Compte rendu de la Rencontre-Débat autour de Frantz Fanon organisée le Samedi 04 juin 2016, au Musée National du Bardo d’Alger.
« Par-delà l’antillais, nous visons tout homme colonisé », écrivait Fanon dans Peaux noires, masques blancs. Aussi, là où on lit « noir » et « antillais », on peut tout aussi bien lire « colonisé », et donc algérien, indien, etc. Voilà ce qui fait l’importance de l’œuvre de Fanon, son universalité, et sa brûlante actualité dans le contexte de reconquête néocoloniale que nous vivons aujourd’hui, notamment avec sa dimension culturelle.
Ainsi Fanon nous explique que contrairement aux assertions de Mannoni, « c’est le raciste qui crée l’infériorisé ». « Le colonisé se demande s’il est un homme par ce qu’on lui a contesté cette réalité d’âme. Il souffre de ne pas être un blanc dans la mesure où l’homme blanc lui impose une discrimination, fait de lui un colonisé, lui extorque toute valeur, toute originalité, lui dit qu’il parasite le monde. »
Ainsi, le racisme est né de « l’exploitation éhontée d’un groupe d’hommes par un autre parvenu à un stade de développement technique supérieur. » Le racisme est la tentative de PERPÉTUATION de cette supériorité technique née d’un développement historique, en déplaçant cette supériorité matérielle, et donc éphémère et contingente, en une supériorité MORALE, ESSENTIELLE, et donc FIXE et ÉTERNELLE. Autrement dit : ce n’est plus le moteur à vapeur qui a permis la supériorité technique occidentale, mais la supériorité raciale du blanc qui a permis le moteur à vapeur ; celui-ci n’est que le fruit de cette supériorité raciale. C’est de sa NATURE que le blanc tire sa supériorité, la technique n’est que la conséquence de cette supériorité, et non plus la cause. Inversion cause-effet propre à toutes les mystifications.
Raison pour laquelle « la véritable désaliénation du noir implique une prise de conscience abrupte des réalités économiques et sociales. S’il y a complexe d’infériorité, c’est à la suite d’un double processus :
Economique d’abord ;
Par intériorisation ou mieux épidermisation de cette infériorité, ensuite. »
Car avant de parvenir à cette prise de conscience, l’infériorisé va tenter une « lactification hallucinatoire », il va tenter de poser sur sa peau noire un masque blanc, et pour ce faire, nous explique Fanon : « Le noir antillais sera d’autant plus blanc, c’est à dire se rapprochera d’autant plus du véritable homme qu’il aura fait sienne la langue française. »
La langue de l’occupant sera pour lui l’échelle qui lui permettra de se hisser dans la hiérarchie raciale et culturelle établie par ce même occupant. Ainsi, constate Fanon : « Les noirs qui reviennent prêt des leurs (après un séjour en France) donnent l’impression d’avoir achevé un cycle, de s’être ajoutés quelque chose qui leur manquait. » Et à son retour, nous raconte Fanon, le « débarqué » ne connaît plus le patois qu’il a appris à mépriser déjà aux Antilles, à l’école coloniale, il « parle de l’Opéra », mais surtout « il adopte une attitude critique envers les siens ». C’est-à-dire qu’il ne perd pas l’occasion de leur reprocher d’être à la traîne de la civilisation blanche à laquelle son séjour l’a officiellement arrimé.
Or, cette vision réductrice n’est pas propre au « débarqué », elle est partagée par les autochtones. C’est que ces derniers possèdent d’eux-mêmes l’imago similaire qu’a l’européen du nègre. Et cette imago, c’est-à-dire cette représentation inconsciente, est chez l’européen celle du nègre responsable de tous les conflits qui peuvent naître.
