Quantcast
Channel: Dounyazad Culture
Viewing all 127 articles
Browse latest View live

La Fin de l’Empire Musulman en Méditerranée

$
0
0

L’Europe de la fin du 15eme siècle est en ébullition. Les 30 années qui ont suivi la date fatidique de 1492 feront du vieux continent un autre conglomérat d’Etats que celui qu’il a été pendant les sept siècles précédents… Les Musulmans ne sont plus les maîtres de l’Espagne ; les Morisques en sont désormais chassés.

Sur nos côtes, c’est la désillusion. Désormais les Espagnols sont aux portes de l’Afrique. Une politique de poursuite de leur Reconquista allait leur inspirer l’établissement sur les côtes africaines de présides, enclaves militaires et de territoires le long des littoraux pour reculer au plus loin possible les frontières de l’Islam et empêcher toute tentative de réimplantation en terre ibérique de forces musulmanes une fois reconstituées. Mellila est la première à tomber en 1497, suivie de Mers-el-Kébir en 1505, le Peñón de Vélez de la Gomera en 1508, Oran en 1509, Bejaia et Tripoli, en 1510.Toute la rive sud de la Méditerranée est sous domination de l’Espagne.

Le souci de soumission des côtes africaines ne répondait pas seulement au besoin de « sécuriser » la frontière sud de l’Espagne mais d’autres considérations politiques, militaires et économiques entraient en ligne de compte.

On notera aussi que la stratégie militaire change d’aspect : le cheval de guerre, le destrier, la cavalerie militaire, ne tiendront plus le rôle prééminent qui fut le leur et qui porta les armées musulmanes au sommet de leur gloire. Les techniques de montées sur les chevaux, leur utilisation en caravanes et surtout dans les systèmes de communications et de courriers ont fait leur temps dès le début du 15e siècle. Des nouveaux moyens de transports et de guerre ont été mis au service des puissances espagnoles et portugaises.

L’hégémonie des puissances ibériques se concrétisera dans la recherche des richesses disponibles depuis les côtes méditerranéennes jusqu’au golfe de Guinée.

Là se révèle les faiblesses des armées musulmanes dépassées par les progrès en équipement militaires de leurs adversaires. Il ne leur est plus possible d’endiguer les forces espagnoles, ni de les empêcher d’atteindre leurs objectifs stratégiques : franchir les frontières du possible en méditerranée et mettre pied sur les côtes africaines.

La reconquête de ces présides par le nouvel empire Turco-Ottoman qui venait de reprendre le Khalifat au détriment des Abbassides en 1517 revêtait une obligation stratégique : il fallait freiner les appétits de l’Espagne qui venait de découvrir « un nouveau monde ».

En effet les mêmes Espagnols allaient sur leur lancée, conquérir le monde. En 1492, Christophe Colomb va découvrir dans sa recherche de la route des Indes, les terres jusque-là inconnues d’un nouveau continent, l’Amérique, où, bientôt, les soldats du Christ et de la couronne espagnole allaient exercer leurs brutalités. Cette période faste de reprise du contrôle politique de la péninsule va avoir son prolongement dans le domaine économique.

Le développement des techniques de détermination de la latitude et des cartes marines plus précises, la mise à l’eau d’un nouveau bateau ; la caravelle, permettra la couverture de plus grandes distances favorisant la navigation.

L’Espagne ne voulait pas se laisser distancer dans la course à la découverte de nouvelles terres par les autres pays d’Europe qui montraient un grand intérêt pour de nouvelles voies de communication leur permettant d’entrer en contact direct avec les Indes et la Chine qu’ils voulaient prendre par l’Ouest d’autant que depuis déjà le XIe siècle les Musulmans contrôlaient les principales routes de commerce entre l’Orient et l’Occident et prélevaient de lourdes taxes sur les épices et les soieries.

Apres le traité de Tordesillas en 1494, conclu entre le roi Ferdinand d’Aragon et Isabelle La catholique, d’une part, et d’autre part, le Roi Portugais Jean II sur le partage de la méditerranée et de l’Afrique de l’ouest, l’apaisement entre les deux puissances ibériques devint un moteur d’expansion dans le nouveau monde.

Encouragé par « la controverse de Valladolid» qui nia, à la fois, l’âme et la dignité humaine à tout être non chrétien, Charles Quint se lancera sans retenue dans la conquête de dimension mondiale. C’est le début de l’ère de la colonisation au nom de la couronne espagnole, dans les affres de la domination de l’homme par l’homme, des crimes contre l’humanité. La Colombie en 1510, Cuba en 1511, l’immense Empire aztèque en 1521, le Pérou en 1532 qui durera quatre siècles…connaîtront le même sort. Pillage d’or et de métaux précieux sont les appâts préférés des pionniers du nouveau monde.

À partir de cette date, les Espagnols vont diffuser en Amérique les techniques et les denrées empruntées à la culture maure (les techniques d’irrigation par exemple, de plantation du café, du sucre…) . Le Portugal, pays voisin dans la péninsule, fait montre d’imagination particulière pour compenser son manque de main d’œuvre agricole. Pour l’exploitation intensive de ces produits dans les nouveaux territoires, il est le premier pays européen à inaugurer l’ère des esclaves d’Afrique : la traite des Noirs.

« Des êtres humains capturés, enchaînés, déportés, vendus comme des marchandises, exploités, torturés. Dix millions ? Vingt millions ? Le chiffre exact n’est pas connu, mais importe-t-il vraiment au regard du drame vécu par ces personnes déshumanisés, ces familles désunies, ces peuples déchirés, ce continent dépossédé de sa plus grande richesse ? » lance dans un cri d’effroi Jasmina Šopova, rédactrice à l’UNESCO

Des changements géopolitiques vont bouleverser encore une fois les cartes dans cette partie du monde. Intégrée à l’Orient au cours de son islamisation, à partir du VIIe siècle, l’Afrique du Nord va connaître un morcellement singulier pendant la période turco-ottomane. Des sous-ensembles verront le jour, la Libye, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc et les particularismes inévitables ne seront pas sans répercussion dans la nouvelle structure que nous connaîtrons bientôt sous le nom de mondialisation…

Comme un effet de balancier, la décadence du monde musulman a correspondu à l’essor de l’Europe.
L’empire musulman s’est bel et bien éteint en Méditerranée, un autre s’éveille, il est chrétien.

C’est l’heure du renouveau de l’Europe par la pensée, la réforme des institutions et surtout la rénovation des institutions dans l’artisanat qui aboutit à une révolution industrielle. Cette dernière induira une boulimie en matières premières qui conduira à des nouvelles visées expansionnistes couvrant des continents entiers, tant est pressant le besoin de s’approprier les nouvelles matières transformables.

Vers de nouvelles formes de guerres et nouveaux détours

L’histoire est ainsi redondante. Programmés froidement dans les laboratoires occidentaux, des accords secrets franco-britanniques de 1916 connus sous le nom d’Accord Sykes-Picot, « revus et corrigés » après la Première Guerre mondiale, aboutiront à la configuration géopolitique actuelle du monde musulman qui se retrouve plongé dans le chaos : de l’Afrique du Nord en Chine, le Proche-Orient, Sahel et le Monde-Orient, le Caucase et l’Asie centrale.

La prédominance de la finance dans l’ordre économique se concrétise entre les deux guerres mondiales. Les nouvelles institutions internationales nées à partir de 1945 et les dynamiques de décolonisations en Afrique, en Asie et en Amérique Latine conduiront les nouvelles puissances à repenser la guerre avec d’autres moyens. Le concept de food power s’impose ; il s’ajoute à des libertés prises par rapport aux exigences démocratiques.

Ainsi, le soutien aux dictatures, l’écrasement des prix des matières premières sur les marchés et les coups d’Etats sont de nouvelles armes aux mains des puissants. C’est ce qu’exigeront les fonds de pensions ou l’appétit de dividendes plantureux. Les anciennes colonies se retrouveront dans une forme de sujétion qui n’est plus la colonisation, mais qui en a tous les inconvénients. La décolonisation est un nouveau » cheval de Troie ». Elle a l’apparence de la liberté et de la justice, mais elle dissimule derrière l’écran du profit maximum, un manque de respect et de considération qui permettent de douter que l’humanisme soit sa philosophie fondamentale.

C’est dans ce cadre que des cartes géographiques ont été remodelées. La dernière tentative en date est en train de se dérouler sous nos yeux dans le monde dit arabe.

On lui invente un nom d’apparence flatteur le « printemps arabe ». Inutile de préciser que de grands fournisseurs de pétrole, en l’occurrence, les monarchies et émirats, issus de cette «  nouvelle carte » dessinée par les occidentaux, serviront de tremplin pour mener à terme le plan de déstabilisation de toutes ces régions.

Cette stratégie de remodelage de la géographie politique passe par la destitution de l’histoire commune comme ciment national, au bénéfice de critères ethniques ou religieux qui serviraient de lignes de démarcation pour de nouvelles frontières dont font les frais les pays les plus faibles.

Il n’y a pas d’autres objectifs que le contrôle total des réserves d’énergies fossiles qui procède de l’obsession morbide de mener une fois de plus les affaires de la planète au profit d’un camp et de gouverner le monde pour faire soumettre des peuples par d’autres.

Durant plusieurs siècles, l’objectif était les richesses du sol, minières ou agricoles. Mais avec la révolution industrielle, l’accroissement de la consommation d’énergie et la perspective d’épuisement des ressources nécessaires, les hydrocarbures et toute autre source d’énergie sont devenus la richesse à posséder, à en contrôler la propriété, l’accession ou l’échange.

La première phase a consisté à maitriser les technologies d’exploitation, de transformation et de consommation, durant la première moitié du XXème siècle.
L’énergie et la sécurité énergétique sont devenues, petit à petit, durant la deuxième moitié de ce siècle, une préoccupation majeure pour les grandes puissances. Elles sont à présent au cœur de toutes les stratégies.

L’Occident connait une puissance exponentielle depuis la chute de l’Espagne andalouse au XVe siècle. Le premier empire colonial occidental, né dans la dynamique de la reconquête espagnole, émerge désormais en tant que puissance montante avec celle du Portugal au XVe et XVIe jusqu’à atteindre son firmament au XVIIIe siècle, outre-mer avec les Amériques, l’Asie et l’Afrique. Il sera supplanté par celui dominé par les Anglais à la suite de leur victoire sur Napoléon en 1814.

La Grande Bretagne et plus tard les Etats-Unis à la fin du XIXe siècle enfanteront du monde actuel, celui des grandes puissances : Grande-Bretagne, Etats-Unis, Allemagne, France, Russie, Autriche-Hongrie, Italie pour poursuivre la mainmise sur le monde, sacrifiant toute autre civilisation qui ne soit pas la leur.

Une frontière est définie, consolidée, il s’agit de rétrécir les frontières de l’Islam et d’étendre la domination de la chrétienté, entre le Nord et le Sud en enchevêtrant des mobiles religieux et des intérêts politico-économiques, en ce millénaire de l’identité.

Cette injustice des puissants occidentaux a permis l’émergence d’un islamisme radical, consolidé en Afghanistan, dans les années 1980, avec le concours des services secrets occidentaux.

Nous assistons ces dernières années à la recrudescence sans précédent de l’islamophobie impulsant la «théorie de l’ennemi commun» : le péril musulman. Le Rubicon est même franchi en faisant le parallèle entre la religion musulmane et le nazisme. Tous les pays musulmans excepté ceux protégés par les Etats-Unis sont menacés d’engloutissement, l’Algérie entre autres, l’Egypte, l’Irak, le Pakistan, l’Indonésie…

Les grandes conférences onusiennes ont misé sur un nouvel ordre international, en fait on a eu finalement droit à un système international qui attise les tensions entre les riches et les pauvres alimenté par l’insatiable appétit d’enrichissement des multinationales sous couvert d’une autre dynamique, celle de globalisation et de mondialisation
.
Le XVe siècle a planté le premier jalon de la course vers la première mondialisation. Une frontière semble sortir des fonds marins méditerranéens pour séparer le nord du sud, un nord qui sait et un sud qui ne sait plus.

Karim Younes

Jean-Gabriel Leturcq : La question des restitutions d’œuvres d’art : différentiels maghrébins

$
0
0

« Eh quoi ? Les indiens massacrés, le monde musulman vidé de lui-même, le monde chinois pendant un bon siècle, souillé et dénaturé, le monde nègre disqualifié, d’immenses voix à jamais éteintes, des foyers dispersés au vent, tout ce bousillage, tout ce gaspillage, l’Humanité réduite au monologue, et vous croyez que tout cela ne se paie pas ? » Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950

1Depuis une quinzaine d’années, les demandes de restitutions d’objets pillés par les puissances coloniales ne cessent d’augmenter en nombre comme en médiatisation. Parallèlement, la question des réparations de la dette morale et physique du colonialisme s’est engagée entre anciens colonisés et colonisateurs. Le débat sur les restitutions et les réparations conditionne les rapports Nord-Sud ; comme si, pour faire mentir Aimé Césaire, l’Humanité n’était pas réduite au monologue et que le bousillage devait être payé. La restitution d’œuvres d’art sert-elle la réparation d’un passé bafoué ? Comment des objets de patrimoine sont-ils devenus des objets de conflits ?

2Un point cependant paraît intrigant : la question des restitutions, particulièrement dynamiques en Afrique noire, ne semble pas en être une au Maghreb. Le Maroc et la Tunisie n’ont pas engagé de procédures dans ce sens. Les quelques restitutions de la France à l’Algérie portent sur des œuvres dérisoires. Est-ce admettre qu’il n’y a rien à restituer au Maghreb ? Et donc qu’il n’y a rien à réparer ? Les déclarations du président Bouteflika en 2005 et 2006 contre la barbarie coloniale française tendent pourtant à montrer l’insignifiance des gestes symboliques de la France au regard de la dette coloniale.

1 Iversen, 1968.
3Traiter de la question des restitutions pour les pays du Maghreb peut donc paraître inapproprié. Et pourtant, l’exemple maghrébin met en valeur une question fondamentale à la compréhension de ce mouvement qui a pris un caractère international : quel est le rapport de la partie manquante, – les objets en exil1 – à l’ensemble de l’héritage culturel – le patrimoine in situ ? Car au-delà des restitutions, l’appropriation des objets aux niveaux national et local constitue un des enjeux primordiaux des politiques patrimoniales mises en œuvre depuis les années 1950. C’est depuis cette époque en effet qu’ont été mis en place un certain nombre de textes, conventions, recommandations, proclamations émanant d’organes transnationaux, en premier lieu par l’UNESCO. Ces textes instituent des catégories juridiques qui encadrent le concept de patrimoine, comme la notion de « propriété culturelle », décliné ensuite sous la notion de « patrimoine mondial de l’humanité » et de « patrimoine culturel immatériel ».

2 Pour une bibliographie française, voir par exemple : de L’Estoile, 2007 ; Müller, 2007 ; de Roux, (…)
4Il convient de replacer ces formules faussement évidentes dans les contextes historique et culturel où elles s’inscrivent, ceux de l’Après-guerre, de la décolonisation, puis de la mondialisation. C’est la perspective historique qui nous permettra d’aborder la question des restitutions d’œuvres d’art : on montrera que les textes normatifs qui encadrent aujourd’hui les demandes de restitutions sont nés d’une réflexion sur la fonction de la culture caractérisant les sociétés post-coloniales. On ne reposera donc pas ici la question ontologique soulevée à propos des restitutions (faut-il restituer ? À qui ? Pourquoi ? De quel droit ?2). Mais à partir de l’exemple des trois pays d’Afrique du Nord, on cherchera à déplacer le problème en montrant comment la question des restitutions, cas particulier et nettement identifiable des politiques patrimoniales, permet de mettre en lumière les paradoxes liés à la propriété, valeur qui domine les questions de patrimoine.

Questions de propriété

3 Pomian 2005, p. 78.
4 Le 14/12/1960, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la Déclaration de l’octroi des indépe (…)
5À la fin de l’année 1962, quelques semaines après avoir acquis son indépendance, l’Algérie demande à la France la restitution d’environ 300 œuvres appartenant au Musée des Beaux-Arts d’Alger au titre de l’intégrité de son patrimoine culturel. En cela, elle ne se différencie pas du Congo qui demande la restitution d’œuvres à la Belgique, du Nigeria au Royaume-Uni, etc. C’est dans un mouvement global en effet que les anciennes colonies vont imposer aux anciennes puissances de revoir leurs politiques patrimoniales. Elles utilisent pour cela un des principes énoncés par l’UNESCO au sortir de la guerre, et applicable aux spoliations d’œuvres pratiquées à grande échelle par l’Allemagne nazie à l’égard de propriétaires juifs émigrés ou déportés : la garantie du retour ou de la restitution des œuvres déplacées durant la période de conflit, une guerre ou une occupation militaires3. Conformément au principe de souveraineté nationale4, la notion de conflit justifiant le retour des œuvres s’étend alors aux occupations coloniales. Pourtant, la question du déplacement n’est pas nouvelle. La pratique du pillage de guerre remonte à l’Antiquité. Elle accompagne et même symbolise toute mise en place d’empire. Ce qui est nouveau, c’est la systématisation du principe de restitution entre États-nations.

5 Jean-Luc Barbier, peintre et hussard, à la Convention en 1794.
6 Pomian, 2005, p. 87. Quelques oublis cependant comme ces Mantegna du musée de Tours… mais qui se p(…)
6En fait de restitution d’œuvres d’art, la doctrine et la jurisprudence distinguent trois catégories de moyens : le rapatriement, le retour et la restitution. Il s’agit de les différencier formellement, car ces catégories permettent d’identifier des situations factuelles et les registres juridiques ou culturels employés à cette fin. La notion de rapatriement des biens culturels apparaît dès 1794 avec les conquêtes entreprises sous la Révolution française. Dans la ligne des Lumières, l’idée d’une raison universelle, la chose du monde la mieux partagée se met en place comme une sorte d’évidence. Il s’ensuit l’argument que « les fruits du génie sont le patrimoine de la liberté »5. L’Empire développe cette idée à très grande échelle, drainant vers Paris et le Louvre les chefs-d’œuvre de toute l’Europe, ceux des principautés italiennes ou nord européennes, comme ceux des grandes formations germaniques. En 1815, cependant, après Waterloo, les œuvres sont rapatriées vers les pays d’où elles avaient été saisies6. L’exemple permet de dégager la signification de la notion de rapatriement et ses ambiguïtés : s’agissant de retour des œuvres dans leur contexte d’origine, la dimension culturelle y est dominante. Mais cet espace de référence n’est pas fixé une fois pour toute et le problème est de déterminer la « culture » qui a produit l’œuvre et vers laquelle celle-ci doit retourner.

7 Boularès, 2000 ; voir l’épilogue.
7C’est dans cette ambiguïté idéologique que se situe la demande lancée par la Tunisie indépendante sur les cendres d’Hannibal, mort durant son exil en Anatolie7. Lors d’un voyage en Turquie en 1968, le président Bourguiba demande officiellement à récupérer les restes du souverain pour les inhumer vers sa « patrie natale ». Ses interlocuteurs turcs refusent fermement. Mais ils lui proposent de visiter le mausolée construit pour recevoir la dépouille du roi et depuis, tombé en ruines :

8 Belkhodja, 1999, p. 23. L’auteur précise : « Bourguiba eut du mal à cacher sa déception. Néanmoins (…)
« Aussi bouleversé par la proximité supposée de son héros que par l’état d’abandon de sa sépulture, le Combattant suprême gémit et fondit en larmes. […] À tous les officiels, Bourguiba ne parla que de son désir de ramener en Tunisie les restes d’Hannibal avec lui, dans son avion. Pour essayer d’atténuer sa déception, les Turcs firent leur autocritique : oui, ils avaient failli à l’histoire en n’honorant pas comme il convenait ce héros de la lutte contre l’impérialisme romain, mais ils lui construiraient un grand mausolée qui symboliserait, en outre, la fraternité entre nos deux pays8. »

9 Sur les liens entre archéologie et généalogie nationale en Tunisie, voir la contribution de Clémen(…)
8L’identification de la Tunisie contemporaine à la figure d’Hannibal procède d’une réinvention des marques du passé et du lieu vers lequel on exige de retourner l’œuvre9.Par sa demande de rapatriement des cendres, Bourguiba effectue une sorte de nationalisation du héros carthaginois inscrit dès lors dans la cause nationale : Hannibal figure dans la cohorte des héros susceptibles de symboliser la lutte contre l’impérialisme, et dont la liste se conclut avec Bourguiba lui-même. La demande de rapatriement constitue une double invention d’images de la Nation : celle de son passé glorieux, et celle de son présent souverain. La réponse turque joue sur les mêmes dimensions : honorer la lutte historique contre l’impérialisme par la restauration du mausolée du héros carthaginois et tunisien équivaut à honorer les liens actuels entre les deux pays. Cette demande joue donc sur l’ambiguïté des registres historiques ; il s’agit finalement d’un rapatriement mais aussi d’un retour.

9C’est la dimension juridique qui domine les notions de retour et de restitution.Comme pour le rapatriement, elles renvoient à un acte juridique de changement de propriété d’œuvres au profit d’un propriétaire considéré comme légitime. Les deux notions impliquent les relations entre États et constituent par elles-mêmes un acte de reconnaissance de la souveraineté nationale.

10La restitution est le retour sans condition des œuvres à leur légitime propriétaire. Dans la Convention de 1954, les biens culturels déplacés par mesures de protection à l’occasion de désordres divers doivent être restitués en l’état à leur propriétaire à l’issue du conflit (art. 18 b.) et, par extension, à l’indépendance des États. La notion de retour est équivalente. Elle s’en différencie cependant avec le problème des nations apparues avec la décolonisation : d’un point de vue juridique, au temps où ces territoires étaient sous tutelle, les objets ont été déplacés en plein respect des règles de droit. Il a donc fallu inventer une jurisprudence pour imposer le retour les œuvres à leur pays d’origine.

Patrimoine et décolonisation

10 Le Monde, 4/12/1969, « Près de trois cents œuvres d’art ont été restituées par la France », cité i (…)
11C’est le cas de la restitution de 300 œuvres d’art au Musée d’Alger par la France en 1969. Officiellement, les collections du musée des Beaux-Arts d’Alger avaient été transportées en France en avril 1962, « par crainte des représailles de l’OAS »10. De fait, la période avait en effet été marquée par une série spectaculaire d’attentats de l’OAS visant les infrastructures qui allaient être appelées à demeurer sur le sol national algérien. Des bâtiments de l’université sont incendiés dans la nuit du 7 avril et, symboliquement, la sculpture de Bourdelle la France libre est plastiquée. Quelques semaines plus tard, dans la nuit du 7 au 8 juin, la bibliothèque d’Alger est incendiée.

12Dès la fin de l’année 1962, l’Algérie demande la restitution des œuvres au titre de l’intégrité du patrimoine artistique du pays. Il s’agit en premier lieu d’une question juridique. Théoriquement, dans le cadre d’un transfert de souveraineté, l’État français doit rétrocéder à l’État algérien tous les biens qui étaient classés domaine public. C’est la totalité des 300 pièces du musée qui doit donc revenir à Alger, c’est le principe sur lequel s’appuie Jean de Maisonseul, artiste français ayant opté pour l’Algérie indépendante et alors nommé conservateur du musée.

11 Jean Alazard (1887-1960), historien de l’art, spécialiste de la Renaissance italienne et conservat (…)
13Le statut légal des œuvres du musée d’Alger au moment de leur déplacement pose pourtant problème. Les collections ont été constituées entre 1930 et 1960 par le conservateur du musée, Jean Alazard11. Ce dernier, soucieux de doter la colonie d’un véritable musée universaliste s’était attaché à composer une collection représentative de tous les courants de l’art. Il avait acquis sur les fonds propres du musée des œuvres bien au-delà d’une peinture régionale « orientaliste » ou celle des peintres travaillant en Algérie. Sont ainsi candidats à la restitution, des retables du XVe siècle de l’École d’Amiens, des classiques de l’Académie, des impressionnistes, etc. Mais il avait aussi obtenu, selon la même logique d’assortiment représentatif, nombre de « mises en dépôt » des musées nationaux français, et qui appartenaient toujours aux fonds métropolitains. Ce sont ces œuvres qui vont susciter le débat lors de la négociation.

