaient mes premiers biscuits…ma mémoire garde encore cette saveur particulière…avec le temps, la Zerda a commencé par perdre de sa splendeur. En effet, après l’indépendance, plus personne n’avait réellement le cœur à faire la fête. ce n’était ni faute de gâteaux, ni faute de drapeaux…Mes oncles Rabah et Salah qui se relayaient pour m’emmener à la fête n’étaient plus là…mon père et surtout mon grand père Moha, le plus sage d’entre nous tous, celui qui m’avait initié à l’action caritative dès mon plus jeune age…n’étaient plus. C’était lui patriarche et l’âme de la famille. C’est lui qui organisait la fête, qui distribuait les bougies et l’encens à tous les visiteurs du marabout Sidi Ahmed, notre ancêtre…c’était lui qui allait acheter les boucs ou les veaux pour le sacrifice…depuis le marché d’El Arrouch…leur absence qui durait depuis le 23 aout 1955 se prolongeait à l’infini.

Le grand mensonge

Sept années durant, tous le monde nous faisait croire que nos 23 prisonniers étaient encore en vie. Mais une fois les drapeaux déteints, une fois que le vert se noyait dans le rouge et que le croissant et l’étoile n’étaient plus qu’une tache improbable, il fallait se rendre à l’évidence…les prisonniers ne reviendront pas. Pendant 7 longue années, moi, ma sœur, mon frère, mes cousins et cousines, une quarantaine d’enfants de tous âges, nous avions cru que nos oncles, pères et grand pères allaient revenir. Mais ils ne sont jamais revenus. c’est peut être pour ça que les couleurs des drapeaux de l’indépendance n’ont pas tenus la route….plus de 52 ans plus tard, en cette chaude nuit de juillet, me reviennent ces images d’une grande joie que le temps a transformé en une longue tristesse. Rien ne s’est arrangé depuis. 52 ans plus tard, mon pays ne sait pas fêter son indépendance. Parfois je me demande si c’est une malédiction. Parfois je me résous à penser que nous n’en sommes pas encore dignes…pourtant, malgré toutes les assurances,  ceux qui sont morts ne sont pas revenus…et s’ils revenaient? Ils sauront très vite que nous ne sommes même plus capables de faire une fête où tous le peuple algérien serait partie prenante…c’est loin d’être gagné…ah si pour une fois je pouvais ne pas avoir raison…

Aziz MOUATS


Dans l’indépendance et la coopération : L’Algérie vivra

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L’Etat algérien issu des accords passés le 19 mars entre le gouvernement français et le F.L.N., puis des négociations accomplies le 17 juin sur l’initiative du président Aberrahmane Farès avec le concours de l’ancien ministre Jacques Chevallier, prend naissance après sept années de guerre, de misères et de ruines qui auraient dû être épargnées à la France et à l’Algérie.

Pierre Bloch, homme politique de cœur et de clairvoyance, originaire de Sétif, a représenté, dans un livre nouvellement publié aux Editions des Deux-Rives, l’Algérie comme « la terre des occasions perdues ». Elles n’ont pas été, hélas ! seulement perdues. Elles ont été refusées. Il convient de rappeler aujourd’hui ces refus :

 refus de se départir du préjugé de l’Algérie formée de trois départements français, selon « la patriotique métaphore » dénoncée par Jules Ferry, président de la commission sénatoriale d’enquête de 1892 ;

 refus en 1919 d’entendre l’appel lancé par l’émir Khaled, officier de l’armée française, pour accorder l’égalité des droits civiques aux anciens combattants musulmans, héros des contre-attaques victorieuses de la Marne en 1914 et de l’Aisne en 1918, comme de la résistance de Verdun en 1916 ;

 refus opposé en 1936 au projet de loi Blum-Viollette tendant à ouvrir le collège électoral aux capacités musulmanes et à « proposer aux Algériens une patrie » ;

 refus en mars 1944 d’accueillir les musulmans algériens dans le corps électoral des citoyens français et innovation du double collège affirmant l’existence de deux communautés jointes mais désunies sous la prédominance de la plus faible en nombre ;

 refus par les commissions interministérielles, le Conseil d’Etat et le Parlement d’instituer le collège unique proposé pour le statut de 1947 ;

 refus en 1948 d’appliquer le statut ainsi tronqué devenu loi de l’Etat ;

 refus en 1956 d’adapter à l’Algérie les dispositions du compromis austro-hongrois de 1867 grâce à quoi elle aurait recouvré son indépendance et sa souveraineté dans l’union avec la France en régime de dualité interne ;

 refus d’appliquer à l’Algérie les dispositions de la Constitution de la République fédérative populaire de Yougoslavie touchant le développement culturel et l’usage de la langue des diverses nationalités de ce pays, qui tire sa cohésion du libéralisme de ses principes et de ses maximes envers ses populations.

A quoi bon critiquer les erreurs et les fautes du passé, ont accoutumé de proclamer dans l’ardeur du zèle des néophytes les partisans acharnés de la résistance au mouvement, nouvellement convertis au libéralisme et à l’évolution naturelle de l’Algérie ? Il convient cependant de le faire pour se prémunir contre les traverses qui pourront être mises sur la voie de l’accomplissement de l’indépendance du pays.

Mon éminent prédécesseur, le gouverneur Maurice Viollette, avec qui j’ai partagé les rigueurs de l’implacable rancune des éléments privilégiés d’Algérie, fâchés de ne nous avoir point soumis à leurs vues, avait publié, au lendemain de sa mission en Algérie, un livre attestant la générosité de ses sentiments et la perspicacité de ses conceptions. Il l’avait intitulé l’Algérie vivra-t-elle ?

Il est certain qu’elle vivra. Les trois principaux obstacles dressés pour contrarier son indépendance ont été surmontés : l’opposition des grandes sociétés financières et industrielles, la rétivité des grands colons prépondérants, la récalcitrance du peuple européen des villes.

Le Sahara, d’où semblait provenir un achoppement propre à retenir la négociation du côté français du fait de la résolution des grandes compagnies pétrolières à obtenir la garantie de la rentabilité de leurs investissements, a été, dès les conversations entamées à Tunis en 1959, l’objet d’un accommodement qui a calmé les inquiétudes des dirigeants des entreprises employées à sa mise en valeur. Il est partie intégrante de l’Algérie. Les tribus transhumantes errent de part et d’autre de l’Atlas, singulièrement de la Chebka et du Daïas au Sersou. Les voies de communication des hommes et des transports de matières premières y sont orientées selon les directions méridiennes de ou vers la Méditerranée. Il procure à l’économie algérienne plus de 50 000 tonnes de dattes, dont les meilleures, les « dàglat nour », sont toutes livrées à l’exportation. Il contient, tant à Hassi-Messaoud qu’à Polignac ou à Ohanet, 650 millions de tonnes de pétrole en réserve ; à Hassi-R’Mel 1 000 milliards de mètres cubes de gaz, à Gara-Djebilet 750 millions de tonnes de minerai de fer d’une teneur supérieure à 57 % et exploitable à ciel ouvert ; à Tabelbala et à Ougarta du cuivre ; au Hoggar, du wolfram. La nappe obtenue s’étend sur un quart du nord-est du désert. Elle renferme un volume d’eau propre à satisfaire à une consommation régulière de 30 mètres cubes par seconde. Cent millions de mètres cubes annuels sont mis à la disposition des Sahariens pour permettre la culture de 6 500 hectares de palmeraies. On conçoit aisément la fermeté du F.L.N. à persister dans le parti qu’il avait pris sur la revendication de l’unité du territoire algérien et dans le soin de ne se laisser ébranler par aucune proposition adverse, d’autant plus que le Sahara contribuera fortement à assurer au nouvel Etat une balance commerciale active et un équilibre budgétaire y compris la couverture d’un immense effort d’équipement à poursuivre.

En revanche, les exigences du ravitaillement français en hydrocarbures et l’amortissement des capitaux investis pour la prospection des structures pétrolifères, pour la détermination des gisements et pour l’installation du matériel de forage et de pompage ont été garantis par le maintien en vigueur du code pétrolier et des droits acquis, par la priorité reconnue aux sociétés françaises dans la distribution des nouveaux permis de recherche et d’exploitation, par le règlement en francs français des livraisons d’hydrocarbures liquides et gazeux.

Ainsi une première catégorie d’opposants, riches d’audience, à tout partage d’influence avec l’Algérie musulmane a-t-elle donné son adhésion à la reconnaissance de l’Etat algérien, d’autant plus que les transferts à destination de la France y bénéficieront d’un régime de liberté.

Vers la réconciliation

Une deuxième allait suivre cet exemple, lors des accords du 19 mars, celle des colons européens prépondérants qui avaient accoutumé, depuis la réorganisation du crédit agricole de 1937, d’être écoutés par les petits et moyens colons vivant au contact direct des agriculteurs musulmans et souvent en symbiose avec ces derniers. Dans l’appréhension d’une restriction de leur autorité et de leurs profits ils s’étaient refusés incessamment et avec obstination à la promotion des musulmans dans la fonction publique, dans la gestion politique du pays et dans les structures de l’exploitation agricole. Or, leurs inquiétudes ont été dissipées. L’Algérie assure sans aucune discrimination une libre et paisible jouissance des droits patrimoniaux acquis sur son territoire avant l’autodétermination et nul ne sera privé de ces droits sans indemnité équitable préalablement fixée.