C’est que, nous explique Fanon, « tout individu doit rejeter ses instances inférieures, ses pulsions, sur le compte d’un mauvais génie qui sera celui de la culture à laquelle il appartient. Cette culpabilité collective est supportée par ce qu’il est convenu d’appeler le bouc-émissaire. Or, le bouc-émissaire pour la société blanche – basée sur les mythes : progrès, civilisation, libéralisme, éducation, lumière, finesse- sera précisément la force qui s’oppose à l’expansion, à la victoire de ces mythes. Cette force brutale, oppositionnelle, c’est le nègre qui la fournit. »
Là où le bât blesse encore plus, c’est que « dans la société antillaise, où les mythes sont les mêmes que ceux de la société dijonnaise ou niçoise, le jeune noir, s’identifiant aux civilisateurs, fera du nègre le bouc-émissaire de sa vie morale. »
Car, affirme Fanon, « L’inconscient collectif, sans qu’il soit besoin de recourir aux gènes, est tout simplement l’ensemble des préjugés, des mythes, d’attitudes collectives d’un groupe déterminé. » « L’inconscient collectif est culturel, c’est-à-dire acquis. »
Comment se fait-il que les antillais acquièrent un inconscient collectif où le noir est similairement le bouc émissaire de toute bassesse humaine ? C’est que les antillais sont, en situation coloniale, bombardés – c’est le cas de le dire – par « une constellation de données, une série de propositions qui, lentement, sournoisement, à la faveur des écrits, des journaux, de l’éducation, des livres scolaires, des affiches, du cinéma, de la radio pénètrent un individu – en constituant la vision du monde de la collectivité à laquelle il appartient. Aux Antilles, cette vision du monde est blanche par ce qu’aucune expression noire n’existe. »
Fanon nous donne un exemple frappant à la réflexion – alors qu’il paraît anodin et presque dérisoire de prime abord – de cette « imposition culturelle irréfléchie » : La bande dessinée. « Les histoires de Tarzan, d’explorateurs de 12 ans, de Mickey et tous les journaux illustrés tendent à un véritable défoulement d’agressivité collective. Ce sont des journaux écrits par des blancs destinés à de petits blancs. Or le drame se situe ici, aux Antilles, ET NOUS AVONS TOUT LIEU DE PENSER QUE LA SITUATION EST ANALOGUE DANS LES AUTRES COLONIES, ce sont ces mêmes illustrés qui sont dévorés par les indigènes et le loup, le diable, le mauvais génie, le mal, le sauvage sont toujours représentés par un nègre ou un indien, ET COMME IL Y A TOUJOURS IDENTIFICATION AVEC LE VAINQUEUR, le petit nègre se fait explorateur, aventurier, missionnaire « qui risque d’être mangé par les méchants nègres » aussi facilement que le petit blanc. On nous dira que cela n’est pas très important ; mais c’est qu’on n’aura point réfléchi sur le rôle de ces illustrés. »
En conclusion : « Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un antillais, soumis à la méthode du rêve éveillé revive les mêmes fantasmes qu’un européen. C’EST QUE L’ANTILLAIS A LE MÊME INCONSCIENT COLLECTIF QUE L’EUROPEEN. »
Voilà qui rend caduque l’argumentaire éculé des aliénés qui, croyant avoir décrété – alors qu’on a en vérité décrété pour eux, qui ne font que sécréter – que l’algérien est sale, voleur, menteur, etc., se ruent sur chaque turpitude, chaque mégot de cigarette par terre, pour claironner : « Voyez ! Il faut bien admettre que nous décrivons un fait objectif. » C’est que lorsqu’on a décidé d’avance de l’infériorité congénitale, essentielle, d’un peuple, on est porté à ériger chaque erreur, turpitude ou bassesse des membres de ce peuple en preuve irréfragable d’une particularité raciale, à en induire une ESSENCE, comme l’explique Fanon dans cet exemple édifiant : « Récemment, un camarade nous disait que, sans être antisémite, il était obligé de constater que la plupart des juifs qu’il avait connu pendant la guerre s’étaient comportés en salauds. Nous avons vainement essayé de lui faire admettre qu’il y avait dans cette conclusion la conséquence d’une volonté déterminée de détecter l’essence du juif partout où elle pouvait se trouver. » L’essence décrétée, tout fait contingent qui tendrait à la « prouver » est fixé en trait éternel inhérent à cette essence immuable.