12 Pouillon, 1992.
13 Lettre de l’ambassadeur de France à Alger adressée au ministre des Affaires étrangères algérien, d(…)
14 Le sujet étant considéré comme source de contentieux, le protocole n’a jamais été revu par les deu (…)
14La logique juridique du retour est alors en décalage avec la logique culturelle des rapatriements. L’Algérie peut-elle en être considérée comme le pays d’origine des œuvres françaises ? Dans la logique de Maisonseul, il s’agissait surtout de faire venir en Algérie un capital culturel incontestable12, et de disposer, avec les 300 œuvres françaises à restituer, d’un musée exhaustif. Les termes de la négociation s’orientent alors sur la propriété des œuvres. Des dispositions sont donc prises qui concernent la rétrocession d’œuvres algériennes à la France contre rétribution, la rétrocession d’œuvres françaises à l’Algérie à titre gratuit, le rapatriement d’œuvres en Algérie, la mise en dépôt mutuel. Au vu de la complexité de ce montage, il est enfin prévu l’installation d’une commission mixte pour vérifier les listes et pour statuer sur les œuvres dont la propriété reste à déterminer13. Neuf listes sont alors proposées et annexées. Le protocole final prévoit, en plus de ces dispositions, la durée des dépôts, le prix des œuvres rétrocédées et les modalités de leur renégociation14. La restitution juridique initialement prévue s’est donc muée en une sorte de « retour culturel » effectué à l’amiable, comme un geste diplomatique de reconnaissance de la souveraineté nationale algérienne.

15 Le Monde, op.cit.
16 Ce sont notamment des peintres « naïfs » révélés à l’époque française, tels que Baya, Benaboura, e (…)
17 « La révolution culturelle constitue le couronnement de notre révolution globale, fondée surles tr (…)
15Il s’ensuit que la collection de 159 tableaux et 136 dessins d’art français qui est rapportée à Alger en décembre 1969 est fort différente de l’inventaire de l’époque d’ Alazard. Négociant sur le principe de récupération d’un ensemble de 300 œuvres, Maisonseul n’a pu qu’obtenir que le remplacement des œuvres mises en dépôt. Les retables du XIVe siècle de l’école d’Amiens, des impressionnistes sont certes présents, mais les œuvres remplacées reflètent le bon goût des années Malraux : peu d’orientalistes et une prédominance de la peinture française du XIXe siècle15. Parallèlement à la négociation en cours, Maisonseul entreprend une politique d’achat des peintres algériens contemporains16. Sur ce point encore, le choix se trouve en décalage par rapport aux orientations de la politique culturelle algérienne : en 1969, l’art moderne et bourgeois ne répond plus à l’identité culturelle affirmée par une Algérie « révolutionnaire »17.

16Dans les années 1960 et 1970, l’Algérie occupe une place de premier rang dans les mouvements tiers-mondisme et généralement anticolonialiste. Dans le discours anticolonialiste, la culture apparaît comme un des éléments fondamentaux de l’indépendance et la consolidation de l’identité culturelle comme un moteur de développement. L’idée de la restitution comme réparation du préjudice colonial naît avec l’idéologie tiers-mondiste et panafricaniste. Le leader ghanéen, Kwameh Nkrumah, déclare en 1962 à la tribune de l’ONU :

18 Nkrumah, 1962, p. 316.
« La marée montante du nationalisme africain […] constitue un défi aux pouvoirs coloniaux qui doivent faire une restitution juste pour les années d’injustice et de crime commis à l’encontre de notre continent18 ».

19 Aboun Adjali, 2007. Voir aussi le film documentaire de William Klein, Le festival panafricain d’Al (…)
17Le premier festival culturel panafricain, le « Panaf », est organisé à Alger en 1969. La culture est alors considérée comme un outil d’émancipation et une force de résistance19. Dans l’euphorie, le Manifeste culturel panafricain est adopté. Il brode autour de la reconnaissance des États indépendants, encadrée par celles de l’identité nationale et culturelle des nations. L’identité culturelle s’inscrit ici en rupture avec les modèles coloniaux. Alors, après avoir démontré que l’hégémonie coloniale était aussi intellectuelle et culturelle, le Manifeste systématise la relation entre développement et identité culturelle :

20 « Manifeste culturel panafricain », Souffles, 16-17, 4e trimestre 1969, janvier-février 1970, p. 9(…)
« La conservation de la culture a sauvé les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire. […] et si [la culture] relie les hommes entre eux, elle impulse aussi le progrès. Voilà pourquoi l’Afrique accorde tant de soins et de prix au recouvrement de son patrimoine culturel, à la défense de sa personnalité et à l’éclosion de nouvelles branches de sa culture20. »

18L’idée formulée par le Manifeste d’Alger est qu’en restituant les éléments confisqués de leur passé aux anciens peuples colonisés, les anciens colons redressent le tort et assurent un développement endogène ou authentique, conforme à « l’identité culturelle » des peuples.

21 Voir Oulebsir, 2004.
19Or, l’identité culturelle des nations indépendantes suppose une décolonisation des histoires nationales, et donc une réorientation de la patrimonialisation du passé. Sont exclus des patrimoines nationaux les éléments mis en valeur par les anciennes puissances coloniales. En Algérie, la France valorisait les antiquités romaines afin de montrer sa filiation avec l’Empire romain21. À l’indépendance, inversement, le patrimoine archéologique romain est mis à l’écart du patrimoine national algérien : la perspective d’une ascendance romaine convient mal à l’identité culturelle promue par Algérie indépendante. Là s’explique essentiellement l’absence de demande de restitution des nombreuses antiquités romaines issues du sol algérien et qui ont enrichi nombre de collections publiques ou privées conservées en France. La dimension politique des restitutions (la reconnaissance de la souveraineté nationale) prime alors sur la valeur patrimoniale des objets.

22 ONU, résolution 3187, adoptée à l’Assemblée générale de 1973.
23 Entre 1973 et 2006, l’ONU fait ainsi voter 23 résolutions relatives à la question des restitutions(…)
20Suite au Manifeste d’Alger, le schème restitution-réparation réapparaît de manière récurrente dans les textes internationaux à valeur déclamatoire. Une résolution pour « le retour ou la restitution des œuvres d’art aux pays victimes d’exportation »22 est votée par l’ONU en 197323. Rappelant l’octroi des indépendances, la résolution précise que la restitution « constitue une juste réparation du préjudice commis par ces transferts massifs et presque gratuits […] du fait de la présence coloniale » (art. 1). La résolution assigne au patrimoine culturel le même rapport au temps : « l’héritage culturel conditionne dans le présent et l’avenir l’épanouissement artistique d’un peuple et sondéveloppement intégral ». Le même principe est réaffirmé dans la Charte culturelle de l’Afrique adoptée en 1976 par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) dont l’objectif est de « libérer les peuples africains des conditions socioculturelles qui entravent leur développement pour recréer et entretenir le sens et la volonté du développement » (art 1, a).

21Ces textes s’inscrivent dans une même relation au temps. Le présent est conçu comme un moment de transition, et s’il requiert le redressement des éléments du passé, c’est uniquement dans la perspective d’assurer un avenir. Pourtant, ni le manifeste d’Alger, ni les résolutions de l’ONU qui s’y relient ne sont suivis d’effets immédiats. Ils apparaissent comme les premiers éléments d’un cadre normatif et discursif énonçant le principe de la restitution comme celui d’un droit à la propriété, droit qui n’a pas encore trouvé son application.

Mise en place d’un cadre juridique

24 Amadou Mahtar Mbow (1921) est ministre de l’Éducation nationale du Sénégal à l’indépendance puis d(…)
25 UNESCO, 1983.
22Au tournant des années 1970-1980, l’UNESCO s’empare de la question des restitutions et contribue largement à l’institutionnalisation des procédures. En 1978, son directeur général Amadou-Mahtar Mbow24 adresse un « appel pour le retour à ceux qui l’ont créé, d’un patrimoine culturel irremplaçable »25 :

26 ibid.
« Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres. […] Aussi ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au moins les trésors d’art les plus représentatifs, ceux auxquels ils accordent le plus d’importance, ceux dont l’absence est psychologiquement le plus intolérable26. »

27 La résolution 38-34 de 1983 affirme que « le retour à leur pays d’origine des biens culturels de v (…)
23Ce discours fait apparaître le basculement du problème, conférant une dimension de redressement du passé, et affirmant, au présent, un droit de propriété culturelle. À la même époque, la mention du « développement intégral » disparaît des résolutions de l’ONU au profit de la notion de représentativité du patrimoine culturel27. D’un point de vue institutionnel, la question des restitutions est en train de se figer dans une question de droit à la propriété culturelle.

28 Cf. notamment la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importat (…)
29 Conception qui trouve son aboutissement dans la campagne internationale de sauvetage des monuments (…)
30 Convention de 1970, préambule § 3.
24Afin de systématiser les restitutions ou retours des biens culturels, l’UNESCO crée un Comité intergouvernemental pour le retour des biens à leur pays d’origine. Son but est de favoriser la signature d’accords bilatéraux fondés sur les conventions de 1954 et de 197028. Mais celles-ci portent à leur tour deux interprétations possibles : d’une part, celle de propriété culturelle mondiale, héritière des conceptions humanistes et universalistes29 ; de l’autre, celle de propriétés culturelles proprement nationales, mettant l’accent sur la notion d’origine culturelle des biens qui ne prennent de « valeur réelle »30 que dans leur contexte d’origine.

25Ces textes normatifs deviennent alors de véritables instruments juridiques pour des actions en vue de restitutions ou de retour formulés au nom d’un même droit, d’un même corpus d’arguments. Dans ces conditions, les demandes de restitutions se multiplient et gagnent en importance médiatique : le Nigeria demande au Royaume-Uni la restitution des masques du Bénin ; l’Égypte demande le retour du buste de Néfertiti conservé en Allemagne ; la Grèce, surtout, en appelle à celle des Marbres du Parthénon conservés à Londres, etc.

31 Perrot, 2005, p. 484. Voir également Merryman, 2000.
32 Mélina Mercouri (1920-1994) a été ministre de la Culture en Grèce de 1981 à 1989 puis de 1993 à 19 (…)
26Ce dernier cas est l’exemple le plus célèbre de cette vague de demandes ; il illustre également le différend d’interprétation des textes31. Venant à la suite d’une série de demandes formulées par la Grèce une fois qu’elle eut acquis son indépendante en 1830, l’État grec représenté par sa ministre de la Culture de l’époque, l’actrice Mélina Mercouri32, lance en 1983 une procédure légale de demande de restitution du bien. L’argument grec est culturaliste : les marbres symboles du génie de l’art grec antique ne prennent de sens que dans leur contexte d’origine. Pour les Britanniques cependant, les marbres du Parthénon, naturalisés « marbres Elgin », appartiennent formellement à la couronne britannique et ne sauraient en sortir du fait du principe d’inaliénabilité des collections du British Museum. À ce jour, la Grèce a gagné sur tous les terrains culturels et esthétiques, mais l’argument britannique, renvoyant à une propriété de plein droit, demeure incontestable.

33 Les textes de l’UNESCO sont complétés par d’autres instruments légaux tels que la Convention d’UNI (…)
27L’action de l’UNESCO a eu pour effet paradoxal d’enfermer le problème dans une question de propriété juridique33 face à laquelle la raison culturelle peut difficilement prévaloir. Le droit positif dans son état du moment, apparaît donc comme impuissant à résoudre le problème. D’une manière générale, le nombre d’œuvres effectivement restituées reste extrêmement limité, même si cela n’empêche pas que les demandes prennent un tour de plus en plus polémique.

34 Moshood Kashimawo Olawale Abiola (1937-1998). Homme d’affaires et d’État nigérian, il est présiden (…)
35 La Proclamation d’Abuja est suivie de la déclaration d’Accra (Ghana) en 1999 et surtout de la conf (…)
36 Proclamation d’Abuja, 1993.
37 Ibid.
28Ainsi face au blocage et l’impasse des négociations, les différentes parties redéfinissent leurs positions. Sur le Continent africain, l’argumentation de la question des restitutions-réparations est reformulée après 1991. Une conférence panafricaine, coprésidée par Moshood Abiola34 et par l’ancien directeur de l’UNESCO Amadou-Mahtar MBow, conduit à la déclaration d’Abuja (Nigeria) en 199335. Les États africains y proclament que le tort qu’ont causé l’esclavage, le colonialisme et le néo-colonialisme « n’est pas seulement une réalité historique, mais se manifeste douloureusement dans les vies mises à mal des Africains d’aujourd’hui […], dans les économies mises à mal du monde africain. »36. La proclamation affirme donc qu’une dette morale et matérielle est due aux peuples africains. Elle réclame « le versement intégral d’indemnités […] sous la forme de transferts de capitaux et d’annulation de la dette [et] exige le retour des biens spoliés et des trésors traditionnels »37.

38 Jewsiewicki, 2004, p. 7.
29Comme le souligne Bogumil Jewsiewicki, le recours à la notion de réparation a succédé dans les rapports Nord-Sud à l’omniprésence de la notion de développement. Développement et réparation renvoient aux mêmes notions temporelles : à l’articulation entre le passé et le futur, « le présent étant saisi comme un moment pour redresser des injustices héritées du passé »38. Qu’il s’agisse de développement (de « sous-développement » ou de « développement inégal »), qui engage des coopérations internationales, ou de réparations à l’égard des injustices commises dans le passé mais dont les effets perdurent, l’idée maîtresse est de rétablir l’état des choses tel qu’il aurait dû être si les événements justifiant la réparation n’avait pas été.

Transactions mémorielles

39 Pomian, 1987.
40 Allocution du Président, 3 mars 2003,http://www.ambafrance-dz.org/article.php3 ?id_article =408(…)
41 Symbole ou pléonasme, l’expression est employée par Jacques Chirac dans son allocution, ibid.
30C’est dans cette articulation du passé et du futur que les biens culturels deviennent porteurs de signification : ils signifient ce qui n’existe plus, ou, plus encore, ils expriment l’acte par lequel une injustice du passé a été commise. La valeur de ces sémiophores39 est d’autant plus importante qu’ils deviennent l’objet d’une transaction visant à réparer l’injustice commise, portant sur la mémoire. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le geste du président Jacques Chirac de restituer, en 2003, à l’Algérie le sceau du Dey d’Alger par lequel Husseyn Pacha avait scellé sa reddition en 1830. « Ce sceau symbolisait le pouvoir »40. La nature de l’objet s’efface derrière sa signification symbolique : c’est un symbole de souveraineté que le président français remet à son homologue algérien. La signification de l’acte de restitution est marquée par son caractère expressif : le sceau viendrait « sceller »41 la réconciliation franco-algérienne. L’acte de restitution voudrait apparaître comme la reconnaissance d’un tort, comme si rendre le premier symbole de la destitution du peuple algérien pouvait dissiper le contentieux historique entre les deux pays.

42 Chirac en 2003 n’a d’ailleurs cessé de répéter que sa visite est la première d’un chef d’État fran (…)
43 À propos des images d’Abd el-Kader et de leur signification dans le contexte national algérien, vo (…)
31Le geste rappelle celui de Valéry Giscard d’Estaing qui, lors de sa visite en Algérie en avril 1975 – la première d’un président français depuis l’indépendance42 –, avait offert à l’Algérie un portrait de l’Emir Abd el-Kader peint par Cogniet. Mais le président n’avait pas eu à puiser dans les collections nationales, en principe inaliénables. Il en avait obtenu la cession par la Fondation du Comte de Paris, association de droit privé, qui en était propriétaire. Malgré l’enthousiasme et les déclarations de bonne volonté, la réconciliation totale des deux pays avait été ajournée. Peut-être cette restitution n’avait-elle pas la charge symbolique escomptée43 ?

44 Védrine, 2006. Cette pièce d’artillerie du XVIesiècle était connue sous le nom de « la consulaire(…)
45 Ibid.
32À la suite de la restitution du sceau, un homme d’affaires brestois entreprend les démarches de mobilisation médiatique et politique autour de la restitution du Canon d’Alger, le « Baba Marzoug », saisi par l’armée française en 183044. Sa restitution fait l’objet de débats et, en mars 2005, d’un refus de la ministre de la Défense, Michelle Alliot-Marie, au titre de « patrimoine historique de la défense » et surtout en raison de « l’attachement particulier du personnel de la marine à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l’histoire de nos armées »45. On n’est pas loin de la loi « mémorielle » du 23 février 2005 et de la reconnaissance « du rôle positif de la présence française Outre-mer notamment en Afrique du Nord ».

46 AFP, 2/7/2006, discours à la tonalité virulente tenu lors d’un colloque international organisé à A (…)
33L’insuccès relatif des quelques restitutions, puis la proclamation de la loi mémorielle révèlent la « brèche » qui existe entre les deux pays. Les déclarations du président Bouteflika contre la « barbarie coloniale » française en 2005 et 2006, puis les demandes d’excuses officielles ont pour résultat d’ajourner une nouvelle fois la signature d’un traité de réconciliation46.

47 Les forums de discussion sur Internet témoignent de la vivacité des réactions et illustrent assez (…)
48 Metaoui, 2006.
49 Beldjenna,2006 ; voir aussi Yacoub, 2007.
34Lorsque l’on traite des réparations et de la réconciliation, il est donc impossible d’ignorer le travail de mémoire qui figure en toile de fond47. Ainsi les autorités algériennes continuent de demander la restitution d’œuvres du patrimoine, mais aussi des registres des musées nationaux algériens emportés par les autorités françaises en 196248. Partant d’initiatives non gouvernementales, des associations voient également le jour comme cette « Instance nationale de libération des relations algéro-françaises de la culture coloniale » qui demande la restitution des archives coloniales françaises, en particulier celles relatives à la guerre, au titre de la « défense de la mémoire nationale »49. L’association, qui rassemble des anciens moudjahidin ou leurs enfants, milite pour rassembler les pièces nécessaires à l’élaboration d’un procès de type crime contre l’Humanité qui serait attenté à la France.

50 Sur les commissions Vérité et réconciliation, cf. Jewsiewicki, 2004. En Algérie une « loi d’amnist(…)
35Aurait-elle renoncé à se poser en simple victime de l’histoire ? Bien au contraire, l’adoption d’une démarche d’acteur pourrait aboutir à un processus type commissions « Vérité et réconciliation »50 mises en place, non pas dans le but d’établir des « vérités » définitives, ni de réécrire l’histoire, mais de libérer la mémoire. Elles obligeraient la France comme l’Algérie à reconnaître les exactions commises lors de la guerre d’indépendance, et engager un dialogue sur leur passé commun, en associant publiquement travail de mémoire et d’histoire.

36L’évolution de la notion de restitution et de retour des biens culturels s’inscrit donc dans un processus de redéfinition de l’histoire à l’aune de la mémoire. Les pièces de musée deviennent objets de transaction mémorielle : en définissant les causes du déplacement des objets, les demandes font resurgir les séquelles d’un passé ou des actes de violence qui appellent restitution et réparation. Les arguments légalistes, le concept de propriété, les raisons politiques oblitèrent le travail de mémoire. La mémoire est réduite à une gesticulation expressive, à l’expression symbolique de l’objet. Parallèlement à cette évolution, les biens culturels sont investis d’une valeur économique et médiatique qui, jusque là, paraissait secondaire. Dès lors, loin des considérations mémorielles, le rôle des biens culturels dans l’économie mondiale s’accroît et le patrimoine culturel apparaît désormais comme un capital économique. Au niveau mondial, cette réévaluation révèle alors l’écart entre les nations possédant un héritage culturel matériel important et celle n’en possédant pas, écart qu’il s’agit de compenser par l’invention de nouveaux objets de patrimoine.

Mouvements et jeux des institutions

51 http://www.unesco.org/culture/policies/wccd/html_fr/index_fr.shtml
52 http://www.unesco.org/culture/policies/ocd/html_fr/index_fr.shtml. Cette conception de la diversit (…)
37Dans les années 1990-2000, la relation entre culture et développement, second trope de la question culturelle formulée dans les années 1960, est réaffirmée par les institutions transnationales. La culture redevient un moteur de développement, non seulement économique mais humain. Le Programme des nations unies pour le développement (PNUD) élargit en 1990 la notion de développement économique à celle de développement humain, et la culture y est implicitement incluse. En 1992, au milieu de sa « décennie pour le développement culturel » (1988-1997), l’UNESCO crée la Commission mondiale de la culture et du développement chargée d’élaborer un « rapport sur les interactions entre la culture et le développement qui comporterait des propositions concrètes »51. Les travaux de la commission aboutissent au rapport Notre diversité créatrice qui porte sur la reconnaissance de la diversité culturelle comme moteur d’un « développement juste, équitable et durable »52.

53 Publiée par l’UNESCO en 1952 dans la collectionLa question radicale devant la science moderne. Po (…)
54 Claude Lévi-Strauss, 1996, p. 381. On peut se demander si, dans sa conception, la Déclaration sur (…)
38La Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’UNESCO adoptée en 2001 proclame la différence comme un élément du « patrimoine commun de l’humanité ». Le concept de diversité culturelle renvoie dans son expression à la fameuse conférence sur « Race et Histoire » donnée en 1947 où Claude Lévi-Strauss53 définissait la diversité comme un équilibre des sociétés entre elles et en elles-mêmes54. La Déclaration de 2001 va plus loin en associant diversité et créativité dans le contexte de la mondialisation, prenant en compte « la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres » (art.8).

55 Vulser, 2004.
56 Benjelloun, 2004.
39En étendant son action à la protection des services et des industries culturelles, l’UNESCO entre ainsi dans un conflit d’intérêt avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : les partisans de la diversité culturelle défendent le droit à l’exception culturelle, tandis que les défenseurs du libre-échange appellent à la libéralisation des services qui comprennent les biens culturels. Les négociations ayant amené à la signature d’un traité établissant une zone de libre-échange entre les États-Unis et le Maroc sont à ce titre exemplaires. Le Maroc, en contrepartie de l’exportation de fruits et légumes, doit, selon la première mouture du texte, abandonner son droit à « l’exception culturelle », et notamment ses quotas de diffusion en matière d’audiovisuel et d’Internet. Même si les accords ne parlent pas explicitement de culture, les milieux intellectuels marocains, soutenus par les promoteurs d’une certaine diversité faisant place au monde francophone (en particulier la France et le Canada), dénoncent l’abandon de la « souveraineté culturelle » du Maroc55. C’est à la suite de ces réactions que les autorités marocaines émettent une clause de réserve pour les « activités culturelles » se réservant la possibilité d’établir des accords avec d’autres pays ou de se conformer aux conventions culturelles à venir56. Pourtant, à ce jour le Maroc n’a pas ratifié la Convention relative à la diversité culturelle. Sur les trois pays du Maghreb, seule la Tunisie a ratifié la Convention de 2005. Comment expliquer le décalage entre le discours politique promu tant par l’Algérie depuis les années 1960 que par le Maroc dans les années 1990 et l’absence d’engagement interne en faveur de la diversité culturelle ?

57 Pouillon, 1997, p. 292.
40C’est que la Convention de 2005 oblige les pays l’ayant ratifié à accepter leur diversité nationale, à reconnaître les minorités, à instaurer pluralité et indépendance des médias (art 6 « droit des parties au niveau national »). La question de la reconnaissance des minorités embarrasse le Maroc engagé dans le conflit portant sur le statut du Sahara occidental. Elle renvoie l’Algérie à la question kabyle et plus encore à sa construction d’une image de la nation « oblitérant toutes les formes d’une dissension intérieure »57.

58 L’Algérie fait figure de promoteur en accueillant en 2006 la première conférence du Comité intergo (…)
41L’Algérie fut pourtant en 2004 le premier État membre de l’UNESCO à adhérer à la Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel58. Au niveau global, un des buts de l’invention du concept de patrimoine immatériel est de compenser les déséquilibres qui existent dans la liste des sites du patrimoine mondial « matériel », dont la grande majorité se trouvent en Europe, et de proposer d’une nouvelle conception du patrimoine. À l’échelon national, l’invention de ces « nouveaux » patrimoines implique la reconnaissance d’éléments qui jusque là n’entraient pas dans le patrimoine national.