Les grands colons appréhendaient la mise en œuvre d’une réforme agraire unanimement réclamée par les fellahine enrôlés dans les maquis, souhaitée par les autres et inscrite dans le programme du F.L.N., singulièrement attentif à la modernisation rurale chinoise et yougoslave. Or, dans le cadre de cette réforme, la France apporte son concours à l’Algérie pour couvrir le rachat des droits de propriété détenus par les ressortissants français. Sur la base d’un plan de rachat établi par les autorités algériennes compétentes, elle fixera, d’accord avec l’Algérie, les modalités de son aide, de façon à concilier l’exécution de la politique économique et sociale du nouvel Etat avec l’échelonnement normal de son concours financier. Quoi qu’il en soit, c’est sur les ressources du budget français que seront prélevées les sommes nécessaires à l’expropriation des domaines européens d’Algérie, une fois accomplie cette expropriation selon les garanties de droit usuelles.

Il restait à apaiser les terreurs de la masse de la population européenne des villes et des bourgs, constituée de familles modestes, de techniciens, d’employés de magasin, de bureau et de banque, d’ouvriers professionnels, d’artisans et de petits commerçants. Balançant souvent, hésitant parfois entre des courants politiques contraires, mais toujours prompts à regimber, à se débattre et à s’insurger, ils constituaient une masse de manœuvre susceptible d’être séduite par les appels de l’O.A.S. tendant à jeter parmi eux l’alarme d’une substitution des musulmans dans leurs emplois et d’une privation de leurs moyens d’existence. Or, s’ils sont à la proportion des neuf dixièmes des Européens, ils sont également à celle des huit dixièmes des fonctionnaires, des cadres industriels et commerciaux du pays. Ils tendaient à tenir les musulmans de qui le niveau de vie est dix fois moins élevé que le leur pour un sous-prolétariat dont ils ne pourraient trouver l’équivalent en France. Aussi se sont-ils souvent solidarisés avec les gros colons, les gros commerçants et les industriels contre toute atteinte à leur prestige social et à leur privilège d’emploi.

Abusés par les notables qui se sont servis d’eux pour favoriser leurs desseins puis les ont abandonnés à leur sort après avoir pris leurs précautions et obtenu, dans les accords, les garanties qu’ils souhaitaient, ils se sont livrés à des excès dans leurs querelles avec les musulmans. Aussi ont-ils redouté des représailles de la part de ces derniers, premièrement de ceux enrôlés dans les unités de la force locale de maintien de l’ordre, dès avant le scrutin d’autodétermination.

Abderrahmane Farès et Jacques Chevallier, prompts à saisir les impulsions et les réactions de ces Européens, ont eu le mérite de s’entremettre entre ces derniers et les membres de l’organisation du F.L.N. pour accommoder les inquiétudes des uns et les ressentiments des autres et pour pacifier les troubles que les adversaires de l’entente franco-algérienne avaient suscités. Leurs efforts ont abouti aux accords du 17 juin, dont les Européens des villes et des bourgs, égarés par l’O.A.S., avaient pensé qu’ils leur permettraient de bénéficier de l’amnistie pour tous les actes commis avant le jour du scrutin d’autodétermination, l’intégration d’unités européennes au sein de la force locale du maintien de l’ordre, le maintien dans l’emploi.

Les déclarations faites le 18 juin et radiodiffusées d’Alger par le Dr Chaouki Mostefaï les ont rassurés sur leur avenir, sur leur sécurité, sur le respect de leur personnalité et de leur dignité d’homme. Elles ont invoqué leur concours dans la réconciliation des communautés pour entreprendre la construction de l’Etat et assurer l’essor économique et social en Algérie. Celles de Jacques Chevallier, produites le 20 juin, ont tendu à résoudre leurs doutes, à effacer leurs craintes et à leur ouvrir l’espérance de prendre une part importante dans l’édification de la patrie algérienne. Elles ont éclairci à la masse des Européens le parti qu’elle pouvait tirer de la situation nouvelle, elles l’ont relevée de la désolation dans laquelle elle était tombée pour s’être jugée abaissée au rang de minorité déprisée dans l’état d’infériorité morale et matérielle. Elles l’ont convaincue du besoin éprouvé par les musulmans de la maintenir en place et d’invoquer son appui non seulement pour assurer la marche des services et le jeu de l’économie, mais encore pour enrichir l’Algérie nouvelle d’une incessante confrontation des tempéraments et des vues des citoyens d’ascendances diverses, génératrices de vertus au lieu d’être complice de désordres.

Des structures modernes

De ce fait le G.P.R.A. a confirmé son autorité sur toute l’Algérie. Il est fort des succès diplomatiques de ses négociateurs, qui ne se sont départis d’aucune de leurs propositions essentielles touchant la représentativité exclusive du F.L.N. dans les pourparlers de paix, l’établissement d’un Etat algérien indépendant, souverain, indivisible dans son intégrité territoriale, Sahara compris, ne comportant pas de minorité territoriale et contractant avec la France des accords bilatéraux dans les domaines culturel, économique et technique. Il est à même d’assurer, tant aux yeux enthousiastes de la masse musulmane fière d’une majorité acquise durement par les armes et habilement par la diplomatie qu’à ceux dessillés des Européens, les responsabilités du pouvoir et l’orientation de l’avenir de l’Algérie du double point de vue national et international. Il est assuré du ralliement raisonné des Européens, libres d’opter pour la nationalité algérienne dans le respect de leur particularisme de langue de culture, de religion et de statut personnel ou pour la nationalité française avec statut d’étranger dans le cadre d’une convention d’établissement et disposant d’un délai de méditation de trois ans pour prendre leur parti sur le sujet de cette option. Ainsi l’Algérie ne gardera-t-elle pour citoyens européens que ceux ayant fait en connaissance de cause le libre choix de leur résolution. Elle bénéficiera du concours sans restriction de tous ses citoyens. Constituée en Etat de souveraineté pleine et entière à l’intérieur et à l’extérieur, elle sera libre de se donner ses institutions et de choisir son régime politique et social.

Le nouvel Etat entame son indépendance avec une capacité potentielle enviée par d’autres pays à population musulmane anciennement parvenus à la majorité politique. Il est peuplé de dix millions cinq cent mille habitants dont les neuf dixièmes, musulmans, sont pour moitié âgés de moins de vingt ans. Son taux d’accroissement est de 3 % et sa densité, si elle ne dépasse par dix habitants au kilomètre carré sur les hautes plaines, atteint cent quarante en Kabylie. Les deux tiers de ses enfants reçoivent un enseignement en français. Mais il entend prendre entre le ponant et le levant méditerranéen, entre l’Occident atlantique et l’Asie antérieure arabe, position d’Etat de double culture où l’arabe et le français seront enseignés de pair. D’ores et déjà l’enseignement de l’arabe est organisé en Kabylie où il n’avait jamais été entrepris.

L’Algérie connait un état sanitaire meilleur que la plupart des autres pays d’Afrique et d’Asie. Elle compte plus de trois mille médecins et sages-femmes, cent quarante hôpitaux contenant plus de trente mille lits, soit trois fois plus de lits pour mille habitants que l’Egypte et six fois plus que l’Inde. La consommation de la viande y atteint dix kilos par habitant, celle du sucre vingt kilos.

Cent mille entreprises y font 1 400 milliards de chiffre d’affaires et payent 240 milliards de salaires. Le pays est doté de quarante mille kilomètres de routes, de quatre mille deux cents Kilomètres de voies ferrées dont les trois cinquièmes sont à voie normale. La traction est assurée par courant électrique ou par moteur diesel.

Cinq mille fonctionnaires musulmans sont déjà en place ; quatre mille formés au Maroc et deux mille en Tunisie les rejoignent. En outre, le F.L.N. vient d’opérer le recensement de tous les étudiants algériens en cours d’études en France et dans les divers pays d’Europe et d’Amérique, et les a invités à se tenir prêts à répondre à la convocation qu’ils recevraient pour occuper un poste dans l’administration de leur patrie.

Les Algériens ont fait, au surplus, apprentissage de l’exercice de leurs droits civiques. Les décrets du 29 août 1945 ont rompu avec les errements du sénatus — consulte de 1863 qui avait disloqué la hiérarchie des tribus arabes et hiérarchisé les taddert démocratiques de Kabylie, ils ont constitué les djemââs des premières en embryons de municipalités et les conseils des seconds en centres municipaux appelés par le plan d’action commerciale de 1946 à assumer leurs responsabilités d’enquête, de prévision et de gestion. Quinze cents communes organisées sur le type de celles de France ont pour maires des musulmans.