Voilà qui dévoile le ressort psychologique qui joue dans la tête de certains « intellectuels » portés à bout de bras par les médias aux ordres du Capital. Un exemple vivant de son époque est pris par Fanon : « Un nègre comme René Maran, ayant vécu en France, respiré, ingéré les mythes et préjugés de l’Europe raciste, assimilé l’inconscient collectif de cette Europe, ne pourra, s’il se dédouble, que constater sa haine du nègre. »
Il n’est plus nécessaire de vivre en Europe aujourd’hui pour ingérer ces mythes et préjugés ; la mondialisation du discours médiatique dominant se charge de s’inviter partout dans le monde pour les inoculer en masse. Comme disait Debord, on ne sent nulle part chez soi, car « le spectacle est partout ».
Il ne faut donc pas s’étonner de voir ânonner le discours néocolonial par ceux-là même qui devraient se sentir visés en premier. C’est que pour ces indigènes de service, le ressort psychologique est pareil que celui qu’explique Fanon dans cette phrase limpide : « C’est en tant qu’il (l’antillais) conçoit la culture européenne comme moyen de se déprendre de sa race, qu’il se pose comme aliéné. » De se déprendre de sa race ou, comme disait un de nos intellectuels sérieux, « de s’extraire de l’indigénat ».
Comment sortir de cette situation maladive. Fanon cite Baruk : « La délivrance des complexes de haine ne sera obtenue que si l’humanité sait renoncer au complexe du bouc émissaire », c’est-à-dire le déchargement de ses turpitudes sur un frère en humanité qu’on postule comme un « autre » inférieur et transformé en tout-à-l’égout des tares dont on lave son Moi civilisé.
Ainsi, développe Fanon : « Si le sujet se trouve à ce point submergé par le désir d’être blanc, c’est qu’il vit dans une société qui rend possible son complexe d’infériorité […], dans une société qui affirme la supériorité d’une race […], ce qui apparait alors, c’est la nécessité d’une action couplée sur l’individu et sur le groupe. »
Sur l’individu, il s’agit donc d’extraire le refoulé, de « conscienciser son inconscient, pour ne plus tenter une lactification hallucinatoire, mais bien agir dans le sens d’un changement des structures sociales. »
En définitive, et c’est ce qui m’a semblé être la clé de voute de ce livre brûlant d’actualité : «Le destin du névrosé demeure entre ses mains. »
Nous avons abordé ensuite conjointement – car pressés par le temps – l’An V de la Révolution algérienne et les Damnés de la terre. Nous avons cité de prime abord ces passages magnifiques qui nous ont fait évoquer la propagande sioniste pour décrédibiliser la résistance palestinienne, tout comme la propagande coloniale française faisait – et fait encore aujourd’hui – avec la résistance algérienne :
« Ses adversaires aiment affirmer que la révolution algérienne est composée de sanguinaires.»
« Dans une guerre de libération, le peuple colonisé doit gagner, mais il doit le faire proprement sans « barbarie » ; […] Le peuple sous-développé est obligé, s’il ne veut pas être moralement condamné par les « nations occidentales », de pratiquer le fair-play, tandis que son adversaire s’aventure, la conscience en paix, dans la découverte illimitée de nouveaux moyens de terreur. Le peuple sous-développé doit à la fois prouver, par la puissance de son combat, son aptitude à se constituer comme nation, et par la pureté de chacun de ses gestes, qu’il est, jusque dans les moindres détails, le peuple le plus transparent, le plus maitre de soi. Mais tout cela est bien difficile. »
Mais aussi : « Tous les discours sur l’égalité de la personne humaine entassés les uns sur les autres ne masquent pas cette banalité qui veut que les sept français tués ou blessés au col de Sakamody, soulèvent l’indignation des consciences civilisées tandis que « comptent pour du beurre » la mise à sac des douars Guergour de la dechra Djerah, le massacre des populations qui avaient précisément motivés l’embuscade. »
Puis nous avons évoqué les passages des damnés de la terre, en rapport avec peau noire et masque blanc, afin de montrer que la stratégie de dépersonnalisation coloniale est la même partout où elle s’exerce. Ainsi, nous rappelle Fanon : « Le colon fait du colonisé une sorte de quintessence du mal. »
« L’indigène est déclaré imperméable à l’éthique, absence de valeurs, mais aussi négation des valeurs. Il est, osons l’avouer, l’ennemi des valeurs. En ce sens, il est le mal absolu. Elément corrosif, détruisant tout ce qu’il approche, élément déformant, défigurant tout ce qui a attrait à l’esthétique ou à la morale, dépositaire de la force maléfique, instrument inconscient et irrécupérable de force aveugle. »
Mais encore : « Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion au mouvement de reptation du jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, au pullulement, au grouillement, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire (…), cette démographie galopante, ces masses hystériques, ces visages d’où toute humanité a fui, ces corps obèses qui ne ressemblent plus à rien, cette cohorte sans tête ni queue, ces enfants qui ont l’air de n’appartenir à personne, cette paresse étalée sous le soleil, ce rythme végétal, tout cela fait partie du langage colonial. »
Pour un exemple de ce langage zoologique, voir Camus dans « Misères de la Kabylie », sur lequel on s’extasie comme un grand exemple de compassion, là où il n’y a que condescendance de « civilisé » envers ce « pullulement » rencontré « nulle part en Europe ».