59 Le Matin du Sahara et du Maghreb,30/6/1997, cité in Roussillon, 2005.
60 Roussillon, 2005.
42C’est ce type de renversement qui a lieu au Maroc avec l’inscription de la place Jamaa el-Fna, à Marrakech, dès 2001, comme patrimoine oral de l’humanité. Comme le soulignait Alain Roussillon, l’inscription des villes impériales ou de la place Jamaa el-Fna participent de l’édification nationale d’un « mystérieuxmusée vivant qui constitue un abrégé du monde de la culture marocaine – littérature, soufisme, médecine, pharmacopée, mascarade, récit épique… »59. Cette mise en représentation de la culture marocaine rappelle dans ses termes les débats sur l’identité arabe qui avaient court au moment de l’indépendance60 :

61 Abdallah Laroui,L’idéologie arabe contemporaine,Paris, Maspero, 1967, cité inRoussillon, op.c (…)
« La ville de Marrakech, que les touristes considèrent comme un vastemusée vivant, était sous le Protectorat un objet de nausée pour les jeunes nationalistes, à tel point qu’ils organisèrent une vaste campagne de dénigrement contre les marques de la décadence qu’on y voyait et qu’ils les firent, à l’indépendance, formellement interdire61. »

62 Ali Amahan, 1992, p. 281, les musées avaient été fondés par les services des arts indigènes afin d (…)
43Les mêmes élites de l’indépendance avaient exclu de la construction culturelle les musées instaurés au temps du Protectorat au titre du même refus de l’enfermement de l’identité nationale dans un univers indigène vécu comme exclusion de la « modernité »62. C’est donc par un intéressant rétablissement que sont réintroduits dans le patrimoine des objets qui en avaient été bannis au nom de la promotion d’une identité nationale digne de ce nom. Plus paradoxal, ces objets sont réintroduits pour les mêmes raisons qui les avaient faits bannir : ce qui apparaissait comme un ensemble d’archaïsme pour les élites des indépendances apparaît désormais comme un héritage présentable promu au titre de patrimoine de l’humanité.

44Apparaît alors la dualité du patrimoine immatériel dont la mise en valeur oscille entre la construction d’une identité culturelle marocaine – « authentique », « enracinée » – et la promotion d’une image – « traditionnelle », « immémoriale » – à des fins touristiques. Quel est le rapport entre le rejet de la fossilisation de traditions par les élites de la décolonisation et la mise en valeur d’un patrimoine immatériel promu au rang de patrimoine de l’humanité ? La mise en valeur d’un capital culturel procède en même temps d’une opération de valorisation d’une ressource touristique. Le projet culturel embrasse-t-il la raison économique ?

Tourisme, violence culturelle et restitutions

63 En 2006, Le secteur touristique représente à lui seul 10,1 % du PIB au Maroc, 17 % du PIB en Tunis (…)
64 En Algérie, le tourisme représente 1,5 % du PIB (ibid.), tandis que les exportations de pétrole et(…)
45Dans le cas du Maroc, la promotion touristique se juxtapose à l’édifice culturel. Le patrimoine culturel est devenu une ressource économique décisive. Le Maroc comme la Tunisie sont dépendants du tourisme qui constitue une part importante du PIB63. L’Algérie, malgré l’importante infrastructure touristique mise en place dans les années 1970 (les célèbres « pouillonades »), en a abandonné l’exploitation avec les privatisations au début des années 1980. Comme s’il existait une équation économique, le tourisme – fondé sur l’exploitation du patrimoine culturel – compenserait l’absence d’hydrocarbures64 dans la balance commerciale de la Tunisie et du Maroc.

65 El-Faïz, 2002.
46Le patrimoine considéré comme une ressource économique doit être alors soustrait aux usages locaux, traditionnels en quelque sorte, en vue d’une mise en valeur qui le rende présentable à la « consommation » touristique. L’exploitation économique du patrimoine implique une muséification des villes,où la plus-value économique entraîne dans son sillage des déséquilibres sociaux. En raison de l’augmentation du coût de la vie ou pour des raisons de politique de mise en valeur patrimoniale et touristique, les populations locales (et usagers divers) sont chassées des centres des villes ou obligées de déplacer leurs activités. À Marrakech, Mohammed El-Faïz dénonce ainsi le « vandalisme patrimonial »65. La spéculation immobilière liée au tourisme a en effet réduit les espaces agricoles de la palmeraie, mettant en danger l’écosystème par les effets conjoints de l’urbanisation et de la modernisation des systèmes d’irrigation. La disparition des espaces agricoles et l’exploitation touristique intensive conduisent à l’apparition de très fortes inégalités et dans cet espace se côtoient des îlots d’extrême richesse liés au tourisme, et des poches de pauvreté dans lesquels sont cantonnées une partie des populations locales, dépossédées de leur espace, voire de leur culture. Ces déséquilibres pourraient à terme entraîner la disparition de l’identité sociale de la ville, c’est-à-dire son pouvoir d’attraction en entraînant du même coup des tensions sociales.

66 Simon Jenkins, « Hysteria Calls the Shots », The Times,19/11/1997 cité inKirshenblatt-Gimblett,(…)
67 Ibid. voir aussi Meskell Lynn, « Sites of violence : Terrorism, Tourism and Heritage in the Archae (…)
47L’expropriation des populations locales conduit inexorablement à des demandes de réparations et de restitutions. Dans le cas de l’Égypte où le tourisme est la ressource économique majeure, l’attentat de 1997 à Louxor a été interprété comme une réaction à une forme de violence imposée par le tourisme66. Rappelons le contexte : les habitants de Gurna qui résidaient près des ruines vénérables exploitant leurs parcelles et bénéficiant des passages du site avaient été expropriés pour laisser la place à un projet de musée de plein air. Les touristes, isolés des populations locales, apparaissaient alors comme des hordes d’envahisseurs étrangers, immorales, immodestes et en définitive, peu rentables pour les populations locales. Les islamistes pouvaient alors s’attaquer à Louxor comme « colonie du tourisme soi-disant culturel, occupé par les armées du tourisme mondial »67. En somme, si les empires coloniaux n’ont pas pu déplacer les sites, c’est le tourisme, sous couvert du label patrimoine mondial, qui a achevé d’en déposséder les populations.

48Cette analyse reprend les termes du discours encadrant la question des restitutions : le colonialisme entraîne la dépossession, laquelle justifie toute demande de restitution ; la propriété ici devient le moyen et la finalité de l’affirmation identitaire. Là encore, la rhétorique identitaire cantonne le problème à sa partie visible. L’attaque est portée contre le gouvernement égyptien par la déstabilisation du secteur de l’économie nationale le plus rentable. Le patrimoine ou le tourisme n’en constituent la cible que par incidence. C’est la ressource économique que représente le patrimoine culturel qui est la cible des groupes terroristes. Pourtant, à cause des valeurs de mémoire, d’histoire ou d’art qui sont assignées aux œuvres de patrimoine, la raison économique et la raison culturelle se confondent dans l’acte de violence.

68 Belgacem, 2008.
69 La Tribune d’Alger, 17/1/2008.
70 Amahan, 1992.
71 Nassir, 2006.
49La mise en valeur touristique s’accompagne d’une redéfinition des patrimoines nationaux. De même que la place Jamaa el-Fna est introduite dans le patrimoine national marocain, les antiquités romaines de l’Algérie sont réintroduites dans le patrimoine national. Les ruines de Tipasa, Cherchell ou Timgad, inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982, deviennent les sites phare du patrimoine algérien. Ils font l’objet de mise en valeur à des fins touristiques. Plus encore, l’Algérie a adopté depuis 2005 une politique active de sauvegarde de son patrimoine matériel et de lutte contre le pillage des sites archéologiques : au cours de l’année 2007, la police algérienne a récupéré 1 310 pièces d’archéologie mises en vente sur Internet. Ont également été lancées des opérations de restitution d’œuvres volées dans les musées algériens68. En janvier 2008, le buste de Marc-Aurèle, volé en 1996 au musée de Skikda et retrouvé en 2004 dans une vente à New York, a été restitué par la justice américaine69. De la même manière, le Maroc qui n’a jamais porté attention ni à la restitution des œuvres déplacées pendant la période coloniale, ni pris de mesures afin d’endiguer le trafic d’antiquités, a ratifié en 2003 la Convention de 1970 et fin 2006, une loi de protection du patrimoine matériel était en cours d’examen au Parlement. Symptomatiquement, le patrimoine marocain n’a jamais figuré dans les musées de beaux-arts, mais dans les musées d’ethnologie lesquels avaient été bannis à l’indépendance70. Cependant, quelques mesures de protection ont eu des résultats concrets : en 1996, la coopération de l’ICOM et d’Interpol a permis la restitution de deux portes des XIVe et XVIIIe ; en 2006, 17 000 fossiles ont été saisis à Perpignan71.

50Les processus de lutte contre le trafic illicite et de restitution d’œuvres pillées pendant la période coloniale sont donc étroitement liés. Ils partent d’une même logique : conserver le patrimoine comme un ensemble. Ce qui diffère, c’est la motivation de ces protections. Dans le cas des restitutions des années 1990, le motif était politique et culturel. Ici, la valeur touristique des œuvres motive leur restitution et par là, leur intégration au titre de patrimoine national, ce qui laisse présager que les œuvres qui n’entraient pas jusque-là dans la définition du patrimoine national pourraient faire l’objet de demandes de restitution.

Conclusion

51Notre examen de la question des restitutions au Maghreb, ou plutôt, l’absence apparente de demandes de restitution, nous a permis de montrer qu’elle est éminemment polémique et évolue au cœur d’une question patrimoniale au caractère souvent consensuelle. En fait, les revendications et le dispositif des restitutions varient en relation avec les représentations du patrimoine.Cette non-question des restitutions permet donc de faire apparaître les arguments et la rhétorique patrimoniale : identité, souveraineté nationale, développement et propriété. La propriété domine l’ensemble de la réflexion sur le patrimoine. En effet, si le retour des œuvres françaises au musée d’Alger au titre de patrimoine national aurait pu être contesté, le droit de l’Algérie à constituer son patrimoine était incontestable. Quel patrimoine l’Algérie se constitue-t-elle ?

72 Pouillon, 1997.
73 Bouabdellah, 1992.
52Au moment des décolonisations, la construction patrimoniale révélait l’impossibilité d’assumer pleinement le legs colonial. La rupture avec le folklore et l’imagerie coloniale intervient en même temps que l’idéologie révolutionnaire laquelle achève de faire disparaître les signes de la société traditionnelle ou archaïque72. C’est ce que montre l’histoire du musée d’Alger : après la restitution et les efforts d’extension de Maisonseul, la collection tombe en désuétude, le public déserte le musée73. Le patrimoine est autre, il est l’image de la Nation, moderne et enracinée dans un passé « authentique », celui-là même qui a été dispersé et emporté dans les métropoles coloniales. Les témoignages de ce passé, « bousillé » par le colonialisme, sont appelés à servir de base à la légitimité nationale et à inscrire les pays dans un futur qui leur soit propre. C’est le temps des Manifestes culturels, des déclamations ; celles-ci ont alors valeur d’effet, c’est, dirait-on, l’intention qui compte.

53À la fin des années 1970 et 1980, s’amorce un mouvement mondial de patrimonialisation des sociétés. Le patrimoine devient un objet indépendant : conserver, posséder, mettre en valeur, exposer, deviennent les maîtres mots des politiques culturelles. Sous l’impulsion de l’UNESCO, le principe de recouvrement des patrimoines en exil se systématise : le droit à la propriété patrimoniale devient un principe de droit international. La dimension politique est reléguée au second rang, et la législation internationale appuie les constructions culturelles et patrimoniales. Le principe de restitution devient également une valeur de transaction derrière laquelle s’efface la valeur culturelle de l’objet. Les relations complexes de la France et de l’Algérie sont suspendues à la restitution de menus objets, piètres symboles de bonne volonté. Le sceau du Dey d’Alger ne fait que révéler l’incompréhension ou l’absence de volontés politiques, de part et d’autre de la Méditerranée, de mener un travail de mémoire : partager les crimes et les assumer, partager les douleurs pour surmonter les rancœurs historiques et peut-être essayer d’oublier.

54Les objets d’art ont acquis une autre valeur, économique cette fois. Le patrimoine constitue un capital économique : il attire les touristes. Au début des années 1980, le développement des industries touristiques est abandonné par l’Algérie, mais s’intensifie au Maroc et en Tunisie. À l’image de la place Jamaa el-Fna, de nouveaux objets de patrimoine sont inventés. Il s’agit de conserver l’intangible en voie de disparition (n’est-ce pas le propre des « traditions » de disparaître à mesure qu’elles se renouvellent ?) et de développer à nouveau musées et conservatoires patrimoniaux. Les grands musées occidentaux rechignent à la restitution des œuvres phares arguant le principe d’universalité des cultures, tandis que les musées « pauvres » crient haut et fort leur droit à la propriété de ces mêmes œuvres. La valeur économique implique, au passage, la réintégration, au titre de patrimoine national, de ce qui avait été banni par les nationalistes au moment de la décolonisation. La rentabilité économique appelle le recouvrement du patrimoine ; capital économique et capital culturel se confondent.

55Restitutions, retour, rapatriement ou expropriation, réappropriation renvoient à la même idée, la propriété exclusive d’un groupe. La propriété devient l’essence du patrimoine qui s’énonce alors dans des rapports de force. Ces derniers spolient la réflexion culturelle et oblitèrent la mémoire dont les objets sont porteurs. Peut-être, au Maghreb comme ailleurs, faudrait-il renouveler les formulations du problème patrimonial, sortir du piège de la propriété et des positionnements identitaires immuables. Cela obligerait à engager une réflexion sur le partage, sur la relativité des mémoires et des identités, engagement politique assurément qui dépasse de loin la question patrimoniale.

 

Bibliographie

Des DOI (Digital Object Identifier) sont automatiquement ajoutés aux références par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition.
Les utilisateurs des institutions abonnées à l’un des programmes freemium d’OpenEdition peuvent télécharger les références bibliographiques pour lesquelles Bilbo a trouvé un DOI.

Aboun Adjali Ouahiba, 2007, « L’Alger de mon Panaf », El-Watan, 22 mars.

Amahan Ali, 1992, « Museums and Tourism : the Example of Morocco » in What museums for Africa ? Heritage and the Future, Paris, ICOM.

Appiah Anthony K., 2004, « Comprendre les réparations, une réflexion préliminaire » in Jewsiewicki Bogumil, 2004, p. 25-40.

Baghli Sid Ahmed, 1977, Aspects de la politique culturelle de l’Algérie, Paris, UNESCO.

BeldjennaRabah, 2006, « Une instance pour libérer des relations algéro-françaises », El-Watan, 17 mai.

Belgacem Malika, 2008, « Algérie : des mesures contre le pillage archéologique »,Syfia international, 14 mars 2008. http://www.syfia.info/fr/article.asp ?article_num =4896

Belkhodja Tahar, 1999, Les trois décennies Bourguiba, Paris, Publisud.

Benjelloun Mohamed Othman, 2004, « La question de la diversité culturelle à l’aune de l’accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis », colloqueDéveloppement durable : leçons et perspectives, Organisé par l’Organisation internationale de la francophonie, 1er-4 juin, Ouagadougou, Burkina Faso.

Bouabdellah Malika, 1992, « Museum Management : To Be or Not To Be » inWhat Museums for Africa ? Heritage and the Future, Paris, ICOM.

Boularès Habib, 2000, Hannibal, Paris.

Césaire Aimé, 1989, Discours sur le colonialisme, Présence Africaine, Paris, (1reéd., 1950).

El-Faïz Mohammed, 2002, Marrakech, un patrimoine en péril, Aix-en-Provence, Actes Sud.

Fayçal Metaoui, 2006, « Restitution de pièces archéologiques et d’œuvres d’art »,El-Watan, 14 mai.

Iversen Erik, 1968, Obelisks in Exile, Copenhague, GAD Publisher, 2 vol (1. Rome ; 2. Istanbul and England).

Jewsiewicki Bogumil, 2004, « Héritages et réparations en quête d’une justice pour le passé et le présent » in Jewsiewicki, Bogumil (dir.) Réparations, restitutions, réconciliations ; Entre Afriques, Europe et Amériques, Cahier des Études Africaines, 44, 173-174, p. 7-24.

Kirshenblatt-Gimblett Barbara, 2006, « World Heritage and Cultural Economics » in Karp Ivan, Kratz Corinne A. (dir.), Museum Frictions, public cultures/global transformations, Durham, Duke, p. 161-202.
DOI : 10.1215/9780822388296-008

L’Estoile Benoît de, 2007, Le goût des Autres, de l’exposition coloniale aux arts premiers, Paris, Flammarion.

Lévi-Strauss Claude, 1996, Anthropologie Structurale deux, Plon, Paris (1re ed. 1973]).

Merryman John H., 2000, Thinking About The Elgin Marbles, Londres, Kluwer Law International (1re ed. 1985).
DOI : 10.2307/1288954

Moussaoui Abderrahmane, 2007, « Algérie, la réconciliation entre espoirs et malentendu » Politique étrangère, 2, p. 339-350.
DOI : 10.3917/pe.072.0339

Müller Bernard, 2007, « Faut-il restituer le butin des expositions coloniales ? »Le Monde diplomatique, juillet.

Nassir Chifâa, 2006, « Haro sur les pilleurs du patrimoine marocain », Maroc Hebdo, 2 mars.

Nkrumah Kwame et alii, 1962, « Africa Speaks to the United Nations : A Symposium of Aspirations and Concerns Voiced by Representative Leaders at the UN », in International Organization, 16, 2, Africa and International Organization, p. 303-330.

Oulebsir Nabila, 2004, Les usages du patrimoine : Monuments, musées et politique coloniale en Algérie (1830-1930), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme.

Perrot Xavier, 2005, De la restitution internationale des biens culturels au XIXeet au XXe siècles : vers une autonomie juridique, Thèse de droit, Limoges.

Pomian Krzysztof, 1987, Collectionneurs, amateurs et curieux, Paris, Gallimard.

 — 2005, « Biens culturels, trésors nationaux, restitutions », Museum International, 228, p. 77-91.

Pouillon François, 1992, « Exotisme, modernisme, identité : la société algérienne en peinture » in K. Basfao & J.-R. Henry, Le Maghreb, l’Europe et la France, Paris, CNRS, p. 209-224.

— 1997, Les deux vies d’Étienne Dinet, peintre en Islam, Paris, Balland.

Roussillon Alain, 2005, « À propos de quelques paradoxes de l’appropriation identitaire du patrimoine », http://www.cedej.org.eg/article.php3 ?id_article =457

Roux Emmanuel de, 2007, « Restituer des œuvres d’art… mais à qui ? », Le Monde, 14 février.

Stoczkowski Wiktork, 2007, « Racisme, antiracisme et cosmologie lévi-straussienne, Un essai d’anthropologie réflexive », L’Homme, 182, p. 7-52.
DOI : 10.4000/lhomme.3481

Ukabiala Jullyette, 2001, « La traite des esclaves : ‘‘un crime contre l’humanité’’« , Afrique Relance, 15, 3, p. 5.

Védrine Laurent, 2006, « L’amitié à portée de canon », L’Express, 12 janvier.

Vulser Nicole, 2004, « La diversité culturelle, ennemie des États-Unis », Le Monde, 26 décembre.

Yacoub Hasna, 2007, « Restitution des archives de la période coloniale », La Tribune d’Alger, 8 avril.

 

Notes

1 Iversen, 1968.

2 Pour une bibliographie française, voir par exemple : de L’Estoile, 2007 ; Müller, 2007 ; de Roux, 2007.

3 Pomian 2005, p. 78.

4 Le 14/12/1960, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la Déclaration de l’octroi des indépendances dans laquelle sont envisagés leur droit de définir leur statut politique mais aussi leur développement économique social et culturel.

5 Jean-Luc Barbier, peintre et hussard, à la Convention en 1794.

6 Pomian, 2005, p. 87. Quelques oublis cependant comme ces Mantegna du musée de Tours… mais qui se préoccupe alors des « primitifs » italiens ?

7 Boularès, 2000 ; voir l’épilogue.

8 Belkhodja, 1999, p. 23. L’auteur précise : « Bourguiba eut du mal à cacher sa déception. Néanmoins, il rapporta avec lui une fiole remplie de sable qu’il avait recueilli lui-même sur la tombe d’Hannibal. »

9 Sur les liens entre archéologie et généalogie nationale en Tunisie, voir la contribution de Clémentine Gutron dans ce volume.

10 Le Monde, 4/12/1969, « Près de trois cents œuvres d’art ont été restituées par la France », cité in Perrot 2005, p. 232, note 68.

11 Jean Alazard (1887-1960), historien de l’art, spécialiste de la Renaissance italienne et conservateur du musée d’Alger de 1930 à 1960. Cf. Oulbesir, 2004, p. 320.

12 Pouillon, 1992.

13 Lettre de l’ambassadeur de France à Alger adressée au ministre des Affaires étrangères algérien, datée du 11 juillet 1968 (archives du musée des Beaux-Arts d’Alger), mentionnée dansle Recueil Général des Traités de la France. Accords bilatéraux non publiés, 1958-1974, Paris, La Documentation Française, 1977, vol. II, n° 680, p. 330, cité in Perrot 2005, p. 232.

14 Le sujet étant considéré comme source de contentieux, le protocole n’a jamais été revu par les deux parties. Communication de Malika Bouabdellah, directrice du musée d’Alger jusqu’en 1993.

15 Le Monde, op.cit.

16 Ce sont notamment des peintres « naïfs » révélés à l’époque française, tels que Baya, Benaboura, etc. Voir à ce propos Pouillon, 1992.

17 « La révolution culturelle constitue le couronnement de notre révolution globale, fondée surles trois piliers que sont les révolutions industrielle, agraire et culturelle. » Discours de Boumediene, 4/12/1971, cité in Baghli, 1977.

18 Nkrumah, 1962, p. 316.

19 Aboun Adjali, 2007. Voir aussi le film documentaire de William Klein, Le festival panafricain d’Alger, 1972.

20 « Manifeste culturel panafricain », Souffles, 16-17, 4e trimestre 1969, janvier-février 1970, p. 9-13.

21 Voir Oulebsir, 2004.

22 ONU, résolution 3187, adoptée à l’Assemblée générale de 1973.

23 Entre 1973 et 2006, l’ONU fait ainsi voter 23 résolutions relatives à la question des restitutions/réparations.

24 Amadou Mahtar Mbow (1921) est ministre de l’Éducation nationale du Sénégal à l’indépendance puis de la Culture et de la jeunesse. Directeur général de l’UNESCO en 1974 à 1987, il politise les missions de l’UNESCO. Son mandat est marqué par une forte polémique autour de la commission Mac Bride et du rapport « Many Voices, One World » qui entraîne le retrait des États-Unis de l’Organisation puis de la Grande-Bretagne en 1984.

25 UNESCO, 1983.

26 ibid.

27 La résolution 38-34 de 1983 affirme que « le retour à leur pays d’origine des biens culturels de valeur spirituelle et culturelle fondamentale est d’une importance capitale pour les peuples concernés en vue de constituer des collections représentatives de leur patrimoine culturel ».

28 Cf. notamment la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels.

29 Conception qui trouve son aboutissement dans la campagne internationale de sauvetage des monuments de la Nubie (1960-1980), laquelle mène à l’adoption de la Convention du Patrimoine mondial (1972).

30 Convention de 1970, préambule § 3.

31 Perrot, 2005, p. 484. Voir également Merryman, 2000.

32 Mélina Mercouri (1920-1994) a été ministre de la Culture en Grèce de 1981 à 1989 puis de 1993 à 1994. Son aura médiatique a vraisemblablement porté le « combat » grec sur la scène internationale.

33 Les textes de l’UNESCO sont complétés par d’autres instruments légaux tels que la Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (Rome, 24/6/1995).

34 Moshood Kashimawo Olawale Abiola (1937-1998). Homme d’affaires et d’État nigérian, il est président du Nigeria du 6 au 31/7/1993, avant d’être emprisonné jusqu’à sa mort.

35 La Proclamation d’Abuja est suivie de la déclaration d’Accra (Ghana) en 1999 et surtout de la conférence de Durban (Afrique du Sud) qui déclare l’esclavagisme « crime contre l’humanité ». Cf. Ukabiala, 2001.