L’expansion économique

Dans l’ordre économique, la prospection et l’exploitation des ressources métalliques et minérales et la création d’industries de transformation entreprises en 1945 se sont poursuivies depuis, guidées par le Conseil supérieur de la recherche scientifique appliquée. Celui-ci, créé le 20 juillet 1946, avant l’existence de toute organisation similaire en France, s’est révélé singulièrement efficace. Sur ce sujet, Georges Drouhin, président de l’Association internationale des hydrogéologues et chef incontesté de l’école hydraulique des pays arides et semi-arides, a écrit dans le premier numéro de la revue Terres et Eaux, paru en janvier 1948 : « Grâce à cette cohérente et solide organisation, des chercheurs déjà nombreux travaillent avec cœur aux problèmes d’ensemble qui conditionnent l’avenir et aux questions de détail qui se posent chaque jour. Géologues, climatologistes, physiciens, chimistes, pédologues, ont acquis ou acquièrent rapidement le goût des réalisations et l’habitude du travail avec les ingénieurs ». Ce conseil a, à son actif, notamment la mise en œuvre des ressources hydrauliques autres que celles des massifs montagneux et des nappes artésiennes, à savoir celles de l’éponge évaporatoire du système cohérent des chotts sur les hautes plaines, ainsi que la mise au point de l’utilisation de l’énergie solaire dont le premier appareil est en service à La Bouzaréah.

Ses avis ont été suivis pour toutes les recherches relatives à l’étude et à l’exploitation des richesses du pays et sur le parti à y tirer des découvertes scientifiques nouvelles.

L’agriculture a singulièrement bénéficié de ses travaux. Il importait qu’il en fût ainsi. Le développement de l’industrie n’est pas plus en Algérie que dans le reste de l’Afrique la panacée de l’évolution. Il l’est d’autant moins que l’industrie moderne recourt de plus en plus à l’automation. La verrerie de La Senia, ouverte en 1946, produit trente mille bouteilles par jour en n’employant que trois cents ouvriers dont les salaires assurent au plus la subsistance de trois mille personnes. Or l’Algérie est un pays de démographie galopante. Sa population s’accroit d’un village de cinq cents âmes par jour. Elle vit du sol à la proportion des quatre cinquièmes. Si les possibilités d’établissement humain comportent un équilibre de peuplement, de sol arable et d’eau, pareil équilibre est rompu dans un pays où les hommes sont nombreux, le sol fertile réduit et l’eau rare. Son climat xérique est aggravé par la xérothérie, c’est-à-dire par le décalage de la pluviosité et de la chaleur. Les plantes n’y bénéficient pas de la chaleur propice à la végétation quand elles reçoivent l’eau et elles sont privées d’eau quand la température leur est convenable.

La nécessaire réforme des structures rurales

L’Algérie ne peut assurer à ses habitants travail et existence qu’en réorganisant son agriculture. Or sur dix millions d’hectares de terres cultivables sept millions cinq cent mille appartiennent à des musulmans : cent cinquante mille familles exploitent de grands domaines, trois cent mille n’ont pas assez de terre, cinq cent mille réparties entre métayers, fermiers et salariés n’ont pas de terre du tout. Deux millions de salariés agricoles ne touchent que trente milliards, somme égale en valeur aux transferts opérés par les deux cent mille travailleurs algériens de France. Pour résorber ce prolétariat agricole, trois solutions pouvaient être envisagées : conquérir des terres nouvelles par irrigation, distribuer des terres conquises par adduction d’eau et restauration des sols aux paysans pauvres, améliorer les méthodes de culture et le rendement des terres des petits fellahine. J’ai eu recours aux trois en retenant principalement la troisième.

Le fellah, riche de qualités nombreuses, singulièrement d’endurance et de capacité potentielle d’adaptation, souffre de la pauvreté, de l’isolement et du complexe de nomadisme. Pauvre, il manque de ressources pour attendre le résultat de l’amélioration de ses terres ; isolé, il manque de guides pour diriger ses efforts ; nomade, il est par le défaut de stabilité pour créer et pour construire. C’est en tenant compte de ces conditions défavorables qu’après un an de travaux préparatoires j’ai, le 18 avril 1946, créé les secteurs d’amélioration rurale, groupements sous structure coopérative de tous les fellahine d’un secteur incapables par isolement de travailler rationnellement le sol et de l’amener à production valable. Le fellah qui ne dispose pas, en exploitation isolée, de douze hectares est sous-alimenté. Il ne mange à sa faim qu’au moment de la récolte, il vit en économie fermée et il ne produit pas au-delà de ses besoins domestiques. J’ai conçu les secteurs d’amélioration rurale pour l’amener à produire au-dessus de ses besoins, à entrer dans un cycle d’économie ouverte d’échanges, à utiliser le crédit, à recourir au marché, à prendre soin de la qualité de ses produits pour en assurer l’écoulement. Selon le plan tracé au moment de leur création ils devaient être en dix ans portés au nombre de huit cents. Ils n’ont jamais dépassé celui de deux cents atteint en 1948. Secteurs territoriaux dans lesquels était appliqué un programme rationnel de production selon les derniers progrès des méthodes culturales, ils rayonnaient par l’exemple, satisfaisaient les fellahine et entamaient une transformation totale de l’Algérie aussi psychologique qu’économique. Leurs formes collectives et individuelles d’équipement concouraient à une heureuse montée sociale. En deux ans es rendements en blé à l’hectare y avaient triplé et des vergers et des palmeraies avaient poussé grâce à ce système là où n’étaient auparavant que pierres et sable. Subordonnés à partir de 1948 aux sociétés agricoles de prévoyance, voire associés à de grandes exploitations particulières, ils ont perdu leurs caractères originaux. Ils ont cessé d’être le secteur territorial, économique, technique et social où étaient concentrés et mis en œuvre tous les moyens répondant à un programme établi par le conseil de gestion des membres du secteur et par le maintien de culture et d’élevage. Il importe, si l’on veut promouvoir le progrès technique et social de l’Algérie, de leur rendre leur structure et leur mission.

Une des tâches urgentes du nouvel Etat sera de procéder, dans le cadre de la réforme agraire qu’il a projetée, à leur réorganisation et à leur multiplication selon l’esprit qui avait présidé à leur conception et guidé leur ménagement. Dans cette vue il devra s’attacher à la préparation de conseillers ruraux par diffusion ouverte de l’enseignement agricole à de jeunes cultivateurs soucieux de leur métier et avides de s’instruire. Il devra toutefois se garder de se satisfaire d’une formation hâtive de moniteurs agricoles selon les errements de certains pays. L’agriculture est un genre de vie sur tous les éléments duquel il convient d’agir pour améliorer la condition des cultivateurs. Seul un conseiller rural est à même d’intervenir efficacement dans ce sens, s’il a été instruit par un stage méthodiquement organisé des principes généraux et des méthodes de la vulgarisation et de la modernisation rurale, comme de l’organisation sociale et de l’éducation populaire. A ce prix, fort de sa double formation technique et sociale, il sera à même de déceler les besoins des fellahine, de saisir l’ordre d’urgence des travaux à entreprendre, de convaincre par persuasion sans tâcher pour forcer l’adhésion par l’autorité.

Pareille modernisation de l’agriculture est liée à la restauration des sols organisée en Algérie par arrêté du 7 juillet 1945 selon une méthode originale reprise par de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. Le climat xérothérique favorise le décapage du sol par l’érosion éolienne et hydraulique. Trente-cinq mille hectares sont ainsi dégradés chaque année, cent hectares de terres chaque jour effacés, alors que cinq cents bouches de plus sont à nourrir. Il fallait pour y parer recourir à des moyens qui puissent convaincre les fellahine de l’utilité des plantations de fixation des terres au lieu de les contraindre à les respecter. Il importait de planter des arbres fruitiers qu’ils eussent intérêt à protéger pour en tirer une récolte si possible au bout de quelques années seulement. C’est pourquoi j’avais créé un service indépendant de défense et de restauration des sols responsable du paysanat montagnard adonné à l’arboriculture fruitière, pour appliquer une technique nouvelle. Au lieu de prévenir l’érosion en consolidant le sol attaqué par un boisement forestier exigeant un délai de trente ans et tentant en jeunes pousses pour la dent des caprins des nomades, cette technique consiste à agir sur l’eau qui attaque le sol par sa masse et par sa vitesse en la conduisant dans des rigoles à faible pente creusées selon les courbes de niveau et en édifiant de petits barrages dans les ravins. Ainsi est facilitée l’infiltration de l’eau dans les couches perméables de la terre et le sol en pente est-il transformé en succession de paliers à bordures surélevées, parallèles et distants de quelques mètres sur lesquels sont pratiquées des cultures d’arbres fruitiers, en alternance de figuiers produisant au bout de trois ans et d’oliviers produisant au bout de huit ans. La défense et la restauration des sols revêtent en Algérie un caractère d’impérieuse nécessité. Cinq millions d’hectares y sont à protéger contre les crues qui dénudent les versants des bassins, envasent les barrages et ensablent les ports. Partout où ils ont été effectués, les travaux de défense et de restauration des sols ont arrêté les érosions destructrices, cicatrisé les plaies anciennes, rétabli l’équilibre des terres et causé la reprise de la genèse pédologique qui améliore la valeur des terres, le rendement des récoltes et la situation des fellahine. En la seule année 1946, dix mille hectares avaient été traités, soit l’équivalent des deux tiers de la surface reboisée au cours des cent années précédentes, cinquante mille hectares étaient traités les années suivantes. Ainsi était assurée la prospérité de six cent mille petits exploitants. Mais, en dépit des résultats acquis, l’accélération de la dégradation des sols l’emporte encore sur l’efficacité des mesures prises pour conserver le patrimoine de l’Algérie, où il importe d’appliquer intégralement le plan que j’avais tracé en 1946, et de protéger au moins cinquante mille hectares par an.