Cette condescendance s’explique d’ailleurs ainsi : « Quand on réfléchit aux efforts qui ont été déployés pour réaliser l’aliénation culturelle si caractéristique de l’époque coloniale, on comprend que rien n’a été fait au hasard et que le résultat global recherché par la domination coloniale était bien de convaincre les indigènes que le colonialisme devait les arracher à la nuit. Le résultat, consciemment poursuivit par le colonialisme, était d’enfoncer dans la tête des indigènes que le départ du colon signifierait pour eux retour à la barbarie, encanaillement, animalisation. Sur le plan de l’inconscient, le colonialisme ne cherchait donc pas à être perçu par l’indigène comme une mère douce et bienveillante qui protège l’enfant d’un environnement hostile mais bien sous la forme d’une mère qui, sans cesse, empêche un enfant fondamentalement pervers de réussir son suicide, de donner libre court à ses instincts maléfiques. La mère coloniale défend l’enfant contre lui-même, contre son Moi, contre sa physiologie, sa biologie, son malheur ontologique. »
Ainsi, lorsque le colonisateur ouvre les yeux sur la « misère » du colonisé, c’est pour exhorter les siens à « venir en aide » à ces masses grouillantes avant qu’elles ne deviennent nocives pour elles-mêmes et – surtout – pour les « autres » : le système colonial déjà dangereusement menacés par le mouvement nationaliste qui commence à pénétrer ces masses « grouillantes ».
Cette pénétration de la conscience nationale et politique ne se d’ailleurs pas sans peine, car « le militant a quelques fois l’impression HARASSANTE qui lui faut ramener tout son peuple, le remonter du puits, de la grotte. Le militant s’aperçoit très souvent qu’il lui faut non seulement faire la chasse aux forces ennemies mais aussi aux noyaux de désespoir cristallisés dans le corps du colonisé. »
Cela nous rappelle les conversations dans les cafés, ou au quartier, durant lesquelles fusent souvent les vieilles antiennes défaitistes : « C’est foutu » ; « ce pays est trop profondément gangréné » ; « les générations futures s’annoncent pires que celle-ci, qui n’a déjà rien de brillant », etc. Harassant est bien le mot, et arracher les « noyaux de désespoir cristallisés dans le corps colonisé » intellectuellement devient une tâche des plus urgentes. D’où l’importance de promouvoir l’œuvre de Fanon, qui nous raconte entre autres les élucubrations de Porot, le chef de l’école de psychiatrie d’Alger (durant l’époque coloniale) :
« L’algérien est un gros débile mental », résume ironiquement Fanon, qui explique : « Il faut, si l’on veut bien comprendre cette donnée, rappeler la séméiologie établie par l’école d’Alger. L’indigène, y est-il dit, présente les caractéristiques suivantes :
Pas ou presque pas d’émotivité ;
Crédule et suggestible à l’extrême ;
Entêtement tenace ;
Puérilisme mental, moins l’esprit curieux de l’enfant occidental. »
Voilà le délire de Porot en 1920, auquel, en 1932, il apporte une nuance : « Le kabyle est intelligent, instruit, travailleur, économe et, de ce fait, échappe à la débilité mentale, tare foncière de l’Algérien. » Sans doute l’apparition du mouvement nationaliste algérien (l’Emir Khaled en tête) a posé la nécessité de créer des lignes de clivage ethniques pour contrer le nationalisme fédérateur.