36 Proclamation d’Abuja, 1993.

37 Ibid.

38 Jewsiewicki, 2004, p. 7.

39 Pomian, 1987.

40 Allocution du Président, 3 mars 2003, http://www.ambafrance-dz.org/article.php3 ?id_article =408.

41 Symbole ou pléonasme, l’expression est employée par Jacques Chirac dans son allocution, ibid.

42 Chirac en 2003 n’a d’ailleurs cessé de répéter que sa visite est la première d’un chef d’État français, ibid.

43 À propos des images d’Abd el-Kader et de leur signification dans le contexte national algérien, voir la contribution de François Pouillon dans ce volume.

44 Védrine, 2006. Cette pièce d’artillerie du XVIe siècle était connue sous le nom de « la consulaire » après que le consul de France ait été exécuté à l’aide de cette arme en 1672. En 1830, l’armée s’en était saisie comme symbole de revanche sur cette humiliation. En 1912 déjà, une pétition des anciens de l’Armée d’Afrique avait demandé, sans succès, le retour du canon à Alger.

45 Ibid.

46 AFP, 2/7/2006, discours à la tonalité virulente tenu lors d’un colloque international organisé à Alger et intitulé « le colonialisme : entre vérité historique et polémique politique ».

47 Les forums de discussion sur Internet témoignent de la vivacité des réactions et illustrent assez bien les tenants et les aboutissants de la question. On pourra consulter à ce propos le site http://www.algerie-dz.com/forums/showthread.php ?t =21496

48 Metaoui, 2006.

49 Beldjenna,2006 ; voir aussi Yacoub, 2007.

50 Sur les commissions Vérité et réconciliation, cf. Jewsiewicki, 2004. En Algérie une « loi d’amnistie » a été adoptée en 2005 afin d’entamer un processus de réconciliation nationale. Elle a cependant été très critiquée par les victimes de la guerre civile car elle tendait plus à réguler qu’à réconcilier la mémoire du conflit. Voir à ce sujet Moussaoui, 2007.

51 http://www.unesco.org/culture/policies/wccd/html_fr/index_fr.shtml

52 http://www.unesco.org/culture/policies/ocd/html_fr/index_fr.shtml. Cette conception de la diversité comme moteur de développement était le principe central de la Charte culturelle de l’Afrique en 1976.

53 Publiée par l’UNESCO en 1952 dans la collection La question radicale devant la science moderne. Pour une discussion et une démonstration de son instrumentalisation voir de L’Estoile, 2007, p. 309 et suivantes.

54 Claude Lévi-Strauss, 1996, p. 381. On peut se demander si, dans sa conception, la Déclaration sur la diversité culturelle n’est pas plus proche du texte controversé de Lévi-Strauss « Race et Culture » (1971) où l’auteur montre que le principe culturaliste domine la réflexion sur la diversité des cultures humaines. Sur le rapport des deux textes et leur rapport à l’idéologie de l’UNESCO, voir Stoczkowski, 2007.

55 Vulser, 2004.

56 Benjelloun, 2004.

57 Pouillon, 1997, p. 292.

58 L’Algérie fait figure de promoteur en accueillant en 2006 la première conférence du Comité intergouvernemental de protection du patrimoine culturel immatériel.

59 Le Matin du Sahara et du Maghreb, 30/6/1997, cité in Roussillon, 2005.

60 Roussillon, 2005.

61 Abdallah Laroui, L’idéologie arabe contemporaine,Paris, Maspero, 1967, cité inRoussillon, op.cit.

62 Ali Amahan, 1992, p. 281, les musées avaient été fondés par les services des arts indigènes afin d’encourager et promouvoir le développement d’un l’artisanat national, conforme aux traditions. En fait de tradition, il s’agissait plus d’une invention des motifs de l’artisanat.

63 En 2006, Le secteur touristique représente à lui seul 10,1 % du PIB au Maroc, 17 % du PIB en Tunisie où il constitue la première source d’entrée de devises.. Le tourisme est également en pleine expansion au Maroc. l’objectif est pour ce pays d’atteindre les 20 % du PIB en 2010. Source : World Economic Forum,http://www.weforum.org/pdf/Global_Competitiveness_Reports/Reports/chapters/2_2.pdf

64 En Algérie, le tourisme représente 1,5 % du PIB (ibid.), tandis que les exportations de pétrole et de gaz constituent les principales ressources du pays avec 45 % du PIB. Source : http://www.oecd.org/dataoecd/24/4/38555907.pdf

65 El-Faïz, 2002.

66 Simon Jenkins, « Hysteria Calls the Shots », The Times, 19/11/1997 cité inKirshenblatt-Gimblett, 2006, p. 188.

67 Ibid. voir aussi Meskell Lynn, « Sites of violence : Terrorism, Tourism and Heritage in the Archaeological Present », 2002, cité in Kirshenblatt-Gimblett, 2006, p. 187.

68 Belgacem, 2008.

69 La Tribune d’Alger, 17/1/2008.

70 Amahan, 1992.

71 Nassir, 2006.

72 Pouillon, 1997.

73 Bouabdellah, 1992.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Gabriel Leturcq, « La question des restitutions d’œuvres d’art : différentiels maghrébins », L’Année du Maghreb, IV | 2008, 79-97.

Référence électronique

Jean-Gabriel Leturcq, « La question des restitutions d’œuvres d’art : différentiels maghrébins », L’Année du Maghreb [En ligne], IV | 2008, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 06 mai 2015. URL : http://anneemaghreb.revues.org/431 ; DOI : 10.4000/anneemaghreb.431

source

8 Mai 1945 en Algérie : le Massacre des damnés

$
0
0

Les massacres de l’Est algérien, en mai 1945, ont ôté les dernières illusions de réformer le régime colonial et ont donné raison aux indépendantistes qui, depuis 1925/26, avec l’Etoile Nord Africaine ont mis dans leur programme sa destruction comme seul moyen d’émancipation.

Durant la guerre, la France défaite en 1940 est humiliée, occupée, réduite plus tard par les alliés, lors de la victoire sur l’Allemagne, au statut de comparse. Le 12 août 1941, Roosevelt et Churchill, sans la France, avaient signé la « Charte Atlantique » où « Ils respectent le droit qu’a chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre » et plus encore, ils désirent que soient rendus les droits souverains et le libre exercice du gouvernement à ceux qui en ont été privés par la force.

En Algérie les colonialistes, pétainistes honteux, ont perdu à jamais cette image de puissance et ce statut d’êtres supérieurs. Le débarquement américain a révélé leur insignifiance. En 1945 désormais, les Algériens ne sont plus cette masse de sous-hommes anonyme et soumise.

Nous avons alors, Ferhat Abbas qui vient, enfin, de trouver la Nation algérienne, mais…dans le cadre d’« une République autonome fédérée à une République française rénovée, anticoloniale et anti-impérialiste », viennent ensuite les Ulémas dont le principe est de ne pas s’engager en politique mais de protéger et promouvoir l’Islam et la langue arabe, leurs statuts sont clairs, « art.3-Toute discussion politique, ainsi d’ailleurs que toute intervention dans une question politique, est rigoureusement interdite au sein de la société » et enfin le PPA qui est ouvertement pour l’indépendance du pays.

De Gaulle, chef de la France, en exil, ne comprend rien à la chose. Dans son mépris des aspirations réelles des Algériens, il croit encore que l’aumône peut faire de l’effet. Il fait un geste qu’il pense auguste. Dans l’ordonnance du 7 mars 1944, il accorde la citoyenneté française à 65 000 personnes environ et porte à deux cinquièmes la proportion des Algériens dans les assemblées locales. Le même mois, les acteurs du mouvement national se rassemblent.

Il y a les indépendantistes autour du PPA (Parti du Peuple Algérien)et de son chef Messali Hadj, les réformistes Ulémas et une évolution des assimilationnistes en autonomistes autour de Ferhat Abbas. Cette alliance se fait autour d’un texte de ce dernier, le Manifeste du peuple algérien, appuyé par le PPA. Auparavant, le texte, signé par 28 élus et conseillers financiers, a été envoyé aux Américains. Le rassemblement prend le nom des Amis du Manifeste et de la Liberté(AML). Le PPA garde son autonomie, mais il est le véritable moteur des AML. C’est lui qui tient le discours qu’attendent les proscrits, notamment les jeunes plébéiens.

En 14 mois, en mai 1945, le parti indépendantiste assure l’hégémonie de sa ligne politique au sein des AML. Il n’est plus question que « d’un Etat séparé de la France et uni aux autres pays du Maghreb ». L’idée s’empare des masses populaires et intègre leur conscience. Les AML acceptent aussi que Messali Hadj comme « leader incontesté du peuple algérien ». Des velléités insurrectionnelles apparaissent. Elles sont vite abandonnées pour le moment. Les colonialistes préparent la riposte.

Le 25 avril 1945, afin de décapiter le mouvement, Messali Hadj est arrêté et déporté à Brazzaville. Le PPA décide de défiler à part le 1er mai, avec ses propres mots d’ordre, pour la libération de son leader. A Alger et à Oran, la police et des ultras tirent sur les manifestants. Malgré les morts et les blessés la mobilisation ne faiblit pas. Le carnage est en préparation. Des milices coloniales se constituent. A Bougie, Sétif, Bône et Souk-Ahras, est lancé un appel par les AML et le PPA pour manifester pacifiquement le 8 mai. Il s’agit de célébrer la victoire sur le nazisme et de mettre en avant les revendications nationalistes.

Certains, des ruraux peu rompu à la chose politique et impatients d’en découdre avec l’oppression, ont pu venir armés. Ce jour, à Sétif, le drapeau du PPA, qui deviendra l’emblème national, fait son apparition. C’est en voulant le protéger de la police que le premier manifestant est tué et d’autres suivent. Enormément d’autres. La même tragédie se déroule dans d’autres villes. Tout bascule, une violence inouï se déchaîne contre les algériens. Les sinistres Général Duval, Lestrade Carbonnel (préfet de Constantine) et André Achiary (sous-préfet de Guelma) vont exprimer la brutalité coloniale. Les charniers sont ouverts pour cacher les massacres.

Le bilan estimé pour les Algériens est 40 à 45000 morts. Le bilan exact pour les Européens est de 102 morts. Ces derniers ont été tués, pour la plupart, en zone rurale et en représailles des assassinats d’Algériens commis par les milices et les forces armées. L’hystérie criminelle dure. A la fin de la tragédie, l’Algérie n’est plus la même. Le massacreur en chef, le Général Duval déclare « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable ». Dans le camp algérien, l’heure est à se déterminer.

La réalité coloniale vient de s’exprimer. Elle met en scène deux camps inconciliables sans l’assujettissement de l’un à l’autre. C’est la leçon que tire le PPA. Les réformistes continuent de croire en la bonne volonté du colonat. Ferhat Abbas qui crée l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA), développe la thèse d’un Etat Algérien, au sein « d’une vaste et libérale communauté française». Il rassure en disant « …les distinctions actuelles, consécutives au régime colonialiste, nous font un devoir d’accepter des aménagements provisoires… ». Les Ulémas se confinent dans la revendication sociale et religieuse.

Le PCA persiste dans son incompréhension que la lutte de classe est plus complexe pour un Algérien. Ce Parti occulte l’oppression coloniale ou la minimise. L’Algérien doublement opprimé n’adhère pas. Les Européens en général, sauf quelques militants communistes, sont plus que jamais effrayés par la perspective de devoir partager leur statut avec les « indigènes ». Ce qu’ils ont surtout retenu c’est qu’ « ils ont osés ». Eux qui paraissaient si calmes et si insérés dans le système. Eux ce sont leurs employés, leurs ouvriers, leurs bonnes et leurs « amis si francisés».

La répression sauvage les met devant une réalité, la possibilité ouverte d’un changement radical. Et que ce changement ne peut se faire que s’ils abandonnent leurs privilèges. Leur grande masse n’est peut être pas mobilisée, mais elle serait loin d’accepter un Etat algérien. De forts courants se cristallisent et se radicalisent en prévision de devoir défendre l’Algérie française. Lors des élections de novembre 1946, la peur fonctionne et annihile les nuances, les européens votent massivement pour « le Rassemblement pour la défense de l’Algérie française».

Plus tard en 1956, Mouloud Feraoun écrivait (dans Journal) « est ce bien vrai qu’ils veulent nous « intégrer », ces Français ? Allons donc ! Ils le veulent parce qu’ils savent fort bien que la chose est impossible en fait. » La cassure est faite et « l’Algérie de papa » est en danger de mort. En face, les Algériens ne seront pas insensibles à l’insensibilité de la communauté européenne devant l’atroce tuerie.

La conclusion qu’on ne réforme pas le colonialisme est celle à laquelle est parvenue la matrice ENA-PPA-MTLD, depuis le début, lors de son irruption sur la scène des luttes anticolonialistes. Mai 1945 lui a donné raison. Il restait, en son sein, de clarifier la stratégie et les moyens à mettre en œuvre pour la libération du pays. Près de dix ans plus tard, le 1er novembre 1954, de jeunes militants entraînent un peuple impatient dans la grande aventure vers l’indépendance. L’UDMA et les Ulémas sont obligés deux ans plus tard de se fondre dans le Front de Libération Nationale/Armée de Libération Nationale (FLN/ALN). Le PCA obtient de ne pas se dissoudre, mais de soumettre ses éléments à la discipline du Front.

Ahmed Halfaoui

 

Fred Romano présente une nouvelle version de « Topographie et Histoire Générale d’Alger »

$
0
0

Fred Romano nous présente une nouvelle version de « Topographie et Histoire Générale d’Alger », comportant des éléments inédits qui lui permettent d’affirmer et démontrent que Miguel de Cervantès en est l’auteur, et pas Diego de Haedo (l’auteur déclaré), aux Editions du Menhir (Carnac, France www.editionsdumenhir.com parution en mars 2015).

Ce livre éclaire autant sur l’existence quotidienne des esclaves chrétiens en Alger que sur l’existence quotidienne des corsaires musulmans d’Alger (souvent, les esclaves chrétiens, se convertissant à l’islam, devenaient corsaires) ou encore sur l’islam au quotidien au 16eme siècle en Algérie.

Il est évident que l’auteur, qui a pénétré dans les mosquées et discuté fermement avec des ulémas, s’est converti à l’islam. Miguel de Cervantès, dans le tome 2 des Aventures de Don Quichotte, attribue la paternité de cette œuvre à Sidi Ahmed Ben Jeli. Fred Romano prétend qu’il s’agit là de son nom de renégat.

Miguel de Cervantès, en tant qu’esclave chrétien, avait promu quatre tentatives d’évasion des bagnes d’Alger, dont une seule d’entre elles aurait dû se payer d’une mort atroce, la seule échappatoire possible étant la conversion à l’islam. Elle a travaillé dix ans durant sur cette édition originale de 1612, identifiée et conservée depuis 100 ans au cœur de la Bibliothèque Nationale de Catalogne.

Les drames de la dictature en Espagne l’avaient maintenue à l’écart de la connaissance universelle. Vis-à-vis de la version française de 1870, celle de Fred Romano présente des pans entiers de l’ouvrage qui avaient été purement et simplement supprimés par le traducteur de 1870 (comme l’introduction ou la licence de publication du roi d’Espagne Philippe III).

Par ailleurs, notons que la version de 1870 évoque constamment les « musulmans d’Alger », quand dans le livre original, ce terme n’est utilisé qu’une seule fois, à propos des juifs convertis à l’islam (« il ne leur vient pas à l’idée d’être de bons musulmans »).

Et pour cause car, selon l’auteur, les corsaires d’Alger ne sont ni chrétiens ni musulmans, toujours à cheval entre deux mondes. Enfin, le déroulement des chapitres nous permet d’apprécier, par la qualité et la précision des informations rapportées, qui ont été les maitres de Cervantès esclave et comment il a pu, étant esclave manchot, survivre tout en écrivant une véritable encyclopédie sur Alger.

Un détail particulier fait de l’édition conservée en Catalogne un ouvrage sans prix, un véritable trésor de l’Humanité, car le texte a été corrigé a la main (les corrections portent surtout sur l’islam) par un lecteur musulman employant un espagnol d’avant 1756, une circonstance absolument unique dans l’histoire mondiale de la Littérature.

(et vous ne faites pas et ne dites pas la meme chose, et pis encore, vous autres Catholiques ?)

Fred Romano (Paris, 1961) est une auteure française résidente a 200km au nord d’Alger, sur l’ile espagnole de Formentera (« Topographie.. » est aussi le premier livre au monde qui évoque cette ile, que l’auteur désigne comme « voisine d’Alger »). Elle a commencé sa carrière en recevant le premier prix mondial de la nouvelle en français RFI-Agence de la Francophonie en 1994 pour sa nouvelle « Le petit chat est mort ».

 

CERTIFIÉE HALAL

$
0
0

Titre original : Certifiée Halal
Réalisé par : Mahmoud Zemmouri
Ecrit par : Mahmoud Zemmouri
Distributeur : Fennec Productions
Avec : Mourade Zeguendi, Hafsia Herzi, Jicey Carina
Date de sortie : 13/05/2015
Genre : Comédie
Pays : Algerie, Belgique, France

SYNOPSIS

Dans un village reculé du Maghreb, deux convois nuptiaux se télescopent autour du petit édifice du Marabout. Dans la confusion, les familles se trompent de mariées, identiquement voilées. Sultana, la fille du douar et Kenza, une jeune Française mariée de force par son frère, vont révolutionner, chacune à leur manière, ce petit monde traditionnel.

VIDÉOS SUR CERTIFIÉE HALAL

 source

HOMMAGE A TAHAR GAID

$
0
0

Né en 1929 à Timengache, près de Guenzet, dans le fier pays des Ith Yala, Tahar a fait la médersa de Constantine et d’Alger.Il a été parmi les fondateurs de l’UGTA,connu les affres de l’emprisonnement dans les camps, a contribué à l’indépendance, à la reconstruction du pays, en occupant de hautes fonctions dans l’administration. Il a représenté le pays à l’étranger en qualité d’ambassadeur, écrit plusieurs ouvrages sur l’Islam et reste toujours à l’écoute des pulsations de la société.

Ecrivain, traducteur, militant de la cause nationale, professeur, syndicaliste médersien, autant de casquettes dans un seul homme dont l’humilité est sans doute l’une de ses qualités les plus saillantes.

Il est le frère du regretté Mouloud militant du mouvement National, Moudjahid, Ambassadeur, homme de culture et écrivain. Une série de sept livres a couronné son inlassable travail de recherche dont l’ouvrage phare demeure  » Les Berbères dans l’Histoire  » ou encore « L’histoire de Bejaia et sa région ». La passion de Mouloud, frère aîné de Tahar, demeure la réhabilitation de la dimension amazighe. Il est décédé dans la nuit du 5 au 6 décembre 2000.

Malika Gaid, l’héroïne Malika, mort au maquis en 1956 les armes à la main était la sœur des frères Tahar et Mouloud Gaid. Elle était la seule femme à avoir assisté au congrès de la Soummam sur décision du chef de la zone 3 (future w3) / Elle devait organiser les services de santé à l’occasion du congrès de la Soummam courant du mois d’aout 1956.

Malika est tombée moins d’une année après les armes à la main après une résistance de près de deux heures aux paras de Bigeard près du hameau de Iwaqouren ( ou se trouvait une infirmerie de l’ALN ) sur le versant sud du Djurdjura le 27 juin 57 abattue à bout portant par un harki qu’elle avait giflé une fois à court de munitions. Elle avait 24 ans.

Tahar relate le comportement de sa sœur bien avant le 1er-Novembre 1954 :
«En 1953, nous habitions Bordj Bou-Arréridj. Comme nous étions des militants du PPA, nos responsables nous avaient chargés de coller des affiches exigeant la libération de Messali Hadj. Au centre-ville, il y avait tant de policiers que nous n’avions pas osé faire notre travail.

C’est elle qui est sortie, toute seule, à une heure du matin pour coller les affichettes.» Elle n’avait que 20 ans. Rien ne semble tempérer l’ambition de la jeune fille d’apporter sa contribution au combat libérateur de son peuple. «En octobre 1955, elle fait, toute seule, le voyage de Guenzet vers Alger. Comme je travaillais avec Abane Ramdane, elle m’a demandé de solliciter pour elle l’autorisation de monter au maquis. Seulement, Abane était réticent parce que selon lui, la société algérienne n’était pas encore prête à voir une femme au maquis».

Tahar Gaid ajoute :

Mais le destin de l’héroïne prendra un tournant décisif lors de sa rencontre avec celui qui deviendra la hantise de l’armée française, Amirouche en l’occurrence.
A Guenzet où elle était infirmière, Malika était dans son élément. Et pour cause, en 1956, les combattants de ce qui deviendra après le congrès de la Soummam, l’Armée de libération nationale (ALN), étaient en nombre dans cette région montagneuse. Ils avaient pour mission principale, d’éradiquer le maquis de Bellounis, installé au mont de Tilla.

Une fois les forces de Bellounis chassées, Guenzet est devenue un territoire libéré. Ce que l’armée française ne pouvait concéder d’autant plus que la région était une place stratégique et une terre d’où sont sorties des figures de proue de la guerre de Libération.

L’armée française y déploya une force colossale pour marquer sa présence. Amirouche qui était le responsable de la région conseilla donc à Malika de rejoindre le maquis. Elle n’attendait que cela. Elle a toutefois émis une condition, «ne pas se limiter au seul rôle de simple infirmière : avoir sa tenue militaire et son arme de guerre», confiera Tahar.

Lorsqu’on évoque les noms d’Abane Ramdane et d’Amara Rachid, Tahar retient difficilement les larmes. Le premier, parce qu’il a été son assistant, et le deuxième parce que c’était son ami. C’est lui qui a mis les deux hommes en contact, et une grande confiance s’était installée entre eux.

Et même si Tahar Gaïd était en prison, lors de la grève des 8 jours, initiée sur ordre du FLN, il se rappelle que les préparatifs de ce mouvement de protestation étaient programmés bien avant.

Abane Ramdane, rappelle Tahar Gaid, avait dès 1955 pensé à créer des organisations des travailleurs et des commerçants, dont la mission était de préparer le peuple à répondre aux appels du FLN. Et c’est pour cette raison que les historiens s’accordent à dire que la grève des 8 jours a été un révélateur sans pareil pour éclairer à leur juste mesure, les enjeux et les finalités stratégiques de la colonisation.

En effet, la grève a montré la représentativité du FLN, le triomphe de l’idée d’indépendance. Sur le plan diplomatique, c’est un grand succès. Car, après discussion, l’ONU décide, le 15 février 1957, d’une résolution de compromis votée à l’unanimité (sauf la France) : pour une solution pacifique, démocratique et juste conformément à la charte de l’ONU. C’est que la grève des 8 jours avait atteint pleinement ses objectifs.

Merci Chère aîné Tahar Gaid de me compter parmi tes invités à l’hommage qui te sera rendu ce samedi à Guenzet. Mes remerciements vont également à l’Association des Ith Yala, qui a émis le grand souhait de ma présence lors de cette cérémonie, aux côtés de géants de notre histoire nationale.