La sauvegarde des cultivateurs doit s’accompagner aussi bien d’une sauvegarde des éleveurs qui représentent une proportion importante des musulmans, singulièrement des nomades. C’est dans cette vue que j’avais tracé et mis à exécution en 1945 le plan de construction de cinq établissements frigorifiques sur les hautes plaines dans les zones de transhumance des éleveurs de moutons. Par les années de grandes sécheresses cycliques, ces derniers ont accoutumé de voir fondre les trois quarts de leur troupeau et d’être réduits à la misère, voire à la famine. Pour prévenir ces ruines, les établissements frigorifiques prévus permettaient l’achat des moutons menacés de périr, leur abattage, leur conservation et leur expédition en viande vers les villes. Ainsi les éleveurs recevaient-ils un prix rémunérateur de leurs troupeaux grâce à quoi ils étaient à même de reconstituer leur cheptel et de subsister en attendant la fin de la période de sécheresse. Les travaux de construction des abattoirs frigorifiques commencés en 1947 à Tiaret ont été terminés en 1948. L’établissement n’a pas encore été ouvert, en raison des oppositions soulevées contre le principe d’une chaîne de frigorifiques.

Or la mise en service de cette chaîne est vitale pour la masse des petits et moyens éleveurs d’Algérie. Il reviendra au nouvel Etat de se doter de cet important appareil de stabilisation économique pour l’avantage de ses populations nomades et semi-nomades.

En se constituant en Etat indépendant en accord avec la France, l’Algérie bénéficie de l’importante structure administrative et technique d’un pays occidental. Elle dispose d’une proportion de cadres musulmans pour en conserver l’usage. La France se doit de répondre aux demandes qui lui seront adressées par le gouvernement d’Alger non seulement pour remplacer les cadres qui auront voulu quitter le pays, mais encore pour fournir ceux appelés à occuper les postes nouveaux en création à la faveur des plans d’équipement et d’extension nécessaires. Désormais les relations de la France et de l’Algérie procéderont avant tout de la coopération technique en tirant parti des liens étendus et resserrés par près d’un siècle et demi d’accoutumances. Elles devront s’adapter aux structures nouvelles qui résulteront de l’affirmation de la personnalité algérienne.

Yves Chataigneau

Ambassadeur de France, ancien gouverneur général de l’Algérie.


Alexandre Zinoviev : La grande rupture – Analyse de la supra société globale

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Le 10 mai 2006, s’éteignait dans le silence général Alexandre Zinoviev, logicien, écrivain et philosophe Russe. Plutôt que de faire du copié/collé de biographie disponible sur Internet, voici retranscrite une partie de sa dernière Interview avant son retour en Russie, après 23 ans d’exil, à l’heure ou la Serbie était martyrisée par l’OTAN. Alexandre Zinoviev dresse un bilan sans illusions et hautement critique de ses 23 ans en Occident.
Avec quels sentiments rentrez vous après un exil si long ?
Avec celui d’avoir quitté une puissance respectée, forte, crainte même et de retrouver un pays vaincu, en ruines. Contrairement à d’autres, je n’aurais jamais quitté l’URSS si on m’avait laissé le choix. L’émigration a été une vraie punition.
On vous a pourtant reçu a bras ouverts !
C’est vrai………Mais malgré l’accueil triomphal et le succès mondial de mes livres, je ne me suis jamais senti chez moi ici…
Depuis la chute du système communiste, c’est le système occidental qui est devenu votre principal sujet d’études? Pourquoi? 
Parce que ce que j’avais dit est arrivé : la chute du communisme s’est transformé en chute de la Russie. La Russie et le communisme formaient une seule et même chose.
La lutte contre le communisme masquait t’elle une lutte contre la Russie?
Absolument. La catastrophe Russe à été voulue et programmée ici en Occident. Je le dis car ai été à une certaine époque un initié. J’ai lu des documents, participé à des études qui sous couverts de combattre une idéologie, préparaient la mort de la Russie. Et cela m’est devenu insupportable au point ou je ne peux plus vivre dans le camp de ceux qui détruisent mon pays et mon peuple. L’Occident n’est pas une chose étrangère pour moi, mais une puissance ennemie.
Seriez vous devenu un patriote? 
Le patriotisme n’est pas mon affaire, ce n’est pas mon problème. J’ai recu une éducation internationaliste et je lui reste fidèle. Je ne peux pas dire si j’aime ou non les Russes. Mais j’appartiens a ce peuple et à ce pays. J’en fais partie. Les malheurs actuels de mon peuple sont tels que je ne peux continuer à les contempler de loin. La brutalité de la mondialisation met en évidence des choses inacceptables.
Les dissidents Soviétiques parlaient pourtant comme si leur patrie était la démocratie et leurs peuple les droits de l’homme. Maintenant que cette manière de voir est dominante en Occident, vous semblez la combattre. N’est ce pas contradictoire ? 
Pendant la guerre froide, la démocratie était une arme dirigée contre le communisme, mais elle avait l’avantage d’exister. On voit d’ailleurs aujourd’hui que l’époque de la guerre froide a été un point culminant de l’histoire de l’Occident. Un bien être sans pareil, un extraordinaire progrès social, d’énormes découverts scientifiques et techniques, tout y était ! Mais l’Occident se modifiait presque imperceptiblement. L’intégration timide des pays développés commençait alors et constituait les Prémisses de la mondialisation de l’économie et de la globalisation du pouvoir auxquels nous assistons aujourd’hui. Une intégration peut être généreuse, positive si elle répond par exemple au désir légitime des nations nées de s’unir. Mais celle ci à dès les départ été pensé en termes de structures verticales, dominées par un pouvoir supranational. Sans le succès de la contre révolution Russe, il n’aurait pu se lancer dans la mondialisation. Le rôle de Gorbatchev n’a donc pas été positif ? Je ne pense pas en ces termes la. Contrairement à l’idée communément admise, le communisme ne s’est pas effondré pour des raisons internes. Sa chute est la plus grande victoire de l’histoire de l’Occident. Victoire colossale qui, je le répète, permet l’instauration d’un pouvoir planétaire. Mais la fin du communisme a aussi marqué la fin de la démocratie, notre époque aujourd’hui n’est pas que post communiste, elle est aussi post démocratique. Nous assistons aujourd’hui à l’instauration du totalitarisme démocratique, ou si vous préférez à l’instauration de la démocratie totalitaire.
N’est ce pas un peu absurde ? 
Pas du tout. La démocratie sous entend le pluralisme Et le pluralisme suppose l’opposition de au moins deux forces plus ou moins égales. Forces qui se combattent mais n’influencent en même temps ; il y avait à l’époque de la guerre froide, une démocratie mondiale, un pluralisme globale au sein duquel cohabitait, coexistait le système capitaliste et le système communiste, et même une structure plus ou moins vivante, les non-alignés. Le totalitarisme communiste était sensible aux critiques venant de l’Occident et celui ci subissait aussi l’influence du communisme par le biais notamment de ses partis communistes. Aujourd’hui nous vivons dans un monde dominé par une idéologie unique, un fait unique, par un parti unique mondialiste.La constitution de ce dernier a commencé a l’époque de la guerre froide, quand des structures transnationales se sont mises en oeuvre sous les formes les plus diverses : médias, sociétés bancaires, sociétés commerciales…Malgré leurs différents secteurs d’activités, ces forces étaient unies par leur nature supranationale. Avec la chute du communisme, elles se sont retrouvées aux commandes du monde. Les pays occidentaux sont donc dominateurs, mais aussi dominés car perdent progressivement leur souveraineté au profit de ce que j’appelle la «supra société». Elle est constituée d’entreprises commerciales et non commerciales dont la zone d’influence dépassent les nations. Les pays occidentaux sont soumis comme les autres au contrôle de ces structures non nationales..Or la souveraineté des nations est elle aussi une part considérable et constituante du pluralisme, donc de la démocratie, à l’échelle de la planète. L’intégration Européenne qui se déroule sous nos yeux, provoque elle la disparition du pluralisme au sein de ce conglomérat, au profit d’un pouvoir supranational.
Mais ne pensez vous pas que la France ou l’Allemagne continuent à être des pays démocratiques ?
Les pays occidentaux ont connu une vraie démocratie à l’époque de la guerre froide. Les partis politiques avaient de vraies divergences idéologiques et des programmes politiques différents. Les organes de presse avaient des différences marquées, eux aussi. Tout cela influençait la vie des gens, contribuait à leur bien être. C’est bien fini.
Parce le capitalisme démocratique et prospère, celui des lois sociales et des garanties d’emploi devait beaucoup à l’épouvantail communiste. L’attaque massive contre les droits sociaux à l’ouest à commencé avec la chute du communisme à l’ouest. Aujourd’hui les socialistes au pouvoir dans la plupart des pays d’Europe mènent une politique de démantèlement social qui détruit tout ce qu’il y avait de plus socialiste justement dans les pays capitalistes. Il n’existe plus en occident de force politique capable de défendre les humbles. L’existence des partis politiques est purement formelle. Leurs différences s’estompent chaque jour d’avantage.
(…).
La démocratie tend aussi à disparaître de l’organisation sociale occidentale.
Cette super structure non démocratique donne des ordres, sanctionne, bombarde, affame. Même Clinton s’y conforme. Le totalitarisme financier a soumis les pouvoirs politiques. Le totalitarisme financier est froid. Il ne connaît ni la pitié, ni les sentiments. Les dictatures politiques sont pitoyables en comparaison de ce totalitarisme la. Une certaine résistance était possible au sein des dictatures les plus dures, aucune révolte n’est possible contre une banque.
Et la révolution? 
Le totalitarisme démocratique et la dictature financière excluent la révolution sociale.
Pourquoi? 
Parce qu’ils combinent la brutalité militaire toute puissante et l’étranglement financier planétaire. Toutes les révolutions ont bénéficié de soutien venu de l’extérieur, c’est désormais impossible, de par l’absence de pays souverains. De plus la classe ouvrière à été remplacée par la classe des chômeurs au bas de l’échelle sociale, or que veux un chômeur ? Un emploi. Ils sont dans une situation de faiblesse, contrairement à la classe ouvrière du passé.
Tous les systèmes occidentaux avaient une idéologie. Quelle est celle de cette nouvelle société que vous appelez post démocratique?
Nous sommes dans une époque post idéologique mais en réalité la supra idéologie du monde occidental diffusée au cours des 20 dernières années est bien plus forte que l’idéologie communiste ou nationale-socialiste. Le citoyen occidental est bien plus abruti que ne l’était le soviétique moyen par la propagande communiste. Dans le domaine idéologique, l’idée importe moins que les mécanismes de sa diffusion. Or la puissance de diffusion des médias occidentaux est énorme. (…) Il suffit que la décision soi prise de stigmatiser un Karadzic ou un Milosevic et ça y est, une machine de propagande planétaire se met en branle. Et alors qu’il faudrait juger les dirigeants occidentaux pour viol de toutes les règles de droit existants… La majorité des citoyens occidentaux sont persuadés que la guerre contre la Serbie était juste. (…).
L’idéologie occidentale combine et fait converger les idées en fonction des besoins. L’une de ces idées est que les valeurs et le mode de vie occidentaux sont supérieurs aux autres. Essayez de convaincre les Américains moyens que la Russie en meurt, ils n’y croiront pas mais continuerons d’affirmer que les valeurs occidentales sont universelles, appliquant ainsi l’un des vieux principes du dogmatise idéologique. Les théoriciens, médias, dirigeants sont persuadés d’avoir raison, et que l’homme occidental ; porteur de ces valeurs est un nouveau surhomme. (…).
Quelle est l’idée maîtresse de cette idéologie dominante en Occident ?
C’est le mondialisme, la globalisation autrement dit la domination mondiale. Et comme cette idée est asssez antipathique, on la camoufle sous le discours plus vague et généreux d’unification planétaire et de transformation du monde en un tout intégré. C’est le vieux masque soviétique de » l’amitié entre les peuples», destiné à couvrir l’expansionnisme. En réalité, l’Occident procède actuellement à un changement de structure à l’échelle planétaire. D’un côté elle domine le monde de la tête aux pieds, de l’autre s’organise elle même verticalement, avec le pouvoir supranational au sommet de la pyramide.
Un gouvernement mondial ?
Si vous voulez oui.
N’est ce pas être un peu victime de la théorie du complot ?
Quel complot ? Il n’y a aucun complot. Le gouvernement mondial est dirigé par les gouverneurs des structures supranationales, commerciales, financières et autres, connues de tous. Selon mes calculs, 50 millions de personnes a peu près font déjà partie de cette supra société qui dirige le monde. Les États Unis en sont la métropole. Les pays d’Europe occidentale et certains dragons Asiatiques la base. Les autres sont dominés selon une dure gradation économico financière. Ça c’est la réalité. La propagande elle dit qu’un gouvernement mondial, contrôlé par un parlement mondial serait souhaitable et que le monde est une vaste fraternité. Ce ne sont la que des balivernes destinées à la population. (…)
Les totalitarismes du 19ième siècle ont été extrêmement violents. On ne peut pas dire la même chose de la démocratie occidentale. Ce ne sont pas les méthodes mais les résultats qui importent. Les Russes ont perdu 20 millions d’hommes et ont eu des destructions considérables en combattant l’Allemagne Nazie. Pendant la guerre froide, sans bombes ni canons, ses pertes sur tous les plans ont été bien plus considérables, pertes de 10 ans de l’espérance de vie, la mortalité infantile est catastrophiques, 2 millions d’enfants ne dorment pas à la maison, 5 millions d’enfants en âge d’étudier ne vont pas à l’école. Il y a 12 millions de drogués recensés. L’alcoolisme est généralisé. 70% des jeunes ne sont pas aptes au service militaire à cause de leur état physique. Ce sont la les conséquences directes de la défaite de la guerre froide, défaite suivie par l’occidentalisation. Si cela continue, la population du pays va passer à 50 millions d’habitants, le totalitarisme démocratique surpassera en violence tous ceux qui l’ont précédé….
En violence …. ? 
La drogue, la malnutrition, le SIDA sont plus efficaces que la violence guerrière. L’Occident vient d’inventer la guerre pacifique. L’Irak et la Yougoslavie sont deux exemples de réponse disproportionnée et de punition collective, que l’appareil de propagande se charge de d’habiller en guerres justes. L’exercice de la violence par les victimes contre elles mêmes est une technique prisée. La contre révolution Russe en est un exemple. Mais en faisant la guerre à la Yougoslavie, les pays d’Europe occidentale se la sont faites à eux mêmes. Selon vous la guerre en Serbie était une guerre contre l’Europe ? Absolument ! Il existe au sein de l’Europe, des forces capables d’agir contre elle mêmes. La Serbie a été choisie, parce qu’elle résistait au rouleau compresseur mondialiste. La Russie pourrait bien être la suivante, avant la Chine…