Mais Porot n’a pas le monopole du délire organiciste, puisque, selon Carothers, dans une étude patronnée par l’OMS : « La ressemblance entre le malade européen lobotomisé et le primitif africain est très souvent complète. » Ou encore : « L’Africain, avec un manque total d’aptitude à la synthèse, ne doit, par conséquent, utiliser que très peu ses lobes frontaux, et toutes les particularités de la psychiatrie africaine peuvent être rapportées à cette paresse frontale. »
Pas étonnant qu’un sous-préfet dise à Fanon : « À ces êtres naturels, qui obéissent aveuglément aux lois de leurs nature, il faut opposer des cadres strictes et implacables. Il faut domestique la nature et non la convaincre. » Et Fanon de commenter : « Discipliner, dresser, mâter, et aujourd’hui pacifier sont les vocables qui sont le plus utilisés dans les territoires occupés. » Cela nous rappelle le lieu commun qu’on se répète à qui mieux mieux : « L’arabe ne comprend que les coups de bâton. » (L’3arbi yefhem ghir bel qezzoul!)
Toutefois, après l’ignominie du nazisme, qui a appliqué à l’Europe sa propre logique, l’idéologie coloniale a dû se farder un peu, et désormais, nous dit Fanon : « L’objet du racisme n’est plus l’homme particulier mais une certaine forme d’exister. » D’où l’impérialisme culturel comme masque derrière lequel se cache les prétentions néocoloniales.
Et d’où la nécessité d’une résistance culturelle, qui réhabilite et réaffirme les valeurs qui ont fondé la nation indépendante. Fanon nous dit d’ailleurs : « Il nous semble que les lendemains de la culture, la richesse d’une culture nationale sont fonction également des valeurs qui ont hanté le combat libérateur. »
Il ne s’agit donc pas de s’étaler en pamphlets vengeurs ou en litanies pleurnichardes, car, nous dit Fanon, « les dénonciations acérées, les misères étalées, la passion exprimée sont, en effet, assimilées par l’occupant à une opération cathartique. »
Il ne s’agit plus de tomber dans le repli sur soi, revanchard et réducteur, mais de libérer l’homme. Tous les hommes. Ainsi, « la culture spasmée et rigide de l’occupant, libérée s’ouvre enfin à la culture du peuple devenu réellement frère. Les deux cultures peuvent s’affronter, s’enrichir. » Autrement dit : La guerre de libération LIBERE à la fois le colonisé et le colonisateur, et si c’est le colonisé qui l’entreprend, c’est parce qu’il ressent plus durement son aliénation. Donc, la perpétuation de la mémoire révolutionnaire n’a rien de revanchard : c’est la perpétuation de la mémoire de la seule possibilité réelle d’une fraternité universelle. La Révolution est donc l’anniversaire de cette fraternité désormais possible. Vouloir à tout prix prouver qu’il existait une Algérie fraternelle avant la Révolution pour faire le procès de celle-ci est donc un renversement de la réalité ; procédé, redisons-le encore, typique de la mystification.
L’œuvre de Fanon est si monumentale que la rencontre fut bien trop courte pour tenter autre chose qu’une esquisse de cette œuvre et un rapide travelling sur l’un de ses thèmes majeurs : l’aliénation et le complexe du colonisé. Et ce rapide compte-rendu (déjà trop long) a passé sur beaucoup d’idées mentionnées durant ladite rencontre.
Aussi, pour conclure ce compte-rendu de la même manière que la rencontre, rappelons cette phrase déjà célèbre de Fanon :
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »
Ecrit par: Djawad Rostom Touati
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