Karim Younès

L’Algérie, c’est beau comme l’Amérique

$
0
0

Un demi-siècle après les accords d’Evian, marquant la fin de la guerre d’Algérie et l’indépendance de cette dernière, le conflit ne cesse de hanter les mémoires, de poser des questions, surtout lorsqu’on est, comme Olivia, fille de pieds-noirs.Les mémoires se chevauchent et s’entremêlent : celle de sa famille, paysans à la vie âpre dans les Aurès, celle du FLN (Front de Libération Nationale), qui relègue les pieds-noirs au rang de sombres colonisateurs, celle de l’OAS (Organisation Armée Secrète), refusant l’inévitable et agissant dans la violence, ou encore celle de De Gaulle, haï par les aïeux d’Olivia. Encore plus prégnant, quelle est la réalité de ce pays aujourd’hui ? Olivia se trouve dans un véritable dilemme. Seul un voyage en terre algérienne, motivé par les écrits de sa grand-mère décédée, lui permet de placer la réalité au-dessus de tout fantasme.

lalgerie_cest_beau_image1Dans une narration maîtrisée de bout en bout, Olivia Burton nous transporte dans son histoire familiale et dans son périple initiatique en Algérie. Cet album se distingue réellement parmi une abondance d’ouvrages sur l’histoire familiale, thème qui semble aujourd’hui questionner les auteurs plus que jamais, dans un désir bien légitime de connecter mémoire familiale et mémoire de l’Histoire. On remarque que la bande dessinée n’échappe pas à l’engouement pour la guerre d’Algérie qui coïncide avec la libération des mémoires de celle-ci, qui, si elle reste un sujet sensible, est aussi traitée de manière un peu moins passionnée. Des souvenirs familiaux (L’Esprit à la dérive de Samuel Figuière) à la fiction tragi-comique (J’ai pas tué De Gaulle … mais ça a bien failli de Bruno Heitz), le thème de l’Algérie irrigue de sa complexité de nombreux ouvrages. L’opus d’Olivia Burton se distingue par une économie dans les dialogues, privilégiant la fluidité des pensées ; le dessin de Mahi Grand est soigné, aux traits naïfs, tout en douceur, souvent proche du dessin-reportage,entrecoupé de cases colorées, correspondant aux photographies prises par Olivia, comme autant de ruptures relançant le récit, donnant harmonie et équilibre à l’ensemble.

Entre carnet de voyage et travail sur les mémoires, Olivia Burton livre un ouvrage intime et ambitieux, personnel et universel, une histoire française qui transcende toute vision simpliste et tout manichéisme.

lalgerie_cest_beau_image2

source

L’histoire de l’Algérie retracée au fil des cartes

$
0
0

Le Mucem propose « Made in Algéria », une vaste exposition qui décrit par le menu, comment la puissance coloniale française s’est emparée des territoires algériens en les redessinant.

Au milieu de la salle, un vaste plan en relief d’Alger, son port, la casbah, les murailles, et en dehors de la ville le cimetière, l’arsenal, le fort, avec au premier plan la jetée. La maquette a été réalisée en 1941, en plâtre, à l’échelle 1/500e, selon les plans dessinés par les officiers du génie du corps expéditionnaire de Napoléon III, à leur arrivée en Algérie, en 1830/31. L’objet de plusieurs mètres d’envergure fut rapatrié en 1962. Ce « plan-relief » souligne à lui seul l’importance donnée à la représentation des lieux, et le trophée colonial que cette même représentation incarne.

Pour autant, « la guerre d’Algérie n’est pas le sujet », tiennent à préciser les initiateurs de cette exposition temporaire, visible au Mucem jusqu’au 2 mai. « Made in Algéria, généalogie d’un territoire » veut rendre compte, « par les images, la cartographie et les relevés de terrain, de ce long et singulier processus qu’a été, à dire vrai, l’impossible conquête de l’Algérie ». Et les deux commissaires de l’exposition, Zahia Rahmani, responsable de l’institut national d’histoire de l’Art, et Jean-Yves Sarazin, le directeur du département des cartes et plans de la BNF, ont réalisé un travail d’orfèvre en mettant en perspective, à travers de précieux témoignages d’époque, l’évolution de ce territoire.

Carte Mucem 3 BNF Lecture seule

Du flou artistique au trait

L’exposition, très didactique, suit un ordre chronologique. L’Algérie est d’abord « un territoire vu de loin » comme en atteste cette perspective de la baie d’Alger (ci-contre), menacée à l’évidence par cette flotte de vaisseaux, une vue qui renseigne peu sur la géographie du territoire ; faut-il que le sujet du plan soit le bastion français du village de La Calle (1788) pour qu’il apparaisse nettement et en détail. Un bastion construit sur un « ancien comptoir (…) qui mettait Marseille en contact économique permanent », déjà à l’époque.

Et les relevés d’espions dont témoignent les cartes réalisées d’après croquis et dessins augurent de la suite. L’Algérie fera l’objet d’un travail cartographique ininterrompu, à partir de 1830 et le début de la colonisation. De la part des militaires, des civils, de l’administration, des scientifiques, au point d’assister à une dissociation. D’un côté, la froideur des côtes et des relevés, de l’autre, les grandes peintures oniriques. A la carte des environs de Philippeville fixant sur le papier « le terrain proposé pour réserve d’indigènes » répond, par exemple, cette peinture de paysage de Jean-Antoine Siméon Fort qui rehausse de tons ocre et bleu, un exploit, « l’itinéraire suivi par le corps expéditionnaire depuis Constantine jusqu’à Alger ».

« Comme s’ils étaient venus donner du pain ! », le commentaire de ce visiteur fuse devant le tableau d’Horace Vernet, qui a « immortalisé » la prise de Bône de 1832, la distribution a lieu sur les remparts, les soldats de l’armée française hissent le drapeau, tandis que le peintre a posé au premier plan, « une figure arabe indolente » voire indifférente. Une figure qui sera répété sans cesse, d’autant que l’impression de cartes en série apparaît en filigrane comme un tournant. De la multiplication des cartes portales éditées en droite ligne des expositions coloniales, montrant une Algérie « pacifiée », touristique et pittoresque à celles accrochées au tableau dans les salles de classe avec ces trois départements et préfectures à apprendre par cœur… avec tout de même ce Sud algérien indéfinissable.

source


La Musique, L’Espace Et Le Temps

$
0
0

Qu’est-ce que ne donnerait pas l’homme afin de pouvoir maîtriser le temps et l’espace ?!…
Ces deux monstres invincibles, qui cheminent côte à côte, avec une assurance arrogante dans une dimension propre aux hommes en les assujettissant à leurs lois.
Pourtant, ces mêmes hommes devant cet asservissement, ont réussi, à créer de quoi défier en beauté et le temps et l’espace ; A la clef, un art :
La Musique !….
Comment serait le monde des humains sans musique ?
Bien envie de répondre : Muet !
Mais c’est faux, la création est bien plus merveilleuse, bien plus intelligente, bien plus riche, bien plus bienfaisante, bien plus compatissante, bien plus miséricordieuse que ça !….
Dame Nature a sa musique propre :
Le murmure d’une eau tranquille qui coule ou les remous des chutes d’une cascade, le chuchotement ou déchaînement des vagues contre les rochers, aux sonorités d’ instruments de percussion, le sifflement doux ou fort du vent, grand inspirateur de tous les instruments musicaux à souffle, le tonnerre et ses grondements, évocateur de sonorités puissantes, déchirant le calme des cieux, remplissant de peur et d’effroi les vivants, petits et grands, résonances largement reprises pour accompagner, raviver, alourdir les horreurs, les terreurs, les drames et autres bouleversements. Et de voix alors, de chants il n’y en a donc pas ?
Pour ne citer que ces deux-là, il y a les chants de divers oiseaux, qui ont cette particularité de vous transcender ou de vous agacer !…
Il existe un chant singulier et unique : Le chant des baleines. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui ont eu ou qui auront, la chance de l’écouter au milieux des océans !….
La musique, cet art s’appuyant, s’imprégnant, s’inspirant de Dame Nature, ajoutant à cela, la fibre, l’oreille musicale et l’esprit inventif d’hommes doués, a fini par défier tous les obstacles posés par le temps et l’espace.
Ainsi, un orchestre iranien, grâce à des recherches, a réussi et avec la musique, à transposer celui qui l’écoute, aux fins fonds de la Perse antique !
On traverse, tout aussi bien de petites ruelles poussiéreuses, que des espaces dallés de marbres d’une cité prospère…. On visite des temples encensés, où des divinités de statues imposantes et muettes, s’approprient le pavé… Quoi de mieux que les palais petits ou grands pour prendre la mesure de la vie qui y foisonnent et bat son plein ?!
Ces palais où l’art et le temps de vivre prennent tout leur sens…
La somptuosité, l’intrigue respirent, transpirent et suent à travers les murs des castels, des citadelles et des cités.
La course au pouvoir à travers les points clefs et qui n’ont pas changés depuis, tels que les plaisirs charnels, l’or, la manipulation des esprits par les mots, par le mensonge ; Ce maître absolu pour certains, défiant tout, à l’état de mort, il est suspendu et dans le temps et dans l’espace ; Pourtant, Il parvient avec ceux qui décident de lui donnent vie, à posséder, petit à petit; leur esprit et finit par habiter leur âme !….
Les instruments revisités, les notes de musique, habilement reconstituées et magistralement exécutées, donnent toute l’ampleur, aux attentes, aux désirs, aux passions, aux déceptions, aux déchirements, aux meurtres, aux naissances légitimes et illégitimes, aux victoires et défaites d’hommes et de femmes d’une antique cité Perse !….
Bonne écoute

H.B. Zine

Lieu de tortures et de sévices : La ferme Améziane

$
0
0

Avec la villa Susini à Alger, la ferme Améziane à Constantine est considérée comme l’un des plus importants et des plus inhumains centres de tortures aménagés par l’administration coloniale durant la guerre de libération nationale. La ferme Améziane, a été en transformée en Centre de renseignement et d’action (CRA) vers la fin de l’année 1957.

Ce centre dispose de plusieurs unités spécialisées chargées notamment de réprimer toute action soutenant la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Ces unités dépendent essentiellement de trois grands ensembles répressifs : il s’agit, par ordre d’importance, du 27e bataillon d’infanterie (unité opérationnelle du secteur), des Sections administratives urbaines (SAU), des Sections administratives spécialisées (SAS) et des Services civils à travers ses différentes composantes, PRG, PJ, Sûreté urbaine et CAS. Ce centre de renseignement et d’action dispose également d’un commando formé pour lutter contre l’organisation politico-administrative du Front de libération nationale (OPA/FLN).

C’est le sinistre commandant Rodier qui est responsable de ce centre de torture. Ce dernier a centralisé toutes les actions au niveau de cette ferme. Tous les suspects arrêtés au niveau de Constantine sont conduits d’une manière systématique au domaine Améziane. Cela permet aux différents services de renseignement d’avoir des interrogatoires communs.

Ce centre a été utilisé pour former les officiers de l’armée française à pratiquer la torture sur les suspects arrêtés lors des rafles ou sur dénonciation. Les suspects, une fois sur place, sont répartis en deux groupes distincts : ceux qui devaient être interrogés sur place et ceux qui devaient attendre dans des cellules aménagées pour la circonstance. Les principaux assistants du commandant Rodier, les tortionnaires de la ferme Améziane, sont notamment les capitaines Massin et Pesh Muller, l’inspecteur Berger ainsi que certains ralliés zélés chargés d’exécuter la basse besogne.

Torture quasi industrielle

Dans un document publié pour la première fois dans Vérité Liberté n° 9 de mai 1961, le fonctionnement de la torture dans cette ferme est clairement expliqué. D’après Pierre Vidal-Naquet, ce rapport sur la ferme Améziane n’est pas un document émanant d’un service officiel. « Il a été rédigé par un groupe de jeunes appelés en service à Constantine. Ces jeunes appelés ont eu accès à une documentation officielle et les chiffres qu’ils donnent, notamment, sont d’une authenticité absolue ».

Quelle que soit la source de ce document authentifié, son contenu reste éloquent. Il traduit toute l’organisation sinistre mise en place par les services spéciaux à Constantine pour pratiquer la torture à grande échelle : « À la ferme Améziane, centre de renseignement et d’action (CRA) de Constantine, elle se pratique à l’échelle quasi industrielle (…) C’est à la ferme Améziane que sont conduits tous les suspects pris par les unités de l’Est algérien. L’arrestation des « suspects » se fait par rafles, sur renseignements, dénonciation, pour de simples contrôles d’identité. Un séjour s’effectue dans les conditions suivantes : à leur arrivée à la « ferme », ils sont séparés en deux groupes distincts : ceux qui doivent être interrogés immédiatement et ceux qui « attendront », à tous on fait visiter les lieux et notamment les salles de torture « en activité » : électricité (gégène), supplice de l’eau, cellules, pendaisons, etc. Ceux qui doivent attendre sont ensuite parqués et entassés dans les anciennes écuries aménagées où il ne leur sera donné aucune nourriture pendant deux à huit jours, et quelquefois plus encore. »

Dans le même article, un fait surprenant est révélé. La torture se pratique en suivant un guide dument rédigé par les services de renseignement : « Les interrogatoires, conduits conformément aux prescriptions du guide provisoire de l’Officier de renseignement (OR), chapitre IV, sont menés systématiquement de la manière suivante : dans un premier temps, l’OR pose ses questions sous la forme « traditionnelle » en les accompagnant de coups de poing et de pied : l’agent provocateur, ou l’indicateur, est souvent utilisé au préalable pour des accusations précises et… préfabriquées. Ce genre d’interrogatoire peut être renouvelé. On passe ensuite à la torture proprement dite, à savoir : la pendaison (…), le supplice de l’eau (…), l’électricité (électrodes fixées aux oreilles et aux doigts), brûlures (cigarettes, etc.) (…) les cas de folies sont fréquents (…) les traces, cicatrices, suites et conséquences sont durables, certaines même permanentes (troubles nerveux par exemple) et donc aisément décelable. Plusieurs suspects sont morts chez eux le lendemain de leur retour de la « ferme ».

Les interrogatoires-supplices sont souvent repris à plusieurs jours d’intervalle. Entre-temps, les suspects sont emprisonnés sans nourriture dans des cellules dont certaines ne permettent pas de s’allonger. Précisons qu’il y a parmi eux de très jeunes adolescents et des vieillards de 75, 80 ans et plus. À l’issue des interrogatoires et de l’emprisonnement à la ferme, le « suspect » peut être libéré (c’est souvent le cas des femmes et de ceux qui peuvent payer (…) ou interné dans un centre dit « d’hébergement » (à Hamma-Plaisance, notamment) ; ou encore considéré comme « disparu » (lorsqu’il est mort des suites de l’interrogatoire ou abattu en « corvée de bois » aux environs de la ville (…)

Les « interrogatoires » sont conduits et exécutés par des officiers, sous-officiers ou membre des services du CRA (…) Les chiffres – car il y en a – sont éloquents : la capacité du « centre » entré en activité en 1957, est de 500 à 600 personnes, et il paraît fonctionner à plein rendement en permanence. Depuis sa constitution il a « contrôlé » (moins de huit jours de prison) 108 175 personnes ; fiché 11 518 Algériens comme militants nationalistes sur le secteur ; gardé pour des séjours de plus de huit jours 7 363 personnes ; interné au Hamma 789 suspects. » »

Ce rapport, repris par Jean-Luc Einaudi, dans son livre La Ferme Améziane, Enquête sur un centre de torture pendant la guerre d’Algérie, recoupe et confirme les différents témoignages recueillis par Einaudi à Constantine. Ce rapport, souligne-t-il, établissait « ce qui me paraissait déjà évident : la ferme et les tortures qui s’y pratiquaient n’étaient pas des aberrations sanglantes nées de l’esprit de quelques bourreaux sadiques. Il s’agissait d’une institution fonctionnant sous le contrôle de la hiérarchie militaire. Les tortures qui y étaient pratiquées reposaient sur des techniques enseignées, sur une méthode systématique. »

Zéléikha Boukadoum

Parmi les témoignages recueillis par Jean-Luc Einaudi, celui de Zéléikha Boukadoum reste le plus émouvant. Elle a subi les affres de la torture à la Ferme Améziane juste après son arrestation le 10 août 1959 à Constantine lors d’une rafle menée par le commandant Rodier. Zéléikha Boukadoum subira les sévices les plus inhumains pendant un mois et deux jours.

Un jour, raconte Einaudi reprenant le témoignage de cette brave femme, « en présence du commandant, elle a la mâchoire fracturée par les coups. Le sang s’écoule de sa bouche. Le policier El Baz est là. – Viens voir ! disent-ils en l’entrainant dans la buanderie de la ferme. Là, elle voit un homme nu, très grand, qui hurle, plongé dans l’eau bouillante de la chaudière. Il est brulé. – Si tu ne parles pas, tu vas subir le même sort que celui-là ! la menace-t-on. Elle saigne abondamment. – Emmenez cette chienne ! ordonne le commandant. Je ne veux pas la voir dans cet état ! On la reconduit dans sa cellule, la cellule F. Le supplicié qu’elle a vu se trouve dans la cellule G.

Dans la nuit, elle l’entend se plaindre faiblement puis c’est le silence. Vers deux heures du matin, voilà des pas. Elle a peur. Elle se dit que c’est pour elle. Mais ils s’arrêtent devant la cellule G et elle entend dire : – C’est fini. Allez vers Chettaba. A la ferme Améziane, elle perdra toutes ses dents et une infection se déclarera. Un médecin militaire est appelé. Car, bizarrement, il arrive parfois que les tortionnaires fassent appel à la médecine. – Il faut l’hospitaliser, conclut le médecin. Mais elle est remise en cellule et chaque jour un infirmier vient lui faire une piqûre. Elle est confrontée avec une femme nue qui essaie de se cacher le corps avec une couverture, qui a une blessure à la face, qui saigne, dont les cheveux se dressent sur la tête. Ce n’est qu’au bout d’un moment qu’elle réussit à la reconnaitre.

Une fois, elle est emmenée à la douche. Elle y rencontre deux jeunes filles qui pleurent. Elles ont été violées. Parfois, de la musique est mise pour couvrir les cris des suppliciés. Mais Zéléikha Boukadoum les entend malgré tout et elle se bouche les oreilles car ils lui sont insupportables. Vingt-huit ans plus tard, elle les entendra toujours et certaines nuits elle verra encore le supplicié dans la chaudière. »

L’enfer vécu par Zéléikha Boukadoum à la ferme Améziane, a été partagé par plusieurs autres braves femmes et braves hommes. Pendant plus de 3 ans, la ferme Améziane a fonctionné à plein régime comme une véritable usine de torture.

Imad Kenzi

———————–

En avril 1958, la ferme Améziane, qui est située aux abords immédiats de Constantine, est occupée — et pillée — par les « bérets rouges » du 27e bataillon d’infanterie. Elle devient, selon la dénomination officielle de l’armée, un centre de renseignement et d’action (C.R.A.), placé sous l’autorité du 2e bureau de l’état-major du corps d’armée. En fait, pour parler plus simplement, la ferme Améziane fut, durant toute la guerre, l’un des plus importants et des plus terribles centre de torture que connut l’Algérie.

Au cours de son enquête, à Constantine, à Alger et en France, Jean-Luc Einaudi a rencontré quelques-uns des rescapés de ce centre, qui ont eu la force et le courage de lui parler. Ce qu’ils racontent est abominable. On ne sait ce qui soulève le plus d’écœurement, la sauvagerie, le raffinement des supplices organisés, ou la mentalité abjecte des tortionnaires, officiers ou gradés de l’armée française, prenant plaisir à pisser dans les gamelles de leurs victimes, et rackettant en toute impunité leurs familles, avant de les abattre pour « tentative d’évasion » ou de les jeter vivants dans les puits. Trente ans après la guerre, ce dossier explosif, s’il trouve le succès qu’il mérite, n’aura pas fini de remuer des vagues.

———————————-

Comment la pensée devint unique

$
0
0

par Susan George

Le catalogue des idées reçues qui exercent leur hégémonie sur les politiques publiques et qui, grâce au suivisme des médias, envahissent les esprits n’est pas plus « naturel » qu’un autre : le néolibéralisme, resucée simpliste de doctrines du début du dix-neuvième siècle, a commencé, dans l’indifférence générale, à se construire de toutes pièces au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais quelques décennies plus tard, grâce à l’intelligence stratégique de ses promoteurs, à des centaines de millions de dollars de financements et malgré les résultats généralement désastreux des mesures qu’il a inspirées, il est devenu le socle de la pensée unique.

Les néolibéraux (1) et la pensée unique (2) semblent maîtres du terrain idéologique, il n’en fut pas toujours ainsi. Dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale, le néolibéralisme était partout ultra-minoritaire. Si, aux Etats-Unis, ses pères fondateurs disposaient de peu d’atouts au départ, ils avaient cependant assimilé un principe essentiel : les idées ont des conséquences. En 1948, Richard Weaver avait donné cette maxime pour titre à un livre qui allait connaître une longue carrière et un grand retentissement outre-Atlantique (3).

Ce n’est pas par hasard si ce texte fut publié aux Presses universitaires de Chicago, car l’université de cette ville (4) constituait le noyau dur du néolibéralisme naissant. August Friedrich von Hayek, économiste et philosophe autrichien en exil, y avait fait paraître, en 1944, un livre très influent, La Route de la servitude  (5). Les ouvrages d’un autre jeune et brillant économiste, un certain Milton Friedman, allaient également y être édités, tout comme les travaux d’étoiles montantes du mouvement (6). L’école de Chicago, composée d’économistes plus familièrement appelés les Chicago Boys, est devenue célèbre, et ses membres ont essaimé dans le monde, notamment dans le Chili du général Pinochet. Sa doctrine économique, mais aussi philosophique et sociale est enseignée urbi et orbi. Les livres de Milton Friedman, comme Capitalisme et liberté  (7), sont devenus des succès de librairie.

Pour le néolibéral, la liberté individuelle ne résulte nullement de la démocratie politique ou des droits garantis par l’Etat : être libre, c’est, au contraire, être libre de l’ingérence de l’Etat. Celui-ci doit se limiter à fixer le cadre permettant le libre jeu du marché. La propriété privée de tous les moyens de production, et donc la privatisation de tous ceux appartenant à l’Etat, est indispensable. Le marché répartira au mieux les ressources, l’investissement et le travail ; la charité et le volontariat privés doivent remplacer la quasi-totalité des programmes publics destinés aux groupes socialement défavorisés. L’individu redeviendra ainsi entièrement responsable de son sort.

Afin de mettre en pratique un tel programme — directement à l’opposé du New Deal ou de la doctrine de l’Etat-providence —, les néolibéraux ont toujours su qu’il fallait commencer par transformer le paysage intellectuel. Car, avant d’avoir des conséquences dans la vie des citoyens et de la cité, les idées doivent être propagées. Il faut permettre à ceux qui les produisent, les publient, les enseignent et les diffusent de le faire dans de bonnes conditions. C’est pourquoi, à partir de 1945, le mouvement néolibéral n’a cessé de recruter penseurs et bailleurs de fonds, et de se doter de moyens financiers et institutionnels importants. Son arsenal se compose en partie de « boîtes à idées » (think-tanks), dont les plus influentes se trouvent aux Etats-Unis. Il n’est pas inutile d’évoquer à nouveau ici (8) les activités de quelques-unes d’entre elles.

La Hoover Institution on War, Revolution and Peace a été fondée en 1919 par le futur président Herbert Hoover. Domiciliée sur le campus de l’université Stanford, elle est célèbre pour ses collections de documents sur les révolutions russe et chinoise. A sa vocation première de combattant de la guerre froide (grâce, notamment, à son annuaire International Communist Affairs ), elle a ajouté, à partir de 1960, un volet économique. Un budget annuel d’environ 17 millions de dollars lui a permis de financer, parmi beaucoup d’autres, les travaux d’Edward Teller (l’un des pères de la bombe atomique, généralement considéré comme le modèle du Dr Folamour) et des économistes comme George Stigler et Milton Friedman, qui font la navette entre Stanford et Chicago.

L’American Enterprise Institute (AEI) est aussi une institution ancienne, mise sur pied en 1943 par des hommes d’affaires pour s’opposer à divers aspects du New Deal. Situé à Washington, il se distingue par son sens des relations publiques intellectuelles et de la mercatique des idées, travaillant directement avec les membres du Congrès, la bureaucratie fédérale et les médias. Dans les années 80, l’Institut employait quelque cent cinquante personnes, dont une cinquantaine se consacrant exclusivement à la recherche et à la production de livres, rapports et autres analyses ou recommandations politiques et économiques. Reflétant le déclin relatif de son influence, son budget annuel (12,8 millions de dollars en 1993) se situe à peine au niveau atteint dix ans plus tôt.

La Heritage Foundation est la plus connue, car la plus associée à la présidence de M. Ronald Reagan. En activité depuis 1973, elle dispose d’un budget annuel d’environ 25 millions de dollars et produit quelque deux cents documents par an. Particulièrement active auprès des médias, plus citée que n’importe quelle autre, elle publie aussi un annuaire des experts en matière de politiques publiques (public policy) contenant les noms de mille cinq cents chercheurs et experts néolibéraux, répertoriés sous soixante-dix rubriques. Une aubaine pour le journaliste pressé qui, en faisant appel à eux, pourra étayer son article de cautions « scientifiques » .