Vous dites que la démocratie totalitaire était colonisatrice. Pour Marx, la colonisation était civilisatrice, pourquoi ne le serait elle pas à nouveau ?

Pourquoi pas en effet ? Mais pas pour tout le monde. Quel est l’apport des indiens d’Amérique au monde ? Presque nul car ils ont été exterminés? Ecrasés. Voyez maintenant l’apport des Russes ! L’Occident se méfiait moins de la puissance militaire soviétique que de son potentiel intellectuel, artistique, sportif. Parce qu’il dénotait une extraordinaire vitalité. Or c’est la première chose à détruire chez son ennemi. Et c’est ce qui à été fait. La science Russe dépend aujourd’hui des financements Américains. Et est dans un état pitoyable, car ses derniers n’ont aucun intérêt à faire travailler leurs concurrents. Ils préfèrent faire travailler les avants Russes aux Etats-Unis. Le cinéma soviétique a lui aussi été détruit et remplacé par le cinéma Américain. En littérature, c’est la même chose. La domination mondiale s’exprime, avant tout, par le diktat intellectuel ou culturel si vous préférez. Voilà pourquoi les Américains s’acharnent depuis des décennies a faire baisser le niveau culturel et intellectuel du monde : ils veulent baisser au leur pour pouvoir exercer ce diktat.
Mais cette domination ne serait elle pas un bien pour l’humanité ? 
Ceux qui vivront dans 10 générations pourront effectivement dire que les choses se sont faites pour le bien de l’humanité, autrement dit pour leur bien a eux. Mais qu’en est il du Français ou du Russe aujourd’hui ? Peut il se réjouir si il sait que son avenir est celui des indiens d’Amérique ? Le terme humanité est une abstraction…Dans la vie réelle il y a les Russes, les Chinois, les Français, les Serbes…etc. Or si les choses continuent comme elles sont parties, les peuples qui ont fait notre civilisation, je pense essentiellement aux peuples latins, vont disparaître. L’Europe occidentale est submergée par une marée d’étrangers et ce n’est pas un hasard. Nous n’en avons pas encore parlé mais cela n’est ni le fruit du hasard ni le fruit d’un mouvement incontrôlable….Le but est de créer une situation semblable à celle des Etats Unis. Savoir que l’humanité va être heureuse mais sans Français ne devrait pas réjouir les Français actuels. Après tout laisser sur notre terre un nombre limité de gens qui vivraient comme au paradis pourrait être un projet rationnel. Ceux la penseraient sûrement que le bonheur est l’aboutissement de la marche de l’histoire. Non il n’est de vie que celle que nous et les nôtres vivons aujourd’hui.
Le système soviétique était inefficace. Les sociétés totalitaires sont elles condamnées à l’inefficacité?
Qu’est ce que l’efficacité? Aux Etats Unis, les sommes dépensées pour maigrir dépassent le budget de la Russie. Et pourtant le nombre de gros augmente. Et il y a des dizaines d’exemples de cet ordre.
Peut on dire que l’Occident vit actuellement une radicalisation qui porte les germes de sa propre destruction ? 
Le nazisme a été détruit dans une guerre totale. Le système soviétique était jeune et vigoureux. Il aurait continué à vivre si il n’avait pas été combattu de l’extérieur. Les systèmes sociaux ne s’autodétruisent pas. Seule une force extérieure peut anéantir un système social. Comme seul un obstacle peut empêcher une boule de rouler. Je pourrais le démontrer comme on démontre un théorème. Actuellement nous sommes dépassés par un pays disposant d’une supériorité économique et militaire écrasante. Le nouvel ordre mondial se veut unipolaire. Si le gouvernement supranational y parvenait, n’ayant aucun ennemi extérieur, ce système pourrait exister jusqu’à la fin des temps. Un homme seul peut être détruit par ses propres maladies. Mais un groupe même restreint aurait tendance à survivre, ne fut ce que par la reproduction. Imaginez un système social composé de milliards d’individus !! Ses possibilités de repérer et d’arrêter les phénomènes destructeurs seraient infinies. Le processus d’uniformisation du monde ne peut être arrêté dans l’avenir prévisible. Car le totalitarisme démocratique est la dernière phase de l’évolution de la société occidentale. Evolution commencée à la Renaissance.
Extrait du livre de Alexandre Zinoviev: «La grande rupture» Disponible à l’age d’homme. L’entretien à été réalisé par Victor Loupan à Munich en juin 1999 quelques jours avant le retour définitif de Zinoviev en Russie.