Il faut également mentionner deux centres intellectuels : le Cato Institute, en plein essor, avocat du « gouvernement minimaliste », spécialisé dans les études sur la privatisation, et le Manhattan Institute for Policy Research, fondé en 1978 par William Casey, futur directeur de la CIA, dont la critique des programmes gouvernementaux de redistribution des revenus a été très influente. Ces deux « boîtes » recommandent invariablement le marché comme solution à tous les problèmes sociaux. Entre les think-tanks et le gouvernement existe un système de vases communicants permettant aux anciens combattants de la présidence Nixon de trouver refuge pendant l’interrègne de M. James Carter, comme pour ceux de l’époque Reagan-Bush sous l’actuelle présidence Clinton.

Hors des Etats-Unis, le réseau d’institutions intellectuelles néolibérales est moins étoffé. Au Royaume-Uni, les « commandos de Mme Thatcher », comme ils aimaient à se désigner, ont néanmoins marqué des points importants dans la lutte idéologique. Mentionnons le Centre for Policy Studies, l’Institute of Economic Affairs, dont la liste de publications se lit comme un Who’s Who d’économistes conservateurs, et surtout l’Adam Smith Institute de Londres, qui a « fait plus que n’importe quel autre groupe de pression au sein de la nouvelle droite pour promouvoir la doctrine de la privatisation dans le monde entier », selon Brendan Martin, expert en la matière (9).

La palme de l’ancienneté et de l’influence à long terme revient toutefois à la Société du Mont-Pèlerin. En avril 1947, une quarantaine de personnalités américaines et européennes se retrouvèrent à l’invitation du professeur Friedrich von Hayek dans ce village suisse situé près de Montreux pour participer à un colloque de dix jours. Après avoir souligné la gravité du moment — « Les valeurs centrales de la civilisation sont en danger » —, le groupe déclara que la liberté était menacée par « un déclin des idées en faveur de la propriété privée et du marché concurrentiel car, en l’absence de diffusion du pouvoir et de l’initiative que permettent ces institutions, il est difficile d’imaginer une société où il serait possible de préserver effectivement la liberté  (10) . »

Entre 1947 et 1994, la Société s’est réunie à vingt-six reprises, chaque fois pendant une semaine et dans une ville différente. En 1994, c’était le tour de Cannes ; en septembre prochain, ses membres, dont le nombre est passé de quarante à plus de quatre cent cinquante, renoueront avec les origines autrichiennes de Hayek, à Vienne. La Société fait volontiers état des six Prix Nobel d’économie issus de ses rangs, mais elle ne tient pas à communiquer la liste de ses membres, qui adhèrent tous à titre personnel. Elle préfère éviter « la publicité et la médiatisation »  (11).

Depuis de nombreuses années, des centaines de millions de dollars ont été consacrés à la production et à la diffusion de l’idéologie néolibérale. D’où vient cet argent ? Au tout début, dans les années 1940-1950, le William Volker Fund a joué un rôle central. C’est ce fonds qui a sauvé des revues chancelantes, financé de nombreux livres publiés à Chicago, assumé les traites impayées de l’influente Foundation for Economic Education, ou organisé des colloques dans diverses universités américaines. C’est encore le Volker Fund qui finança le déplacement des participants américains à la première réunion de la Société du Mont-Pèlerin.

Dès les années 60, les néolibéraux n’étaient déjà plus tout à fait marginaux. De nombreuses fondations familiales américaines commençaient à les soutenir et n’ont cessé de financer leurs institutions. La Fondation Ford — véritable « éléphant » de la charité — avait ouvert les portes de beaucoup d’autres sources de centre droit et du centre en accordant 300 000 dollars de subvention à l’American Enterprise Institute. La Fondation Bradley (28 millions de dollars octroyés en 1994) finance, entre autres, la Heritage Foundation, l’American Enterprise Institute et plusieurs magazines ou revues (12). Ainsi, entre 1990 et 1993, quatre magazines néolibéraux parmi les plus importants (The National Interest, The Public Interest, New Criterion, American Spectator) ont reçu de diverses sources 27 millions de dollars. A titre de comparaison, les quatre seules revues progressistes américaines d’audience nationale (The Nation, The Progressive, In These Times, Mother Jones) n’ont collectivement bénéficié, pendant la même période, que de 269 000 dollars en contributions « charitables » (13).

Intellectuels à vendre

Des fondations reposant sur de grandes et anciennes fortunes industrielles américaines, comme Coors (brasserie), Scaife ou Mellon (acier), et surtout Olin (produits chimiques), financent aussi des chaires dans les universités les plus prestigieuses des Etats-Unis. Il s’agit de « renforcer les institutions économiques, politiques et culturelles sur lesquelles est basée l’entreprise privée », selon la brochure de la Fondation Olin qui consacrait déjà, en 1988, 55 millions de dollars à cet objectif. Il va de soi qu’avec des sommes pareilles le généreux donateur a le droit de nommer les professeurs qui vont occuper les chaires et diriger les centres d’études (14). Des chaires Olin de droit et d’économie existent désormais dans les universités Harvard, Yale, Stanford et, bien sûr, de Chicago, parmi beaucoup d’autres (15). L’historien français François Furet, qui a reçu 470 000 dollars en tant que directeur du programme John M. Olin d’histoire de la culture politique à l’université de Chicago, est l’un des illustres bénéficiaires de ces libéralités.

L’argent permet ainsi d’organiser la notoriété et le « champ » dans lequel se dérouleront des « débats » créés de toutes pièces. En 1988, M. Allan Bloom, directeur du Centre Olin pour l’étude de la théorie et la pratique de la démocratie à l’université de Chicago (qui reçoit chaque année 36 millions de dollars de la Fondation Olin), invite un obscur fonctionnaire du département d’Etat à prononcer une conférence. Celui-ci s’exécute, en proclamant la victoire totale de l’Occident et des valeurs néolibérales dans la guerre froide. Sa conférence est aussitôt reprise sous forme d’article dans The National Interest (revue qui reçoit 1 million de dollars de subventions Olin), dont le directeur est un néolibéral très connu, M. Irving Kristol, alors financé à hauteur de 326 000 dollars par la Fondation Olin en tant que professeur à la Business School de la New York University. M. Kristol invite Bloom, plus un autre intellectuel de droite renommé, M. Samuel Huntington (directeur de l’Institut Olin d’études stratégiques à Harvard, créé grâce à un financement Olin de 14 millions de dollars) à « commenter » cet article dans le même numéro de la revue. M. Kristol y va aussi de son « commentaire » .

Le « débat » ainsi lancé par quatre bénéficiaires de fonds Olin autour d’une conférence Olin dans une revue Olin se retrouve bientôt dans les pages du New York Times, du Washington Post et de Time. Aujourd’hui, tout le monde a entendu parler de M. Francis Fukuyama et de La Fin de l’Histoire, devenu un best-seller en plusieurs langues ! La boucle idéologique est bouclée lorsqu’on arrive à occuper les pages de débats des grands quotidiens, les ondes et les écrans. Ce triomphe a été obtenu pratiquement sans coup férir. Faute de croire que les idées ont des conséquences, on finit par les subir.

Susan George

Vice-présidente d’Attac France, auteur du Rapport Lugano, Fayard, Paris, 2000, de Remettre l’OMC à sa place, Mille et Une Nuits, Paris, 2001 et, avec Martin Wolf, de Pour ou contre la mondialisation libérale, Grasset, Paris, 2002.

(1) La terminologie peut prêter à confusion. Aux Etats-Unis, un néolibéral s’appelle un néoconservateur (ou neo-con ), car, dans ce pays, un « libéral » est plutôt quelqu’un de gauche ou, en tout cas, quelqu’un qui vote démocrate.

(2) La « pensée unique » a été identifiée, définie et dénoncée pour la première fois par Ignacio Ramonet dans son éditorial du Monde diplomatique en janvier 1995.

(3) Richard Weaver, Ideas Have Consequences , University of Chicago Press, Chicago, 1948.

(4) Lire Serge Halimi, « L’université de Chicago, un petit coin de paradis bien protégé », Le Monde diplomatique , avril 1994.

(5) August Friedrich von Hayek, La Route de la servitude , PUF, Paris, 1992.

(6) Par exemple, Russell Kirk ( The Conservative Mind , 1953), Leo Strauss ( Natural Right and History , 1953).

(7) Milton Friedman, Capitalisme et liberté , Laffont, Paris, 1971. Le texte original, Capitalism and Freedom , avait été publié en 1962.

(8) Lire l’enquête de Serge Halimi, « Les “boîtes à idées” de la droite américaine » , Le Monde diplomatique , mai 1995. Lire également, sur ce sujet, James Allen Smith, The Idea Brokers : Think-Tanks and the Rise of the New Policy Elites, The Free Press, New York, 1991 ; et George H. Nash, The Conservative Intellectual Movement since 1945, Basic Books, New York, 1976.

(9) Brendan Martin, In the Public Interest ?, Zed Books, Londres, 1993, p. 49.

(10) Statement of Aims, Mont Pelerin Society, adopté le 8 avril 1947, cité dans George Nash, op. cit., p. 26.

(11) Ces indications sur les activités actuelles de la Société du Mont-Pèlerin nous ont été aimablement fournies par son président actuel, M. Pascal Salin, professeur à l’université Paris-Dauphine et proche conseiller de M. Alain Madelin.

(12) Lire Beth Schulman, « Foundations for a Movement : How the Right Wing Subsidises its Press », EXTRA !, Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR), New York, mars-avril 1995.

(13) Lire David Callahan, « Liberal Policy’s Weak Foundations », The Nation , 13 novembre 1995.

(14) Jon Weiner, « Dollars for Neocon Scholars », The Nation, 1er janvier 1990.

(15) Jon Weiner, ibid.

 

Commémoration du 27ème anniversaire de la mort de Mouloud Mammeri

$
0
0

La commémoration de la disparition de l’écrivain, poète et néanmoins anthropologue Mouloud Mammeri ne peut passer inaperçue dans son pays l’Algérie et dans sa région, la Kabylie.

Ainsi, la direction de la culture de Tizi-Ouzou a concocté un riche programme dans différentes infrastructures : la Maison de la culture de Tizi-Ouzou, annexe de la Maison de la culture d’Azazga, la cinémathèque de Tizi-Ouzou et dans son village natal Taourirt Mimoune à Ath Yanni. Pour cette année, le thème retenu est «Mouloud Mammeri, l’explorateur de l’Ahellil du Gourara».

Pour les responsables de ce secteur, «l’objectif de cette manifestation est la mise en exergue de ce legs ancestral, classé patrimoine mondial par l’UNESCO, pour lequel Mouloud Mammeri avait un grand intérêt en raison de sa valeur patrimoniale et de son apport incontournable à la culture algérienne». Ces journées d’étude se tiendront du 26 au 28 février en cours. «Etant à la tête du Centre de Recherches Anthropologiques Préhistoriques et Ethnographiques (CRAPE) de 1969 à 1979, Mouloud Mammeri, anthropologue et spécialiste du domaine amazigh, a sillonné tous les recoins de l’Algérie profonde et de l’Afrique du Nord, afin de déterrer un patrimoine culturel enraciné et partagé par toute l’humanité.

En explorant la région du Gourara, située au nord du Touat dans le Sahara algérien, Mouloud Mammeri découvre la richesse culturelle inestimable de l’Ahellil, ce genre poétique et musical emblématique des Zénètes du Gourara. Ainsi, il constitua une équipe de recherche pluridisciplinaire afin de rassembler et recueillir la poésie et les chants polyphoniques traditionnels et transcrire les poèmes et les expressions populaires locales», racontent les organisateurs de cette initiative.

Acharné mais aussi emporté par cette richesse ancestrale, Mouloud Mammeri ne laisse pas s’envoler cette culture pour laquelle il a combattu toute sa vie. «Il était important pour Mouloud Mammeri d’œuvrer à sauver d’une déperdition certaine l’Ahellil du Gourara. Cet héritage ancestral amazigh a traduit, pendant des siècles, la joie, les aspirations et les désirs des hommes et des femmes de la région de Touat qui, de génération en génération, ont exprimé, sous une forme poétique très ramassée et souvent allégorique, l’essentiel de leurs méditations mystiques, de leur philosophie de la vie et de leur vision du monde. Sa valeur est en relation directe avec la volonté et la détermination des populations ksouriennes à perpétuer la vie dans un environnement difficile, le Sahara.

La valorisation et la préservation de l’Ahellil du Gourara, ce legs culturel immatériel authentique, partie intégrante de la fresque patrimoniale nationale, ne pouvait se faire qu’avec son classement», ajoutent-ils. En 2008, l’Ahellil du Gourara a été inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Ces journées auront pour but de rassembler chercheurs, archéologues, anthropologues, sociolinguistes et universitaires,… afin de débattre de cette richesse et diversité culturelles nationales érigées en patrimoine immatériel mondial par l’UNESCO.

En somme, des journées où les concernés auront beaucoup à apprendre de cette partie du Sud que l’anthropologue a sauvée de l’oubli en ne lui permettant pas de sombrer dans les méandres du vaste désert. Le programme débute ce vendredi 26 février, avec un recueillement sur la tombe du défunt dans son village natal Taourirt Mimoun à Ath Yanni, alors qu’à la Maison de la culture, qui porte son nom, les espaces seront occupés par des expositions de photos, de coupons de presse et de livres exposés avec le CNRPH, le HCA et l’ENAG, suivies de ventes-dédicaces.

La journée du samedi 27 février sera très riche et le petit théâtre sera sans doute ‘’envahi’’ par un public avide de savoir et de culture. La directrice de la Maison de la culture, Mlle Nabila Gouméziane, donnera le coup d’envoi de ces journées par une allocution d’ouverture. Puis, le public sera invité à assister à pas moins d’une dizaine de conférences-débats (5 dans la matinée et 5 autres l’après-midi), traitant de différents thèmes.

La conférence intitulée «Témoignages sur Mouloud Mammeri et ses travaux de recherches autour de l’Ahellil du Gourara» sera animée par Mouley Sedik Slimane, guide de Mouloud Mammeri ; «L’Ahellil du Gourara» par Rachid Bellil sociologue, chercheur et écrivain ; «Mouloud Mammeri et la valorisation d’actifs spécifiques dans les territoires algériens: l’Ahellil du Gourara» sera présentée par Mme Malika-Ath Zaid Chertouk, Professeur des universités, directrice du laboratoire REDYL ; «L’Ahellil du Gourara, présentation de quelques aspects socio-anthropologiques» est l’intitulé d’une conférence animée par Khirani Noureddine, chercheur au CRASC d’Oran ; «Mouloud Mammeri et la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel amazigh» par Hamid Bilek, archéologue et ancien cadre au Haut Commissariat à l’Amazighité.

Cette première partie des conférences sera suivie de débats. Dans l’après-midi, le même nombre de conférences est prévu, sauf défection de dernière minute. Les travaux reprendront vers 14h avec «Ba Salem, chantre de l’Ahellil du Gourara, dans ‘’La Traversée’’ de Mouloud Mammeri», une conférence qui sera animée par une habituée de tels événements, Mme Boukhelou Fatima, chef du département de Français à l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou.

Ensuite, s’ensuivra la communication ayant pour intitulé «Mouloud Mammeri ou la littérature contre l’oubli» qui sera présentée par Sebkhi Nadia, écrivaine et directrice de la revue l’ivrEscQ, «Mouloud Mammeri ou le verbe en action» qui sera animée par Sarah Slimani, enseignante de langue française à l’université M’hamed Bouguerra de Boumerdès, «Le désert comme espace de redécouvertes» par Belkhis Boualem, enseignant au département de langue française à l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou. M. Naamane Aziz, enseignant au département de langue française de l’université de Tizi-Ouzou, interviendra dans la dernière conférence intitulée «Cultures acquises / cultures transmises».

La deuxième étape sera accompagnée de débats fructueux et de remise de diplômes aux conférenciers. La salle de spectacles de la Maison de la culture Mouloud Mammeri abritera la cérémonie de remise de prix aux lauréats de la dictée en tamazight «Prix Mouloud Mammeri» dans sa 10ème édition, organisée en collaboration avec la direction de l’éducation de la wilaya de Tizi-Ouzou et l’association des enseignants de tamazight. À la bibliothèque de la Maison de la culture, les étudiants de l’école régionale des beaux arts d’Azazga réaliseront une fresque autour de l’Ahellil du Gourara.

Deux autres infrastructures sont également sollicitées pour renfermer cette commémoration. Il s’agit de l’annexe de la Maison de la culture d’Azazga qui abritera des expositions sur la vie et l’œuvre de Mouloud Mammeri, une exposition de livres, des conférences et une projection d’un film documentaire sur le défunt, encore vivant dans les cœurs et l’esprit. Dimanche 28 février, est prévue la projection du film documentaire intitulé «Dda L’Mouloud», suivie d’un débat en présence du réalisateur Ali Mouzaoui. Il est à rappeler que Mouloud Mammeri est né le 28 décembre 1917 à Taourirt Mimoune (Ath Yanni), et décédé suite à un accident (version officielle) le 26 février 1989 à … Aïn Defla, où un arbre attendait son passage pour s’abattre sur le toit de sa voiture, en plein nuit.

Arous Touil

source

Décès du chanteur-compositeur Mohand Rachid

$
0
0

ALGER- L’auteur, compositeur, chanteur et interprète  d’expression kabyle, Mohand Rachid, de son vrai nom Si Mohand Mohand Al Rachid, est décédé samedi à Alger l’âge de 77 ans, a-t-on appris auprès de ses proches.

Né le 12 février 1939 à La Casbah d’Alger,  Mohand  Rachid originaire d’Azazga (Tizi Ouzou) est considéré comme une référence dans la chanson et musique  kabyles et le  chaâbi.

L’auteur de  « ayiflahen  ikerzen » (ô paysans!) et Ouardia était producteur et animateur à la Radio Algérienne, où il animait l’émission   « Ichenayen uzka » (Les talents de demain) diffusée sur les ondes de la Chaîne II. A la chaîneI, il était également animateur d’une émission consacrée à la  musique chaâbi et le patrimoine.

L’enterrement aura lieu dimanche au cimetière d’El Kettar à Alger.

Le chanteur Mohand Rachid inhumé à Alger

Le chanteur kabyle et interprète du chaâbi, Mohand Rachid, décédé samedi à l’âge de 77 ans, a été inhumé dimanche après-midi à Alger en présence d’une foule nombreuse.

Des artistes, des mélomanes et des compagnons de route du défunt étaient nombreux à accompagner l’artiste, également homme de radio qui a popularisé la chanson kabyle à travers l’antenne, à sa dernière demeure.

Ancien speaker à la Radio algérienne, Kechi Lounès garde le souvenir d’un homme et d’un artiste « authentique » et « affable » avec qui il co-animait à la fin des années 1970 l’émission « Rétrospective des arts », diffusée par la Chaîne II.

Le chanteur et ancien animateur de radio, Belaïd Tagrawla évoque un chanteur au parcours artistique « riche » dont les oeuvres constituent un « legs » de la musique folklorique kabyle et le chaâbi.

Passionné par la Radio, le défunt animait en compagnie de Mejahed Mouhoub « Tizlilit n’dourth » (Concours de la semaine), une émission dédiée à la musique et à la découverte des jeunes talents.

Natif à de la Casbah d’Alger en 1939, Mohand  Rachid, de son vrai nom Si Mohand M’hand Rachid et qui est originaire d’Azazga, a côtoyé, entre autres grands du chaâbi, Cheikh M’hamed El Hadj El Anka dont il était un disciple.

Fervent admirateur du maître du chaâbi, il a repris avec brio son répertoire qu’il revisitait à chaque occasion, notamment lors des cérémonies de mariage qu’il animait.

Outre la publication de deux albums, Mohand Rachid a laissé derrière lui un riche répertoire de chansons kabyles, écrites et arrangées par Kamel Hamadi, enregistrées à la Radio.

aps

LA CHRYSALIDE DE AÏCHA LEMSINE

$
0
0


im 1

aicha

Aïcha Lemsine

Lemsine, Aïcha (née 1942). Romancière algérienne, né dans la Némencha, mariée à un diplomate, Ali Laïdi. Elle a publié deux romans et un essai :
– La Chrysalide (1976) vise à suivre l’évolution de la famille et le rôle des femmes en Algérie, mais le résultat est ambigu.
– Ciel de Porphyre (1978) décrit la guerre d’Algérie par le biais d’un journal écrit par un adolescent entouré de personnages stéréotypés féminins qui vivent dans un monde inauthentique.
– Ordalie des voix (1983) a été traduit en arabe comme Hukm alaswat.

Ordalie des voix, Editeur Encre (1983)
ISBN-10 : 2864181541
ISBN-13 : 978-2864181545

La chrysalide, Editeur Des Femmes Editions (31 décembre 1998)
ISBN-10 : 272100462X
ISBN-13 : 978-2721004628
ISBN : 2721000837

Mariée à seize ans à Mokrane par la volonté de leurs pères respectifs, Khadidja est très éprise de son jeune époux qui le lui rend bien mais tardant à se retrouver enceinte, elle subit les commérages du village qui stigmatisent la stérilité féminine. Après avoir eu recours sans succès, de gré ou de force, aux pratiques traditionnelles, elle consulte en cachette mais avec l’assentiment de son époux, la t’biba (doctoresse)  locale, une Française qui l’aidera, au grand dam du village, à accoucher d’un fils, Mouloud. Mais elle devient définitivement stérile. Mokrane, ne pouvant se contenter d’un unique rejeton, lui inflige l’humiliation d’une deuxième épouse (qui mourra en couches) puis d’une troisième avec laquelle elle partagera son époux et une affectueuse complicité mais qui n’enfante que des filles…

Mouloud, le fils de Khadidja  a des résultats brillants à l’école, il apprend à lire à l’aînée de ses demi-sœurs, Faïza, qui, encouragée par Khadidja, sera la première fille à franchir l’entrée de l’école et se passionnera pour les études. Il disparaît pour rejoindre les combattants de la liberté et son père est repris par ses vieux démons mais Khadidja s’oppose avec une violence inouïe à un quatrième mariage.

Après l’indépendance, Mouloud accueillera Faïza à Alger pour qu’elle y mène des études de médecine. C’est là, dans la capitale, à l’occasion de retrouvailles familiales, que ce qui aurait dû être un scandale permettra à Mokrane et à Faïza de se comprendre enfin :  au lieu du reniement, la fille rebelle obtiendra la protection paternelle.

deblog-notes.over-blog.com

– La Chrysalide constitue une remise en question du système féodal régissant la destinée de la femme algérienne.

ELLE

– La Chrysalide saisit et fixe; à travers l’histoire d’une famille comme mille autres, l’injustice et la douleur qui sont le lot quotidien de la femme. (…) Les droits du père, du mari, en terre arabe; sont sans limites. Aïcha Lemsine donne à voir et s’élève contre le mariage forcé, la répudiation, la polygamie.

LE MONDE

– La Chrysalide est un livre qui, de page en page, vous fera rire et vous fera pleurer.

LE NOUVEL OBSERVATEUR

– C’est la première saga maghrébine, un de ces romans populistes qui, à travers l’histoire d’une famille, révèle la condition féminine algérienne. De cette femme que l’on marie, que l’on répudie, que l’on bat ou que l’on méprise. Car l’islam a engendré l’une des civilisations les plus misogynes du globe.

L’EST RÉPUBLICAIN

Ciel de porphyre, Editeur J.-C. Simoën (1978)
ASIN : B0014MA4M2

Au Coeur du Hezbollah, Editeur Flammarion (30 juin 2008)
ISBN-10 : 2080660519
ISBN-13 : 978-2080660510

source

lemsine-aicha-la-chrysalide-chroniques-akgeriennesA. Lemsine veut rompre, à travers La chrysalide, le silence et l’agonie des femmes en Algérie. Elle voudrait cultiver la parole féminine et la faire fleurir, elle voudrait que cet te parole se propage à travers les siècles et qu’elle résiste aux aléas du temps. Il s’agira donc pour nous de prouver si La chrysalide a bien su faire entendre ces voix féminines à toutes leurs consoeurs privées de paroles ? De quelle façon va-t-elle tenter de faire revivre la mémoire des ancêtres à travers le combat des femmes et une écriture romanesque ? Son objectif est- il de réhabiliter une mémoire du passé en voie de disparition ou réhabiliter la mémoire féminine ? Y–a- t-il opposition ou au contraire complémentarité entre réalité et fiction ?

La chrysalide représente le mieux les différentes étapes de cette progression qui met en rapport l’évolution des personnages, de la femme avec l’évolution de son pays et on ne peut étudier la fonction du personnage féminin en tant qu’objet littéraire à l’intérieur des structures sociales que si l’on examine leurs composantes sociales, politiques et historiques. Ce qui parait recevoir une double valorisation sociale et psychologique en relation avec l’aspect historique et chronologique.

Le rapport entre la littérature et la pragmatique consiste en des dénonciations et des affirmations de l’auteur, d’où notre recours à sa biographie pour approcher et analyser l’œuvre. Le nom « Lemsine» est un pseudonyme composé de « Lem» et « Sine », les deux premières lettres de son propre patronyme et de celui de son mari. Son vrai nom est Aicha Laidi, née en 1942 près de Tébessa mais elle est d’origine Kabyle. Son mari est wali puis ambassadeur en Angleterre. Elle est élue femme Arabe de l’année 1984. Elle édite des analyses en Algérie, dans la presse Arabe et internationale. Elle est membre du comité international et vice présidente des femmes du club « Stylo du Monde »: l’organisation des femmes pour les droits, la littérature et le développement.

Ce choix du pseudonyme de la part de notre auteur a peut-être pour motivation d’établir une séparation entre son existence littéraire et son existence privée et sociale ou peut-être marque la volonté d’échapper à la censure religieuse, politique ou administrative. En bricolant cette anagramme, A. Lemsine, voulait peut -être créer ce goût du masque qui pousse à la découverte.

Nous concluons que La chrysalide représente des lieux (village et ville), des époques (l’Algérie durant et après la colonisation), des sujets d’actualité (l’évolution de la femme, la polygamie, le rapport tradition / modernité). Les personnages du roman traversent le temps et l’espace à la recherche de leur vérité et de leurs espoirs. Ils redéfinissent les notions d’amour, de mort et de vie, bousculant les consciences, les illusions en invitant les lecteurs aux rêves.

La relation illégitime de Fayçal et de Faiza devait avoir lieu d’une part pour se libérer des traditions qui empêchaient tout le processus de l’évolution de la nation et ligotaient toute une société. D’autre part, Faiza devait –être « fécondée » ; n’est –elle pas assimilée à un papillon sortant de son cocon ? En effet, la vie d’un papillon est très courte et dès sa sortie du cocon, l’accouplement doit avoir lieu. La femelle fécondée pond ses œufs et meurt quelques jours après la ponte. Faiza – papillon est morte en même temps que Fayçal (c’est une mort symbolique). La chrysalide , classée œuvre médiocre décrivant un exotisme exagéré « …témoignerait d’une vision du monde, très cohérente, voire simpliste… de l’idéologie dominante »

L’exotisme dont est taxée cette œuvre, cessera t-il un jour d’être ce regard à la fois haï et inévitable dans lequel le roman algérien est toujours condamné à résonner ?
« La chrysalide », n’offre t-elle pas donc une lecture du texte algérien à travers l’exotisme ? Derrière l’exotisme de ce roman ne voit –on pas un roman réaliste, descriptif, décrivant une société en trois temps ? (Avant, pendant et après l’indépendance)

Le roman est comme le « neuf», chiffre qui annonce la fin et en même temps le commencement. Il est comme le sphinx qui renaît de ses cendres. La notion de tranfictionnalité, n’a pas été exploitée à fond dans notre analyse car cette notion importante représente à elle seule un riche et volumineux travail de recherche. L’intertextualité, notion qui foisonne dans le roman que nous avons délibérément omise, est une piste de recherche à prendre en considération et à exploiter pour/dans des études et des recherches futures.

Aicha Lemsine, la femme, son écriture, se veulent vraies et authentiques, d’un altruisme certain, elle est à l’écoute de l’autre. Vérité, sincérité tel est son credo qui revient comme un lietmov dans ses écrits. Riche d’une grande connaissance du monde, polyglotte, écrivain consacré, Aicha est de la race de ceux qu’on n’oublie pas
aisément ». Son écriture participe à ce rapport à la vie, à l’amour, à la justice et à la libération. Pour A .Lemsine, «la beauté de l’être réside dans son authenticité »

GUETTAFI SIHEM, thèse de Magistère en lettres françaises

DIDACTISATION ET HISTORICITÉ DANS LA CHRYSALIDE DE AÏCHA LEMSINE
Symbolique d’une œuvre intégrale

source

 

CRITIQUE LITTÉRAIRE de Fateh BOURBOUNE

$
0
0

Titre : Les trois de la main.

Chihab Edition, 2002.

Mardi vingt janvier 1998. Un bus algérois, comme il en existe tant, anonyme, transportant des personnes anonymes vers des destinations aux intérêts différents ou divergents, vers des lieux de labeur, vers un lieu de rendez-vous de travail ou amoureux.

Dans ce bus de hasard, un vieillard guilleret et avenant entretient une atmosphère conviviale avec les plus jeunes. Sa barbe blanche, ses sourires, sa loquacité lui attirent la sympathie des oreilles et de l’attention confiante d’une jeunesse en mal de détente en période de troubles et de frayeurs.

Le « Who is in the car ? » du cinéma américain est posée au lecteur. Les passagers ignorent, seuls certains le sauront plus tard, trop tard, qu’ils sont floués, abusés par le comportement débonnaire de cette sagesse joviale qui les anesthésie par la bonté pour mieux les tuer par la haine investie dans la bombe discrètement installée sous le siège du conducteur à mille lieux de savoir que c’est au volant moyen de vie qu’on lui volera sa vie.

L’aîné n’agit pas seul. Lui tient compagnie, une jeune fille. Il l’initie à ses futures activités terroristes. Il lui enseigne et la renseigne sur l’art et la manière de gagner la sympathie d’inconnus pour rester inconnue à tout jamais après avoir accompli son forfait macabre.

Le patriarche à la barbe blanche descend de l’arche meurtrière, il sauve sa vie et abandonne le restant des passagers à l’enfer auquel les destinait sa gaité, sa bonté, sa joie de vivre. L’arche n’est pas celle de Noé, elle est celle de l’Armageddon.

La bombe explose, c’est le drame dans toute son horreur.
Le narrateur décrit alors, au-delà du tragique de la situation, le tragique de services hospitaliers dans l’incapacité de recevoir, d’assister les victimes à une époque où à chaque instant pouvait survenir ou survenait un drame de grande ampleur.

Alors commencent les tribulations et les angoisses d’un polytraumatisé bringuebalé dans des services hospitaliers saturés et incapables de faire face à l’affluence grandissante et envahissante en période d’attentats terroristes.

Enseignant de profession, journaliste à l’occasion, le narrateur perd, et quelle perte valeureuse dont il parle peu tout au long de la narration, trois doigts de la main droite, dont est titré le livre.

« Trois doigts » pour une personne dont la mission est d’écrire sans arrêt est une punition on ne peut plus sévère, une condamnation au-delà de toute attente. Le symbole du sort réservé en période de terrorisme aux gens de plume et aux journalistes.

L’auteur « Des révoltes feutrées » avec « les trois doigts de la main » son premier roman, décrit « des douleurs et plaintes feutrées ». En effet, il pense à ses parents et refuse qu’ils apprennent sa survie à un attentat terroriste. Il souhaite et réussit à les tenir à l’écart de la terrible nouvelle.

Douleurs feutrées, car le narrateur, doit par dignité et pour ne pas déclencher l’indigne indignation du cadre soignant de l’hôpital outré par la moindre réclamation ou récrimination, dépassé par l’événement et les événements, vivre les dents serrées et surfaire sa résistance, sa patience. Il feutre tous ses griefs par solidarité et compassion pour les geignements, les tortures lamentables, les saignements de ses concitoyens.

Bon vivant, joyeux drille, coureur de jupons, le narrateur s’intéresse à la femme médecin au tablier vert qu’il nomme Angélique. Il s’invente une histoire d’amour comme vulnéraire, panacée, cataplasme providentiel à ses graves plaies physiques et à la peur encore persistante, mal reconnue, mal digérée, mal gérée. Il résiste par l’amour, par un amour idyllique à la froideur rêche et grognarde de l’univers alentour et au souvenir de l’horreur.

Fort heureusement entouré de ses proches, de ses livres, surtout de ses livres, après le charybde et le scylla inévitables de son odyssée, il échoue dans la maison familiale, dans sa chambre à l’étage, là où l’attend : « le meilleur lit du monde » le sien.

Le roman est daté : Fos-sur-Mer, le 13 janvier 2002.

Fateh Bourboune

********************************************************************************

Titre : De May au Mahdi.

Editions : Aile de May.

Pour donner le ton du texte je commence par quelques extraits :

[p31] « Sur fond de modernité dans l’air du temps, l’individualisme a gagné tous les cœurs, gagné tous les esprits à tel point que seuls s’en sortent les couples et familles qui n’ont pas fait de la religion Islam une doctrine, mais un ensemble d’us et coutumes, une simple identité culturelle, une certaine gastronomie, sans plus : couscous royal et thé à la menthe. » [p31] « Il ya de moments ou il ne reste plus que Dieu. » [p45] « On m’avait enfermée dans un rôle dans lequel je devais incarner l’Islam avec tout ce qu’il avait de ringard, de dépassé, de mal, de mauvais, de pauvre, d’indigent, de miséreux. » [p49] « Je suis née du viol dans une famille très croyante. » [P51] « …j’aurais voulu avoir un père pour savoir comment se marient les filles des pères. Je suis la fille de ma mère. Je n’y ai pas eu droit. Je ne le saurai jamais. » [p96] « Je vais écrire le livre de ma vie, de la vie, du monde, un roman, une complainte, à un ami absent, un frère jamais né, un étranger inconnu : La Mahdi attendu ». [p211] « Cher Mahdi, n’ayant confiance en aucun musulman ou musulmane sur cette terre, j’ai choisi de donner ce manuscrit à lire ou à préfacer à la dame qui avait justement fait la préface de mon deuxième recueil de poésie. »

Mélange de genres : Prose, poésie, dialogues internet, invocations et mélanges de langues : Français, arabe, anglais , ce journal intime au contenu épistolaire est à la foi, une confession, une complainte, une supplique, une série de questionnements, une théorie de réponses, un acte d’accusation, un plaidoyer, un appel à témoin et une prise à témoin. Un autre pot-pourri habilement nourri, subtilement étagé.

L’auteure qualifie son texte intitulé « de May au Mahdi » d’ « Affligeant, pathétique. » Elle dit dans les termes en [p 205] « Je viens de relire un bout de ce journal et je le trouve affligeant, pathétique. » A remarquer que l’absence de conjonction de coordination entre les deux qualifiants est allusive d’une gradation.

En effet, l’affliction et le pathos forment la substance du texte, l’âme de chaque complainte adressée sous forme de lettre au Mahdi. Ils sont la matière de chaque échange avec des correspondants internet. « May porte dans son âme et dans sa chair une blessure ouverte qui ne s’est jamais fermée. Arrivera-t-elle un jour à cicatriser ? » [P7]

Toutefois, le refus du fait accompli, le refus de l’injuste destin, festin de hyènes aux instincts maladifs, le refus de l’aval ignoble que semble apporter l’interprétation de la religion au statut ambigu, péniblement inconfortable de May, le refus de l’arrière pensée tenace et obtuse insensible à toute érosion par la raison ou les sentiments ; ces refus, cette résistance altière, empreignent l’écriture d’une pudeur magnifique, d’une fierté que rien ne peut entamer ou outrager. De l’humilité sans humiliation, de la ténacité sans arrogance, du répondant contendant sans laisser de traces, une mise en farce de farceurs aux valeurs rances et rancies. Un combat serein mais d’airain, mené pour la victoire de la vérité et des hautes vertus humaines.

A défaut de se confier aux humains, May s’abandonne à l’espoir qu’un jour prochain, à l’avènement du Mahdi, ses souhaits, ses prières soient exaucées comme une revanche prise sur une trop longue patience tourmentée. Que ce même Mahdi miraculeux accomplisse les miracles qu’elle attend.

De May au Mahdi ; le titre désigne avec précision le destinateur et le destinataire, le locuteur et l’allocutaire, le scripteur et le lecteur. Le texte n’arrivera jamais au Mahdi, ce dernier n’est doué ni d’omniscience, ni d’ubiquité, ni de la faculté d’exaucer les prières. L’attente de l’arrivée du thuriféraire est un symbole d’espoir en un lendemain meilleur, un refuge bienvenu, une oreille compatissante, une consolation. « Il ya de moments ou il ne reste plus que Dieu. »[p31] Le Mahdi est l’envoyé éclairé de Dieu, une des formes de son incarnation.

Le lecteur est le réel destinateur du texte. Il est aussi l’interlocuteur dans les échanges par internet. Il est mis dans la confidence du contenu des lettres que May adresse au Mahdi. Il n’en est pas le censeur, il est l’objet de la lettre, son thème principal.

Un journal intime contient l’intime et l’intimité, les révéler consiste à se mettre à nu sous le regard sévère d’une société imperméable à toute forme de générosité dans certains cas, dans tous les cas. Or, cette mise à nu, le lecteur la subit par à-coup, insensiblement, délicatement, sans brusquerie, une sorte d’effeuillage dans un automne sans grand vent.

Les lettres sont adressées au Mahdi, le messager miraculeux dont l’arrivée est attendue dans sept ans semble-t-il. La symbolique du chiffre sept et l’imminence de son arrivée justifient la raison du choix du destinataire. Il pourrait être le sauveur, le redresseur de torts, le correcteur d’erreurs, le vengeur juste et bienveillant.

Le lecteur est non seulement impliqué dans l’aveu, le désaveu, le souhait, l’espoir, le désespoir, l’attente et l’incertitude mais aussi informé de qu’il est, initié à ce qu’il est réellement selon May porteuse d’une douleur dont elle n’est point responsable et pour laquelle elle est tragiquement et impitoyablement condamnée . Condamnée à vie d’être en vie, par une famille qui la renie à la mort de sa mère, d’un beau père opérant un soudain revirement, d’un géniteur craignant pour l’héritage de ses enfants et la société la reniant deux fois : l’une d’être reniée et la seconde de la renier pour son statut de fille adultère. Ainsi reniée, May s’en va vers un ailleurs propice à la réalisation de ses ambitions et à son anonymat. « Autrement dit, quitter la maison, la mère patrie, en sortant par la grande porte avec un coup de pied dans les reins. Une vie se termine, une autre vie commence. »[p43)

May, le personnage de « Ad feminam » est cinquantenaire, elle mène un dur combat sur plusieurs fronts. La famille, la maladie, le passé persistant est cuisant par sa brûlure, les besoins matériels quotidiens, la recherche d’un travail.

May s’inquiète, se questionne et quête. Elle enquête sur internet à travers des blogs. Elle suggère des solutions même au Mahdi pour marquer son impuissance à ne pouvoir lutter contre le monde ou le changer. May en appelle aux témoignages de correspondants et prend à témoin le Mahdi de toutes ses préoccupations.

Dans « De May au Mahdi » La religion, les religions, les faits religieux, les courants, les sectes, l’esprit et la lettre de l’islam, les prophètes sont au centre du texte, prisonniers de l’écriture et libérés par elle. Le discours théocritique est d’une subtilité à faire passer les questions les plus audacieuses pour des lieux communs de la commune discussion. La famille, l’homme, la femme, l’ethnocrate caucasien et la beurette, les us et coutumes, les thèmes se multiplient dans une exfoliation délicieusement et intelligemment conjuguée.

La poésie, jalonnant les pages irrégulièrement, parfois pédagogique, ne manque pas de beauté. Elle est sertie dans le journal intime comme une part d’intimité, une alcôve un peu plus profonde, un peu plus révélatrice de l’âme. Elle s’oppose par son style à celui des lettres d’une simplicité et sobriété qui ne nuisent en rien à leur beauté parfois candide et d’autres éminemment pertinentes de réflexions sociologiques, psychologiques, théologiques.

Le journal est verrouillé sur des invocations qui me font dire : « La valeur incantatoire des mots peut-elle générer leur valeur opératoire ? »

Pourquoi ? Parce que May, n’a pas d’ami imaginaire. Son journal est tout de raison et pas sans raisons.

Par Fateh Bourboune

*********************************************************************************

Auteur : Tahar Djaout

Titre: Les chercheurs d’os.

Première édition 1984.
Cérès éditions juin/1994
Une lecture de « Les chercheurs d’os »
Discours sur le discours.

L’ode, la pastorale, le spleen et la ballade.

Ce long poème pastoral, ode à la nature, révèle une logique énoncée dans une sereine et volontaire naïveté. Ainsi le poétique s’épargne le pathétique et sa fonction édulcorante. Le beau est laid sans les allées majestueuses des moindres libertés. La liberté est un affront sans le rouge au front. Par le passé, prisonnière des limites dictées par les aînés, la jeunesse d’aujourd’hui ne quitte plus la selle pour traverser la djemâa.

« Et parfois – comble de sacrilège! – ils ne descendaient même pas de monture en traversant l’espace de la djémâa. » [P6]

Si le regard du narrateur va au-delà du territoire dont il est le reclus, le monde de là-bas lui est tragiquement inconnu pour ne pas dire interdit du fait de l’intransigeance paternelle. « Sa saison en enfer » le fait rêver du paradis, proche ou lointain; ailleurs c’est l’Eden.

Tout au long du texte les toponymes ne constituent qu’un inventaire de lieux à l’accès difficile. Les villages insularisés sont en difficulté de communication. La nature est citée en herbier. Le narrateur connaît le nom de chaque espèce. Il se questionne allusivement sur la sienne. La faune furtive traverse broussailles et taillis en proie convoitée par les pièges du chasseur fureteur et à l’affût. Les fûts sont là, tutélaires, comme des mâts qu’aucune voile ne grée. L’autochtone est un galérien enchaîné à son rafiot faisant corps à son port d’attache, rien ne l’en arrache. Les animaux appartiennent plus à l’ornithologie, à l’entomologie qu’au bestiaire. L’âne et le bœuf, domestiques, sont voués aux sacrifices : le travail ou l’abattage à l’occasion des grands regroupements redonnant voix aux maîtres des cérémonies loquaces, inquisiteurs et bonimenteurs. A l’ombre des arbres, sous les couverts, tout est petit, minuscule : insectes et animalcules volants ou rampants. Le soleil impitoyable, toujours au rendez-vous, terrasse le village en toutes saisons. Le village est l’otage du soleil, sa victime expiatoire. Le village est une colline carcérale, mirador du sommet duquel on observe l’ailleurs à l’horizon proche, cependant inaccessible. Les nuits sont rares, le nycthémère est amputé. L’hiver, saison de prédilection du narrateur se soustrait volontairement et cruellement au cycle annuel.
Le village est figé sous le soleil, tétanisé, il en est irisé et en est la risée. Le soleil s’ébroue et fait la roue dans une tyrannie éhontée. Aveugle, Phébus tient le lieu dans ses rets. Le soleil gèle la vie, la ralentie, la met en hibernation. Il est le maître incontesté à l’instar des maîtres de la seconde pastorale, celle des cheikhs et des saints, des prieurs et des crieurs de destins accomplis aux festins de la quête d’argent et de la bombance. Les dévots, eux aussi sont aveugles, obnubilés par des croyances aberrantes à la dimension de leurs appétits que rien n’obère. Double cécité donc, celle d’un soleil aveugle à la misère de la population et l’aveuglant et celle d’un savoir sans discernement, apanage et rente viagère des gardiens des nécropoles où dorment, bénis, les saints dont ils sont les porte voix et les oracles.

On y lit deux titres faisant référence : « La colline oubliée » et « Misères de Kabylie » on y retrouve ce perfide et entêté soleil camusien.

Dès l’arrivée des camions, précurseurs de la civilisation d’ailleurs, de l’envahisseur, les arbres sous la coupe frénétique des soldats français, disparaissent hâtivement pour laisser place aux campements et à l’érection d’une école par laquelle un nouveau savoir va passer au lavoir les consciences.

Le chagrin de voir disparaître les arbres est accompagné d’une réduction de l’espace : Le village est enclos de fils barbelés. Il le retient et le contient dans de nouvelles limites. Les contraintes sociales sont aggravées par les contraintes coloniales.

Alors les rêves mutent. L’évasion acquiert un sens nouveau. Quitter le village n’est plus un besoin de découverte mais un moyen pour mieux combattre les garde-chiourmes qui le martyrisent. L’aventure prend une autre tournure, elle se nomme héroïsme.

La guerre finie, l’indépendance recouvrée, la tenue à jour du registre obituaire semble vitale : L’honneur de la famille et la manne qui l’accompagne.

« -Da Rabah, à qui donc serviront tous ces papiers que les citoyens pourchassent avec âpreté ?
-L’avenir mon enfant, est une immense papeterie où chaque calepin et chaque dossier vaudront cent fois leur pesant d’or. Malheur à celui qui ne figurera pas sur le bon registre. » [32]

Le titre « les chercheurs d’os » à la consonance de « les chercheurs d’or. » D’or à os, la différence n’est pas grande particulièrement s’il s’agit « d’os d’or. »

Alors commence la ballade cure au spleen, cette nostalgie de l’ailleurs. Le narrateur anonyme quitte son village en compagnie de Da Rabah. Leur quête, une dépouille, un squelette enseveli quelque part : celui du frère du narrateur. Ils vont, pèlerins, de village en village, de village en ville à la recherche du terrain propice à leurs fouilles. Car ces archéologues jaillissent des couches profondes de la préhistoire pour émerger dans une histoire plus récente : la civilisation urbaine qu’auparavant ils ignoraient.

Le périple est sans embûches. Le dépaysement est grand. Les rencontres sont parfois fastes. Les nuits à la belle étoile sont rares. La faim tenaille mais elle est apaisée, frugalement, sobrement grâce aux provisions de bouches transportées à dos d’âne emprunté pour l’occasion avec le sac, la pelle et la pioche, arsenal du chercheur d’or. La générosité de l’hôte occasionnel n’est pas en reste. Moh Abchir, un parvenu, ayant occupé par effraction la villa désertée d’un colon parti, à l’image de ses confrères, précipitamment, sans rien emporter, reçoit les voyageurs en sa demeure. Nourris et logés, ils découvrent l’appétit et la satiété des gens de la ville, leur confort. Est épisodique, le réconfort qu’ils y trouvent.

Tout au long du récit c’est au naturel que les événements se passent, dans leur sévérité originale et leurs intentions premières. La volonté qui préside aux actions des personnages émerge de leur nature. Au naturel ils sont contés, sans fioritures, la nature ignore ces dernières, elle ignore le décorum et le cosmétique, elle ne se grime pas. Elle est belle ou laide d’être, mais elle embellit ou enlaidit les êtres qui l’habitent. Elle se fait on la défait pour défaire les hommes ou pour les refaire. Naturel, le village connaît une dégradation anthropique sous la houlette de gradés de l’armée d’occupation. Les hommes refusent l’avilissement auquel ils sont soumis et que subit l’environnement qui les abrite. Ils quittent l’un après l’autre, discrètement, leur habitat naturel pour aller au combat. Ils meurent, héroïquement anonymes. A l’indépendance leurs corps sont prétexte à une ruée vers l’or. Les chercheurs d’os: Da Rabah et son jeune compagnon reviennent au pays nanti du squelette objet de leur quête pour lui donner une meilleure sépulture, l’inhumer dans le terroir qu’il désirait de toute son âme quitter, pour pouvoir y revenir et faire des labours.

Quoi de plus naturel, quand bien même dans la nature, de laisser la nature humaine suivre son chemin naturel, celui de l’évolution et de l’abandon des traditions contre-nature. Quoi de plus contre-nature que de monnayer les os de vivants partis, écoutant leur nature, combattre ceux qui voulaient transformer la nature des hommes et de leur pays.