Sarah Haider : virgules en trombe.

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Fateh Boureboune

En attendant la parution du nouveau roman de Sarah Haider, je poste ma lecture de “virgules en trombe.”

Une petite tranche saignante pour les non végétariens ou végétaliens puisque les deux concepts existent aujourd’hui, de “Virgule en trombe” de Sarah Haider. J’ai dit une tranche et croyez-moi que le gâteau est pantagruélique.

Auteure : Sarah Haider
Titre : Virgules en trombe.
Editions APIC 2013

D’emblée, sans craindre la contradiction par la preuve, Il est péremptoire de reconnaître, à « Virgules en trombe » sa haute valeur littéraire, son esthétique magnifique. De plus, le texte nous impose des haltes sentencieuses d’une philosophie subtile, des joyaux scintillants dans l’univers quasi gothique des bouges et des caves, des ombres et des pénombres, des rongeurs et des acridiens.

Dans « Virgules en trombe » l’ivresse est un état d’esprit, un état d’âme, un état second pour accéder à la délivrance des sens premiers de la conscience reléguée à l’état second. Or, l’état second est aussi atteint sans ivresse, ou par une autre forme d’ivresse obtenue par le truchement d’un flacon nommé délire quotidien.

Entre la pensée promise et la pensée soumise pour les besoins de la soumission libératrice, la liberté est ravie, et se ravit d’être ravie pour se soumettre et s’autoriser à l’exprimer.

Le cercle vicieux dans lequel tourne l’écrivain astucieux, à la fois soleil et terre relève de la pleine conscience. L’un éclaire l’autre. Pendant que la seconde fait sa révolution le premier déclare sa force où la seconde puise. La seconde ne s’épuise jamais pour que reluise la vérité chaque fois prisonnière de la nuit. Cycle nycthéméral de la conscience s’éblouissant de soleil et éblouissant la nuit.

« Pour un coup d’essai – c’est l’opportunité de le dire, la citation s’impose- ce fut un coup de maître. » Premier texte en français d’une auteure habituée de donner de l’amplitude à sa phrase de la droite vers la gauche. Elle change la rotation de la terre pour écrire et lire le monde à l’envers dans son authentique réalité.

La réalité? Les réalités dans lesquelles s’amenuisent les existences sujettes aux lubies de volontés discrètes et secrètes agissant ouvertement alors que l’univers ne s’aperçoit que par une petite ouverture du toit ou par l’ouverture d’un moi à l’écriture et à un mode d’écriture ignorant la mode.

La plume de Sarah Haider atteste que l’écriture est un art, que la littérature n’est autre que l’art de mener les possibilités de la langue à leur paroxysme, de ne jamais sombrer dans la facilité et le simplisme. Car l’univers n’est pas complexe, il est désorganisé il tente de s’organiser dans le discours. Sarah Haider désorganise la narration pour que le discours tienne son discours sur un monde désorganisé.

Comment procède-t-elle ? Ah oui, faut bien une preuve par neuf puisque la preuve par l’œuf reste toujours hypothétique.

Sarah Haider nous le dit à sa façon et fait ce qu’elle dit à sa façon, elle façonne en maçon se refusant à toute loge. Je formule ce qu’elle dit ainsi: La poétique transfigure, assagit l’horreur comme le mysticisme mystifie et transforme la réalité. En d’autres termes : la poétique est à l’écriture ce que le mysticisme est à la vie.

Le style singulier des situations initiales des fables de J. de La fontaine verrouille le texte en son dernier chapitre, premier en réalité. Le défi est relevé, le forfait est déjà accompli. Le gant est jeté non pour l’offense mais pour signifier que la mission est accomplie.

Le chapitre 23, épistolaire en son genre, convoque Boris Vian, qui dit : « Si vous cherchez un message dans mes livres, il n’y en a pas. » Or, le dernier chapitre de « Virgules en trombe » nous délivre le message apocryphe suivant : « Le premier est le dernier. »
La formule : Le premier est le dernier, si elle se prête à la lecture explicite de l’évidence : le chapitre 23 eut dû porter le chiffre 1 elle autorise une seconde lecture allusive révélatrice des évidences du texte.

En effet, Démiurge/démiurge, et thaumaturge, l’écrivaine Dieu met en échec sa propre création et finit telle une simple créature au jugement dernier, reniée par à un dieu de pacotille jugeant toute création : l’éditeur.

Je répète que tout au long du texte, la poétique transfigure l’horreur à l’instar du mysticisme transformant et mystifiant la réalité.

Les histoires à dormir debout, tenant debout, traversant le texte de bout en bout ne sont que l’expression du désordre d’un monde éludé par les discours reconstructeurs d’une factice cohérence.

Comminatoire, le dernier chapitre a déjà accompli le forfait annoncé et dénoncé la forfaiture. Les points de suspension qui le laisse ouvert ont déjà clos l’univers sur sa réalité.

Sarah Haider nous dit et nous dicte que l’ordre parfait du monde n’est que désordre singulier que nos entendements appréhendent différemment grâce au pouvoir du discours mystique et poétique.
Le premier est le dernier n’a d’existence qu’a cette fin.

Soyez indulgents, ne m’en veuillez pas, ma folie est douce, celle du livre de Sarah ne l’est pas. J’ai procédé à une lecture de l’intérieur de l’écriture, dans la pénombre de l’imprévoyance des sens que le monolithe typographié contient sans nous en prévenir.

Fateh Boureboune

 



Ressources existentialisme

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http://www.critical-theory.com/

Bibliographie

Principaux ouvrages

Allemagne/Danemark
France
Russie

Études critiques

 

 

 

 


Omar Mokhtar Chaalal : « Le Fugitif »

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Auteur : Omar Mokhtar Chaalal.
Titre : Le fugitif.
Genre : roman. XI chapitres titrés.
Editions : Casbah. 2006. 127 pages.

Préambule.
J’informe mes ami/e/s littéraires et mes ami/e/s lecteurs lectrices initié/e/s aux théories littéraires, qu’une certaine terminologie appartient à mes propres théories dont je fais un sage usage assuré de sa pertinence et sans crainte de la profanation de l’orthodoxie du temple académique condamnant à l’hérésie et à la vanité toute innovation.

Ceci est un bref article. J’y présente quelques pistes pour ceux qui souhaitent participer à l’élaboration de l’ouvrage réservé à notre défunt ami. Je suis au travail depuis longtemps.

Ma présentation est brève les redondances qu’elle contient lui sont nécessaires.

« Le fugitif »

Le titre est éloquent est initie par son seuil, – le seuil au sens de Gérard Genette- le lecteur, au double et complémentaire sens du titre : homme traqué ne s’autorisant que des apparitions fugaces afin d’échapper à ses poursuivants.

L’objet de la traque est bien entendu une proie et toute proie connait des prédateurs. Or, dans ce cas précis, la proie en plus d’être un homme, Hocine/Omar, c’est aussi son esprit, ses idées qui doivent être mis à l’écart de la société, au rancart, au quart des matons après avoir été maté/s.

En guise de commentaire à l’illustration en première de couverture, une maison de la casbah d’Alger, certainement la Rue des Vandales, je cite une phrase de la p22 : « Puis nous nous engouffrâmes dans l’étroite ruelle. Une ruelle semblable à la rue des Vandales de Yacine, une ruelle sans image et sans cartes postales. »
Rue anonyme, faite pour les fugitifs : sans images et sans cartes postales l’expression accroît l’atmosphère et l’esprit de la clandestinité. La convocation de Kateb Yacine que Omar Chaalal interpelle plusieurs fois comme il le fait pour son poète d’élection le Prix Nobel Nazim Hikmet sont des références idéologiques certaines, iconographie de la lutte.

Le titre est une porte ouverte sur l’incipit qui mène de plain-pied dans l’action clandestine décrite au premier chapitre. Petit matin gris et pluvieux d’un hiver algérois. Rendez-vous précautionneux entre deux partisans devant aller à un rendez-vous clandestin ayant lieu à El Harrach. Le trajet y est décrit, s’il est loin de l’hypotypose, il propose un aperçu des haltes et des lieux, connaissances indispensables à tout fugitif.

L’exipit quant-à lui, verrouille le texte d’un épisode à haut risque par quelques vers traitant du père de Hocine/Omar, debout sur le quai de la gare de Sétif sous la surveillance de deux policiers. Le père n’a pas l’occasion de rencontrer Hocine/Omar à Sétif, puisque la police est sur les traces du fugitif.

« Deux larmes s’écroulèrent sur les joues du père,
L’une tomba dans le cœur du proscrit,
L’autre inonda le monde de l’oppression… »

Fouillant discrètement du regard le quai de la gare, le fugitif aperçoit son paternel et retient comme un scotome, une empreinte rétinienne indélébile, deux larmes sur les joues du père.

C’est l’hiver, un hiver algérois pluvieux, des militants clandestins du PAGS, dont l’un activement recherché par la police se rencontrent pour aller vers une réunion secrète.

Rendez-vous fixe, rendez-vous de rattrapage, messages codés, tout l’arsenal de la clandestinité y est décrit.

Hocine/Omar, dont l’identité fut révélée sous la torture lors de l’arrestation d’un autre membre du parti dans un commissariat de Sétif est le narrateur de l’hivernale aventure.

Le récit est testimonial. Derrière le prénom de Hocine se tient Omar Mokhtar Chaalal, repérable grâce à ce que je nomme : « les identités identifiantes » autrement dit, les éléments de fiction repérables dans la biographie de l’auteur, éléments faisant passer le vraisemblable fictionnel vers le réel autobiographique, chassant ainsi toute approche par l’autofiction et toute idée d’autofiction.

Si « l’anonymat aspectuel » absence de portrait physique des personnages, est une pratique d’écriture particulière au roman moderne, Chaalal en fait un usage subtile pour mieux présenter l’anonymat si nécessaire à la vie clandestine.

Savoureusement bien écrit, soulagé de toutes surcharges, « Le fugitif » écrit filmique à souhait, procède à une comparaison assez subtile entre les pratiques policières de l’époque coloniale et celles des services de sécurité et policiers de l’Algérie indépendante.
L’épopée narrée inscrit son chronotope en hiver au mois de ramadhan, entre Alger et Sétif et retour vers la capitale.

L’onomastique est régionale, le recours au quolibet ou surnom a pour but de résumer la vie des personnages avant leur engagement dans l’action politique clandestine.

Hocine/Omar, le fugitif, hébergé à la Casbah d’Alger apprend que son frère est malade et hospitalisé. Il contrevient à toutes les règles de sécurité du parti et en compagnie de Youcef le constantinois, il se rend à Sétif sous les trombes de neige que connaissait la région à l’époque du récit.

Sachant les gares surveillées, lui et son compagnon de lutte descendent du train en marche à Mezloug. Ils affrontent le froid, la faim, les chiens et les risques de mauvaises rencontres et ne peuvent compter sur le secours d’un camarade résidant des lieux prénommé Lamri n’ayant pas répondu à leurs appels pour raison d’absence assurément.

Les camarades de lutte luttent aussi contre la neige, le vent, le froid, les fondrières et les flaques d’eau invisibles. La forêt qu’ils traversent n’est pas non plus de tout repos.

Ils arrivent à Sétif où toutes les précautions ne peuvent empêcher la dénonciation. Hocine/Omar fuit l’hôpital dans un précipité catimini.

Pour repartir vers Alger, le fugitif se rend à El Eulma où il est enfermé par un cheminot membre du parti dans un wagon réservé au service et donc fermé à clé.

Les deux récits enchâssés les plus importants servent à la fois à la comparaison entre l’époque coloniale et l’Algérie indépendante et réinscrivent le personnage dans son enfance courageuse et combattive du temps de la même colonisation.

L’importance accordée dans la narration aux évènements du parcours Alger Sétif, viennent au secours de l’anonymat ou du souci de l’anonymat du fugitif. Ils le rendent moins présent dans l’écriture même s’il est lui-même narrateur.

Ceci est une présentation succincte du Fugitif, récit on ne peut plus savoureux de l’hiver ramadanesque d’un clandestin en son propre pays.

Honneur et Gloire à ta mémoire, Omar Mokhtar Chaalal.

— Notes :

Omar Mokhtar Chaalal est né le 13 février 1946 à Sétif et décédé à l’âge de 70 ans. Il a dirigé l’institut de formation professionnelle et la maison de la culture de Sétif.

ses ouvrages :

  • Le proscrit. poésie, Barzakh, Alger 2000.
  • Kateb Yacine, l’homme libre . essai biographique, Casbah- Editions , Alger, 2003.
  • Le fugitif , roman, Casbah-Editions, Alger, 2006.
  • Talghouda, roman, Casbah-Editions, Alger, 2009.
  • L’Entente au coeur, Casbah-Editions, Alger, 2016.

Fateh Boureboune


Hier, ce matin et demain

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Hier tard dans la nuit noire, je me suis endormi avec ton image.
Je contemplais tes paroles écrites sous mon clair de lune
comme des étoiles, j’y lisais ton âme dans la mienne
libre, sauvage, et désespéré
qui recherchait dans ton regard d’ermite
le mystère de l’éternité.

Ce matin à l’aube,  je me suis levé avec ton visage
ton regard étais le seul à peupler mon univers
de roses rouges, de vins, et de magnificences,
de couleurs émeraudes, d’onde, et de tendresses
de senteurs exaltantes, de fontaines, et de symphonie
de cris, de vers, et de silences

Demain en plein jour,  j’irais m’ensevelir dans ton rivage
mon visage couvert de ta chevelure
mon regard fermé sur tes yeux
mes bras tout autour de ta poitrine
pour engloutir mon étoile dans ton éternité
et ma bouche dans ton immortalité

Jamouli

 

L’Orient et l’Occident à l’heure d’un nouveau Sykes-Picot

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Chers amis lecteurs,
Comme promis précédemment, je vous offre GRATUITEMENT la possibilité de lire mon livre intitulé « L’Orient et l’Occident à l’heure d’un nouveau Sykes-Picot », édité chez Alem El Afkar en septembre 2014. Cette maison d’édition, petite par sa taille mais grande par sa ligne éditoriale et sa générosité multiforme, n’a pas hésité un seul instant à accéder à ma demande de mettre le livre à la disposition des lecteurs à titre gracieux. Qu’elle trouve ici l’expression de ma profonde gratitude (et la vôtre ) pour ce geste remarquable. J’invite les lecteurs à prendre connaissance des autres titres publiés par Alem El Afkar sur des thématiques tout aussi importantes, disponibles dans la plupart des librairies d’Algérie.Bonne lecture et bon partage, en respectant la condition du copyright ci-dessous indiquée.
Amir NOUR© AMIR NOUR, 2015. Tous les droits sont réservés à l’auteur. Cette version électronique est réservée pour un usage privé et non pour une utilisation collective ou commerciale. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur est illicite. Une telle représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, sans autorisation expresse et écrite de l’auteur, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par le code pénal.Pour accéder au texte PDF, cliquez sur le lien suivant:

http://www.mezghana.net/amir-nour.pdf

Présentation du livre par M. Ahmed Taleb-Ibrahimi :

Dans l’excellente préface qu’il a consacrée à la version en langue arabe de l’ouvrage d’Amir Nour, M. Ahmed Taleb-Ibrahimi, ancien ministre des Affaires étrangères algérien (1982-1988) s’interroge : «Comment ne pas relever les similitudes entre la situation d’hier et celle d’aujourd’hui ? Sykes-Picot d’hier avait été concocté par les puissances coloniales dans le but de détruire le califat islamique, en jouant sur la fibre nationaliste arabe et Sykes-Picot d’aujourd’hui est orchestré par ces mêmes puissances, conduites principalement par les Etats-Unis et Israël, pour porter atteinte à l’intégrité physique de l’ensemble arabo-islamique et pour accaparer ses ressources naturelles, au moyen de l’accentuation de la partition des territoires et de l’encouragement ou de l’approfondissement des clivages ethniques, communautaires et confessionnels à l’intérieur des États qui le composent.» Il poursuit qu’aujourd’hui plus que jamais, les Arabes et les musulmans doivent prendre conscience des terribles manœuvres et complots qui se trament contre eux en allumant les feux de la discorde et de la sédition parmi les membres de la Oumma, entre sunnites et chiites, entre Arabes et Kurdes, entre Arabes et Berbères et entre musulmans et chrétiens. A l’instar d’Amir Nour, il est persuadé que dans ce combat, il n’est malheureusement pas possible de compter sur la Ligue des Etats arabes, confrontée qu’elle est à une division et à un délitement sans précédent dans son histoire ; ni elle n’est en mesure de répondre aux aspirations de ses peuples ni elle n’est capable de faire face aux menaces et à l’arrogance de ses ennemis. Preuve en sont les turpitudes dont souffre la cause centrale des Arabes et des musulmans, celle de la Palestine spoliée… Ahmed Taleb-Ibrahimi incite les Algériens à lire attentivement l’ouvrage d’Amir Nour, «car il se distingue par le choix judicieux d’écrits soigneusement documentés ; par la référence faite à des auteurs et à des travaux qui font autorité et d’autres moins connus ; par la sagacité de l’analyse conjoncturelle et par la clairvoyance de l’étude prospective».

« La réglisse de mon enfance » de Djamila Abdelli-Labiod : Un livre authentique

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Je viens d’ achever la lecture du premier ouvrage de Djamila Abdelli Labiod : « La réglisse de mon enfance ». C ‘est un livre authentique. C ‘est un livre écrit avec justesse et pondération, et nous percevons la profondeur des événement, le gouffre qui parfois s’ ouvre sous nos yeux, tant la délicatesse de la narratrice tend à nous en protéger…

La réglisse a, dans le fond et la forme, beaucoup à dire, à révéler, bien plus que les cris ou hurlements ne sauraient mieux exprimer… et la douceur omniprésente en chaque phrase voile à peine la réalité complexe, tragique des événement.

Depuis quelques années, j’ ai compris que les livres qui m’ appellent sont très généralement des biographies, des autobiographies…je n’ apprécie plus les poètes qui font métier des mots et de leur musique… on ne badine pas avec les mots, et je méprise les hommes qui se veulent poètes .

Djamùila Labiod est avant tout Djamila, une femme avec de grands yeux, elle a le regard clair, et sa plume est limpide, naturelle. Djamila écrit avec ses yeux de onze ans… le temps s’ est pour elle arrêté semble t il, à cet instant de sa vie… du moins a t il été suspendu… dans un vol d’ enfance.

Ce qui nous est nié ou restreint de notre enfance croît alors par un improbable chemin de vie, intérieur et muet… et lorsque vient le jour du « dit », le verbe est puissant.

Nul besoin d’ art formel pour étayer le discours du cœur, la peur des sites françur joies et leurs peines, leurs rires qui s’ envolent… et pourtant, le phrasé de Djamila est celui d’ une majestueuse Mezzo Soprano ; il a son timbre particulier, sa tessiture unique et une amplitude infinie… Où va Djamila notre cœur se porte.

Cheminer en réglisse est simple comme bonjour, agréable comme une promenade champêtre et familiale, goûteux comme seule l’ eau vive ; mais les grands moments de la vie des humbles sont d’ une autre nature que les petites éternités de la vie des grands de ce monde…

Je suis, moi, resté sous la table de la cuisine aux côtés de Djamila, quand le désespoir et la peur emplissait la maisonnée…. je suis resté aux côtés de sa mère évanouie, ne sachant ce qu’ il allait advenir entre l’ effroi et la perte.

Quand Djamila étais assise sur son banc d’ école, j’ étais à ses côtés, car on ne saurais fuir une telle identité.

Quand Dajamila accueillait la réussite, mes bras s’ ouvraient pour recevoir ses fleurs !

Quand Djamila sombrait dans le désespoir de ne plus être autorisée à étudier, ce sont mes entrailles qui se contractaient… et quand elle attendait seule et abandonnée sur le chemin de ses quinze ans, c’ est en moi que sa féminité souffrait.

L’ écriture de Djamila possède cette particularité de susciter la compassion, l’ altruisme, sans pour autant demander ni inviter.

Cette écriture est celle des humbles, comme on pourrait dire des Saints anonymes… ceux qui ne prétendent à rien que d’ être, avant de faire, et parfois même, au lieu de faire. Une bien noble parenté de l’ écriture, qui touche donc plus à la grâce de l’ enfance, à l’ innocence des mots et au verbe créateur…une naturelle bienfaisance dont tous les auteurs ne son pas dotés…

Le chant de Djamila est d’ avant de naître… j’ affectionne cette vision des choses qui prête plus à la bénédiction qu’ a l’ apprentissage la nature et la profondeur des mots . Mais sa pensée est d’ au delà du vivre… car pour penser avec autant de discernement, autant de conscience et d’ intuition, il faut bien reconnaître que les fées se sont penchées sur le berceau de Djamila… et l’ une d’ elle a dû y perdre sa baguette magique !

Cette écriture ne joue pas, ne trompe pas, ne théâtralise pas… mais bien plus, elle ne dramatise ni n’ idéalise, ce qui pourtant pourrait se concevoir…

Lorsque le drame est là, il se suffit à lui-même… et quand l’ amour est là, il se suffit à son devenir…

Djamila écrit en confiance, et nous lecteurs, ressentons cette confiance, nous la faisons nôtre.

L’ intime est partout présent néanmoins nulle part ostentatoire… il est suggéré, effleuré… mais ainsi que ne saurait le dire son auteur, jamais caressé.

Djamila Labiod pense t on , écrit comme une femme ? Non, elle écrit à mon sens comme une dame.. ce qui élève la parole d’ une femme au secret de son intime, sans éprouver jamais le besoin de le dévoiler.

Les passions nous invitent à de somptueuses écritures, lesquelles néanmoins souffrent fréquemment du poids pesant de leurs lourds fardeaux …. Mais en « réglisse », nous sommes bien plus légers que l’ air ; tranquilles et sereins, aériens !

Je ne suis pas certain que simplement l’ idée d’ un résultat ait jamais germé dans l’ esprit de Djamila, la pensée d’ un but absolu… non, aucunement…

Écrire ainsi, c’ est simplement coucher sur le papier les temps de la vie, libres ou complexes, jamais trop libres et toujours trop complexes…comme on parle aux oiseaux, comme François parlait à son loup, Mowgli à son ours et la petite sirène aux poissons…. mais qu’ ont ils trouvé, ces jardinier de la vie, autre que l’ amitié, l’ amour, la vie ?

Si la plume de Djamila fut apprécié et plébiscité par tous, cela tient à l’ humilité première de la personne, et donc de son écriture ; et cette qualité essentielle et innée ouvre toute les portes, y compris celles du paradis.

Nous pouvons alors, dans un tel véhicule, entendre, quelle que soit notre appartenance nationale ou sociale, les tristes réalités de l’ histoire, ébauchées, mais si claires ainsi décrites…

Nous pouvons alors, dans un tel flow d’ innocence réelle, entrer en compassion pour notre prochain, ainsi que notre propre histoire ne nous l’ a jamais ou si rarement permis … car le mensonge et l’ oubli ne servent jamais les grandes causes.

Nous pouvons accueillir, et l’ être, et la double appartenance de l’ auteur, Franco Algérienne…

Nous pouvons reconnaître l’ entière légitimité des familles algériennes, dans leurs quotidien injuste de souffrances indicibles…

Nous pouvons réapprendre à vivre nos voisins d’ en face, qui ne sont autres que par la lumière qui nous manqua tant…

Nous pouvons aussi demander secrètement pardon ; et si cela porte quelque écho, autant qu’ il soit intime mais profond…

Nous pouvons alors apprécier le temps perdu qui aurait tant servi la cause des femmes et celle fondamentale de l’ enfance, ici comme là bas, nous dire que sous notre propre voile se cache une insondable bêtise, et qu’ il est grand temps de prendre soin de ce qui doit l’ être.

La réglisse nous offre une seconde fois la possibilité de rentrer en classe, s’ asseoir aux côtés des petits enfants, le soi-même d’antan, et penser que le camarade voisin n’ est jamais en rien inférieur ni intrinsèquement méprisable… savoir pourtant que cela à été leur pain quotidien, une bien amère communion !

Djamila était heureuse , très heureuse de fréquenter l’ école de la république, et ses mots ne sont aucunement ceux du reproche ou du regret, mais tant de lumière dans les yeux d’ une enfant, tant de désintéressement même sur ses droits essentiels me laissent coât.

Djamila fut de toute évidence une enfant, une jeune fille exemplaire, et son âme est claire, c’ est pourquoi, tout ce qui n’ est pas dit , as revendiqué ni appelé, me vient résonner en moi après cette lecture…

Il reste que le chemin personnel de Djamila fut complexe, et à plusieurs titres douloureux, du moins inquiétant.

Porter une identité double et ne figurant pas sur sa propre carte nationale est difficile à vivre.. c’ est plus qu’ une blessure, c’ est une négation de la personne… Je dirais sans pouvoir comparer les histoires, que les alsaciens de France portent en eux cette même blessure, et leur vie se construit de puis plus de deux siècles sur cette non reconnaissance.

On ne peut que constater que les peuples au service d’ une nation , ayant payé entre autre un lourd tribu en terme de victimes, sont toujours niés dans leur réalité mixte.

Pour revenir à des sujets plus quotidien, je dirais ; Que me reste il de cette réglisse… ? Il me reste chaque souvenir égrainé au fil des pages d’ un temps quoi nous fut commun dans cette école, cette vie d’ écoliers (ères) néanmoins superbe des années 50-60 ; Je garde en mémoire les friandises que nous avons tous convoité, goûté ou dévoré, la saveur d’ une époque douce et heureuse ou l’ enfance était respectée et accompagnée vers la liberté et l’ accomplissement de soi-même.

Et je me dit que cette école , à travers toutes se difficultés avait su contribuer, en partie à la formation d’ enseignants comme Djamila. Ce n’ est pas seulement l’ école d’ hier, elle fût et reste encore pour de nombreux parents l’ école d’ aujourd’ hui, car ses principes essentiels sont défendus par beaucoup, et mis en pratique dans des écoles actuelle fort prisées, aux résultats sans égal. Je pense, bien que les entendement différents doivent être acceptés, que cette école d’ hier sera celle de demain, dans le fond et la forme… et je dirais, hors cela point de salut !

Le livre de Djamila Abdelli Labiod est un humble témoignage de la vie d’ une jeune enfant, puis d’ une adolescence dans la tourmente, mais aussi dans le contentement…et la réalisation.

Sa tourmente était celle incontournable d’ une époque et de l’ histoire…

Son contentement fut celui de l’ espérance chevillée au corps, et sa réalisation le fruit d’ un Vouloir, de l’ amour indéfectible pour les savoirs et l’ instruction scolaire.

La réglisse suave et prégnante de Djamila s’ appelle « éducation ».

Christian Guignard 20-03-2016.

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