Par Fateh Bourboune publié surArts Cultures 3 juillet

*********************************************************************************

Auteur : AMIN ZAOUI.

Titre : Festin de mensonges
Genre : Roman.
Ed, Barzakh, mars 2007.

Présentation du texte.

Ecrit sous le sceau de l’hédonisme au féminin.

Festin sans convives, orgiaque, orgastique initiant une mystique du plaisir dans laquelle Dieu et son verbe sont invoqués pour exprimer l’ascension vers l’apothéose.
Texte de la jouissance sans réjouissances dont le héro est la victime de la libido à fleur de peau de femmes mâtures ne pouvant réprimer les exhortations de dame nature en présence d’un puceau. L’odyssée du puceau au prénom historiquement prestigieux et litigieux, hélé par des sirènes, d’île plaisir en île de plaisir, le mène vers le continent de la luxure et de la licence où il est transformé en pourceau. D’aventure en aventure Kousseila échoue en un lieu où toutes ses aventures de la chair sont réunies sous le même toit : le bordel. En ce lieu de la débauche organisée, il se met une nouvelle fois au service des désirs des femmes non pour satisfaire leur plaisir mais pour accomplir de petites corvées rémunérées.

Réunies dans un lieu unique, tentateur, les femmes se transforment en fille de joie et le lieu en capitale de la débauche. Ainsi est notre planète.

Le bestiaire du texte est réduit aux félinidés et aux canidés. Entre chiens et chats les inimitiés ataviques sont connues. Les deux catégories animales vivent une apparente harmonie dans la mythomanie du personnage. S’ils sont physiquement absents leur présence et épisodiquement anthropomorphique.

« Festin de mensonges » est le roman de l’hérésie transgressive et innovante à la mesure de la fabulation de soi. Y sont introduit La sixième prière et « le huitième ciel » titre d’un roman du même auteur. La sixième prière n’y est pas prévue logiquement et chronologiquement après la cinquième mais après le second office du rite musulman. L’ordre graduel arithmétique est brouillé, la prière surnuméraire n’est ni vigilaire ni surérogatoire, elle est incantatoire, on peut la nommer la prière de l’absent. Elle est celle du retour du père et de sa perte. Le retour du père se fait à l’heure de la sieste. [p47]

Ébauche pour une approche mythocritique de « Festin de mensonges. »

Deux citations :

Daniel Chauvin et Philippe Walter disent dans Questions de mythocritique « la mythocritique est de tenir pour essentiellement signifiant tout élément mythique patent ou latent. »

« Le mythe raconte une histoire sacrée, il relate un évènement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements. » Mircea Eliade. Aspects du mythe. [P16]

« Festin de mensonges » est une fabulation de soi, l’affabulation d’un « je » à travers lequel l’auteur investit sa mythomanie pour « un festin de mensonges».
Tout au long du texte, La véridicité des énoncés est contestée soit par le désaveu immédiat soit par l’interrogation à propos de l’authenticité de l’évènement narré comme vrai. De L’inanité du récit émerge – non dit – le mot parjure.

En effet, Le narrateur se parjure tout au long de son texte. De profane, le parjure s’inscrit dans le registre sacré. L’ensemble des personnages, quelque soit leur confession, agissent à l’encontre des préceptes de leur religion et des bases morales.
Entre le vraisemblable, le vrai et le véridique l’espace du doute est absent. Leur mitoyenneté est sans fracture, sans frontière. Aussi, dans le non lieu de la remise en cause, l’aveu contredit prend l’apparence du non-lieu au sens juridique or, le doute est permis, la graine est plantée, l’esprit est hanté par le dit nié mais redit avec la vigueur de la conviction en d’autres temps proches, en d’autres lieux voisins. La récidive des actions et leur remise en cause par des formules dubitatives ou des négations péremptoires installe une ambiance de parjure rappelant la philosophie du « peut-être » de Jacques Derrida.

Des faits historiques nationaux et internationaux dont l’authenticité est avérée servent d’indicateurs de l’époque. Ils constituent de façon ambivalente le plaidoyer pour la vraisemblance et le réquisitoire de l’accusation. De surcroît, des indices autobiographiques percent çà et là pour égarer le lecteur et le piéger une nouvelle fois entre le fictif et le factuel, entre la dualité et le duel. Le chronotope défie l’invraisemblance.

Enfin, la mythomanie du narrateur et les mythes s’entrecroisent dans un jeu de miroir où le « je » hypertrophié, ramené à modestie par une série de qualifiants dépréciatifs, se reflète et réfléchit le regard du mythe dans le miroir de la mythomanie et vice versa. La mythomanie de l’auteur relevant elle-même du mythe révèle un mythe.

L’Incipit et le mythe des sept dormants.

La référence au mythe des sept dormants [p11] est une amorce rompue par une digression sur les préférences des partenaires sexuels du narrateur. Le narrateur dans sa logorrhée décousue de mythomane en pleine crise mystico-hédonistique, annonce le chiffre sept représentant le nombre des dormeurs dans la grotte et la durée de la guerre de libération. Il passe sans transition du sacré au profane laissant le chiffre fétiche sept piégé entre les deux univers. Le sacré est à lire à deux niveaux : Sacralité du mythe des sept dormants et sacralité de la guerre. La grotte étant le refuge des maquisards.

Le mythe des origines de l’humanité.

Á l’origine fut le meurtre, le fratricide.

Le meurtre originel, le premier fratricide commis par Abel jaloux contre son frère Caïn est cité clairement à l’instar d’autres références religieuses. Il est réitéré tel un leitmotiv, une obsession présidant à l’écriture.

Aussi, La récidive du fratricide originel, atavisme ou résurgence cyclique, réapparaît aux origines de la terre Algérie, paradis retrouvé d’où le démon est chassé. Pourtant, Boumediene destitue Ben Bella à la suite d’un coup d’état le 19 juin 1965 pour prendre sa place à la tête du pays. Le meurtre est politique, la mort d’homme est symbolique, le rival disparaît de la scène. A cette époque le compagnon de combat, le citoyen était nommé frère.

Abel tuait Caïn.
Le sang du frère était versé sur la terre indépendante. [p79]

Le sang est symbolique, les frères sont du même sang.

L’oncle de Kousseïla le narrateur, prénommé Houssinine, ou Hô chi min ébruite et confirme la mort de son frère aux trois prénoms : Safir, Gharib, Salouk, pour lui ravir son épouse Hadile. Louloua est l’instigatrice de la cabale, elle désire jeter sa sœur dans les bras du beau frère. Le mariage a lieu. Symbolique, le meurtre est accompli. Récidive du fratricide originel. L’époux de Hadile, père du narrateur, voyageur invétéré, contrairement à Ulysse à son retour, perd sa Pénélope. Nul chien pour le reconnaître – ses enfants, sa portée, ne prêtent nulle attention à son retrour – il se transforme lui-même en chien vivant au seuil d’un lieu de culte abandonné et y dormant. Les ragots relatifs à sa conversion au christianisme – il réside dans une église désaffectée – achèvent son bannissement. La régression des charges sémantiques onomastiques vient conforter le changement de statut du personnage. Ambassadeur (Safir), représentant officiel d’un état, d’une institution ou d’une cause, il devient étranger (Gharib) pour parvenir enfin à l’état de brigand (Salouk). Le meurtre effectif raté et socialement accompli et réussi.

Á l’origine fut l’inceste.

Roman de l’inceste sans les freins de la hantise de la transgression donc roman de la régression vers les sources originelles de l’humanité afin que Eve puisse soulever le voile de chasteté usurpé qui la pare pour libérer dans la quiétude l’inquiétude de ses instincts naturels.

En effet, Eve ne fut-elle pas synonyme de péché originel ? Toutes les femmes ne sont-elles pas des Ève ? Ève est l’image archétypale de la femme.
Le jeune Kousseila est l’amant privilégié de sa tante Louloua. Erreur ou substitution volontaire louloua eut dû être l’épouse de Safir, Gharib, Salouk. Elle se venge de sa sœur par l’enfant interposé et de l’époux qui aurait dû être le sien.
L’Inceste réel, ou considéré comme tel au vu de l’écart d’âge entre l’enfant et la femme adulte est consommé. Le narrateur passe de douze à quatorze à l’époque du récit, c’est un préadolescent. Ces rapports avec les femmes ne sont ni de son fait ni de sa volonté. Il est le joué de circonstances en des lieux et des moments idoines aux ébats amoureux.

La tentation d’Adam.

Kousseila, le diable au paradis n’est pas malin, il n’est pas le mâlin il est naïf. Il ne tente pas on le dévoie. Il est innocent mais il consent à consommer ce qu’on lui propose. Il répond aux appels de ce dont sa nature de mâle l’a doté. Il ose dès lors que Ève a osé. Ève est de toutes les confessions, musulmane, chrétienne ou juive. Eve est femme, sa nature n’est pas dictée par sa religion. Les religions furent révélées bien après la création et la constitution de la nature humaine. L’enfant connaît autant de concubines qu’en eut Salomon. Elles étaient de toutes confessions et même païennes. Le roi Salomon est au cœur même de la mythomanie de Kousseila.

La damnation.

De « La posture » au sens de Gilbert Durand.

La damnation de Kousseila, sa diabolisation, est le résultat de sa nature. Son entourage décrypte cette dernière aux codes rigoureux de la superstition et le la tradition prophétique. Gaucher, son naturel décide de sa malédiction.
Le texte coranique cite expressément la gauche comme étant la main qui tient le livre et le lieu où se tiennent ceux qui subissent le courroux divin. Or, dans la langue augurale, gaucher est synonyme de chanceux.
Ainsi, houspillé, persécuté, honni par les siens pour un naturel dont il est nullement responsable, Kousseila à de la chance auprès des femmes. Elles se damnent pour le mieux damner.

Le mythe de La fin du monde.

Le mythe de la création ne peut être cité sans celui de sa disparition.
Chaque civilisation à son mythe de la fin du monde. Chaque civilisation a attendu la date fatidique mais aucune ne fut le terme de l’évènement fatal. Selon les musulmans le quatorzième siècle représentait la fin. Or la fin du monde n’a pas eu lieu.
Démythification de l’école.

Roman de l’école où l’ivresse n’est pas celle du savoir, où l’école buissonnière est le lieu clos de l’infirmerie, lieu de restauration des santés éprouvées et du repos convalescent. Roman de l’école niaise où l’apprenant se déniaise au seuil de l’orgie entre les bras de celle qui a pour mission d’assurer le nettoyage. Pertinemment, seul le chapitre 9 ne comporte pas l’expression relative au mensonge. Dans le sanctuaire du savoir on ne ment pas, on dément. On ne sermonne pas on déprave sans entraves.

L’école mise entre les mains des frères musulmans égyptiens est par réaction un lieu de transgression des codes religieux et moraux. Une école du refus, du dés-apprentissage Une école de la rébellion contre le mythe d’un peuple défait par le mythe d’un autre peuple défait ayant à sa tête une femme : Golda Meier. La guerre des 6 jours, la défaite de Nasser servent de réquisitoire contre les égyptiens, une sorte de légitime défense.

Conclusion

« Ne pouvant se réduire à un argument « vrai » ou « faux », l’image, au nom de la raison, est dévalorisée comme incertaine et ambiguë. » Gilbert Durant.

Les faits énoncés sont tout au long du texte mis en échec par le recours à l’expression « les paroles les plus exquises sont celles du mensonge. » ou d’autres expressions semant le doute. Ni vrai ni faux, la vérité falote flotte dans les limbes de l’incertitude Le procédé contrarie non seulement le rationnel mais aussi l’irrationnel. De plus, il légitime le parjure et autorise la contravention pour ne pas dire la transgression.
C’est l’archétype de la pureté originelle qui est mis en doute et en échec. La pureté du paradis adamique fut profanée bien avant la robinsonnade de l’ancêtre de l’humanité puis après avoir été chassé de l’Eden initial. La terre fut le lieu du fratricide et de l’inceste originels. Notre univers profane est enfin de compte à l’image des déconvenues survenues dans l’univers initial dont la pureté mythique est loin d’être en coïncidence avec sa représentation mystique.

Boureboune Fateh

************************************************************************************************************

Auteure : Fatéma Bakhai

Titre : Un oued, pour la mémoire.
Editions Dar El Gharb. 2002 ;

PRÉSENTATION

« Un oued, pour la mémoire » est une exception qui retient tout autant l’attention du spécialiste que celle du profane. Le premier y découvre une technique d’écriture digne d’intérêt et d’étude. Le second s’y initie réellement aux révélations d’un texte que réalise une lecture intelligente sachant utiliser les techniques d’écriture propres au texte en outils de lecture, en code de décryptage.

L’art de construire une architecture du récit en ayant recours à des techniques connues, répertoriées et décrites par les théories littéraires pour, sur-imprimer au texte par la voix et la voie de ses mêmes techniques un second texte typographiquement visible et lisible sans confusion avec le texte prétexte relève je l’avoue du génie.

Récipiendaire du hors-texte espace d’ancrage du lieu et des temps passés et présents, de l’histoire et du récit, la narration en circonscrivant ces mêmes temps et ce lieu dans une chronologie précise explicitement ou implicitement datée et dans un espace topographiquement délimité, territorialisé, fait du récit une page privilégiée d’histoire, isolée du monde et de l’histoire, un lieu insulaire pour y inscrire l’histoire universelle du monde dans son éternité. Le fictif et l’historiographique s’éclipsent alternativement, se voilent et se dévoilent pour imposer la différence et l’analogie.

L’écriture et les techniques d’écriture : les achronies de la narration, la cantique la symbolique, la poétique, la sémiologie, l’onomastique, la fréquence des oppositions dans « Un oued, pour la mémoire »confèrent au texte une épaisseur que le jeu de l’écriture traverse pour en révéler les multiples couches et en décoder le contenu.

Crypté au seuil de l’apocryphe, clair au seuil de la limpidité et de l’anodin, en deux thématiques principales, contiguës mais disjointes à l’image de la coexistence entre colon et colonisé, se prêtant à deux lectures identifiables, le texte dans son unité et homogénéité s’encode et se décode dans une série de métamorphoses où « les dits » manifestes jaillissent pour signifier la présence des « non–dits » marqués pas des ellipses qui loin d’être des blancs sémantiques, des silences, « des absences pathologiques, autistiques »relèvent de la fonction phatique et rédigent « le manifeste de la dignité ».
La rétention informative retient l’attention et suscite la question. Aussi, les ellipses sont-elles des éclipses dans les deux sens du terme : éclipse du colonisé par le colon, éclipse d’un thème par le thème second.

Le signifié déploie sa panoplie de référents de telle sorte que qu’en désignant ce qu’il semble s’être assigné comme objectif, il interpelle un signifié autre à l’origine d’un nouveau référent. A tel point que, c’est dans l’évidence de l’écriture, dans sa visibilité et sa lisibilité, dans sa clarté, que le sens se dérobe et c’est aussi à travers elle qu’il développe sa Poly-isotopie.

La narration traçant sa route abornée par un incipit rétrospectif et un excipit des plus classiques, par ses achronies réalisées sur la trajectoire de l’histoire linéarisée par des dateurs indiciels, situe deux champs distincts par leur objet mais néanmoins semblables par leur nature.

Elle assure ainsi la déroute vers des niveaux d’interprétations où les champs se confondent pour mieux se distinguer l’un de l’autre et, se dissociant, passer de la coïncidence à la rupture puis à la continuité. Les trois époques du récit en sont la meilleure expression.

Les techniques narratives, la romanesque : anachronique et la contique : linéaire, ont une fonction duelle, l’une révélant l’autre par l’évidence de leur opposition pour mettre en situation un duel au sens martial du terme. Les achronies ont trois fonctions : la première est rhétorique dans le sens de persuasion tandis que la seconde sert « le traité de l’absurde ».

Fatima Bakhai en voulant nous convaincre d’une réalité, nous convainc de l’absurdité de cette même réalité tandis que la conviction procède à l’éviction de l’absurde ? La troisième fonction n’est autre que l’émergence du « manifeste de la dignité » s’opposant au « traité de l’absurde ». Remarquable comme la linéarité du contique sans fractures ni dissipation que l’on retrouve aussi dans le narratif de la troisième époque, post indépendance, oppose l’entité, l’unité, la constance à la fragmentation et à la dispersion représentées par les anticipations et les rétrospections.

Singulièrement, les anticipations évacuent le suspens et l’inattendu tandis que les rétrospections comblent la rétention à l’origine des ellipses. L’information retenue parce qu’intime est libérée sous forme de digressions déclenchée par un terme jouant le rôle d’adjuvant.

Les achronies de la narration qui signent le récit en se signalant comme étant son empreinte particulière et privilégiée et qui mettent en exergue la similarité des parcours organisent et président à un jeu d’oppositions au service des deux pamphlets assourdis, lénifiés par la poétique.

En effet, la poétique travestit les deux pamphlets sans trahir les deux réalités qu’ils fustigent ; l’abus colonial et l’abus masculin. En bref, la figure de style joue le rôle de costumier de la laideur, de modérateur d’excès et fait de l’absurde une école où s’apprend la résistance à l’absurde.

Les tropes domestiquent les réquisitoires et réquisitionnent leur violence pou r s’en défaire par la subtilité et la sublimation.

La vraisemblance des personnages, celle des lieux et de la topographie n’est pas à mettre en doute.

Leur anodine réalité, leur banalisation sont une manifestation d’existence, d’authenticité, mais aussi la manifestation d’une présence jumelle et antinomique [éclipse] qui tente d’abstraire cette réalité, de l’annihiler.

Les personnages animés ou inanimés changent de statut, ils se désincarnent ou se réincarnent passant du réel au conceptuel pour aboutir à l’anthropomorphique. Inscrits dans cette progression, tout en attestant l’authenticité de l’histoire, ils transportent le récit vers le monde de l’allégorie et font accéder le singulier au statut de l’universel.

L’allégorique bascule vers le catégorique et vice et versa.

« Un oued, pour la mémoire » est structuré de telle sorte que la narration partant d’un fait concret et observable, d’une manifestation matérielle ou de sa disparition, transfigure le fait même dans et par la métaphore pour ostensiblement l’inclure et l’inscrire dans l’allégorie.
L’allégorie ainsi construite en filigrane sous la surface du récit, en ombre des faits concrets, émerge et brouille la lecture pour introduire un traité de l’absurde neutralisé à son tour par une sémiologie de la transcendance justifiant toutes les justes et dignes transgressions, les justes et dignes revanches se comportant comme des corrections de l’histoire. La revanche n’est en réalité qu’une correction de l’histoire.

Récit de la revanche et de la transgression, « Un oued, pour la mémoire » est un écrit où le signe linguistique puisé dans un code relevant de l’ordre de l’humain, du temporel, a deux aspects, deux origines dont la première est l’œuvre de la seconde intemporelle et transcendantale.

Il est sa manifestation scripturale. Par conséquent, l’écriture présente les deux aspects puisque elle n’est que la manifestation de ces signes : les uns profanes et les autres sacrés. Le texte typographié, le donné à voir et à lire, réceptacle de l’imaginaire de l’écrivaine transcrit dans l’écriture les personnages qu’elle a crées, les techniques auxquelles elle a recours, abdiquent se soumettent et se résolvent à n’être que le décrit d’un Ecrit édicté à sa plume.

L’écriture en tant qu’activité profane est la transcription d’une Ecriture, du c’est Ecrit dans son acception sacrée. C’est de là que le récit en dévoilant la nature sacrée de l’Ecrit qu’il décrit se drape dans la dignité et refuse de s’en défaire quel qu’en soient les circonstances. Le Donné à Lire et un Lu de l’Ecrit Sacré décrit à partir du vécu profane des humains.

Manifeste de la dignité, « Un oud, pour la mémoire » refuse de s’offusquer de l’indignité humaine.
Il s’interdit le désespoir transformé en attente, il bannit le sarcasme et la jubilation.

L’humai y est toujours aux prises avec son destin et n’a de valeur qu’en fonction de la justesse de ses décisions, de ses combats.

C’est sur fond de pages d’histoire contemporaine que des dateurs précis balisent pour connoter le fictionnel au factuel et par un jeu d’oppositions entre le fictionnel et la factuel où le premier anéantirait le second dans une sorte de correction de l’histoire que se développe l’histoire d’une famille sans patronyme mais aux origines centenaire et millénaires.

C’est au cœur de la page d’histoire centenaire de la colonisation s’accaparant l’espace du récit et l’espace des origines, empiétant même sur l’époque de l’indépendance pour ébauche une théorie post-coloniale, que l’histoire millénaire du lieu intemporel est réduite à un conte qu’un grand-père raconte à sa petite fille.
Ce conte, celui de Djaffar, mis en abîme, compression du temps et de l’histoire, traverse le temps mémoriel et le temps du récit investit à la fois dans le lieu et le mémorial « l’immeuble » pour imposer sa démesure intemporelle à la mesure temporelle coloniale ; celle d’Angèle Boissier par exemple comparant la durée de résistance de l’immeuble à son espérance de vie, celle de l’immeuble éphémère comparée à l’éternité d’une nation.

L’histoire du lieu, de l’oued, des lionceaux et de Djaffar ; l’histoire de la colonisation : l’immeuble, Weber et Angèle Boissier ; l’histoire de la famille : grand-père, Aicha , son époux et Mounia, par la vertu du lieu des origines et de l’immeuble intrusif vont se superposer, s’opposer, se fondre et se confondre par un curieux syncrétisme pour finir par cumuler et coaguler les caractéristiques d’une même nature figurative des éléments constituants l’allégorie.

Le lieu des origines dans sa dualité mythique et authentique (pour ne pas dire mystique – puisque le visible sémaphore se mue en mémorial et en mausolée – est le lieu d’un duel mythique et authentique où le mythe – mémoire collective en déperdition – émerge et accède à l’authenticité –conscience individuelle – pour laver l’affront dans un duel authentiquement chevaleresque, digne et sans fracas.

Le lieu des origines est une salle d’armes où inerme le m’aître d’armes instruit le chevalier et procède à l’adoubement.

Texte allégorique et historique, « Un oued, pour la mémoire » est également épistolaire. L’épître met un terme à une polémique dormante aux soubresauts inattendus.

Elle se développe à travers le traité de l’absurde, le manifeste de la dignité et un nombre d’indices flagrants.

L’absurde, l’humanisme et les indices rendent aisée la reconstitution de l’épître et de sa lecture. L’épître est adressée à Albert Camus.

Fateh Bourboune.

************************************************************************************************************
  MA LETTRE A NADIA BIROUK, UNIVERSITAIRE ET POETESSE.

Ma réponse à Nadia Birouk qui dit: »J’aime mourir et renaître dans les mots. »
Nadia, ce coup- ci j’ai réfléchi avant d’intervenir spontanément comme à mon habitude. Depuis hier, pas au commentaire mais est-ce que j’en écrirai un? Pourquoi? Derrière la poétesse ou devant, il y a la spécialiste. Décision prise, j’y vais bon train avec entrain. Que la spécialiste passe d’un territoire à l’autre, de celui des morts, à celui de vivants! [Le subjonctif dans ce cas est modalisateur à plus d’un titre] cependant, dans le no man’s land qu’elle traversera pour changer de lieu, elle devra rédiger  » Le manifeste de la résurrection. » Tuer le mot pour y mourir est une « insurrection » compréhensible, y renaître est une généreuse mais vénéneuse absolution que l’on accorde au dictionnaire puisque on reconnait son insuffisance à se mettre au diapason de l’authenticité de l »humanité. Je comprends qu’il est des mots que l’on se refuserait à prononcer, dont on s’interdirait l’usage si le pacte sémantique n’était pas, semble-t-il définitivement signé malgré le faisceau de sens qu’il déploie. Ce faisceau est un réseau dédaléen où tout se perd, s’égare volontairement. Il est là pour régaler les esprits las, campés dans les espaces de la convention et du commun. A chacun son étage et sa rage de dominer cette dernière. Renaître dans le mot est une révolution difficile. Cette renaissance est la quintessence du paradis ou de l’enfer découvert dans cette mort et de sa durée. Le Dieu sémantique en a des frissons car la résurrection le met au ban, l’assied sur le banc des accusés trop peu rusés pour se défendre d’avoir menti. Galvaudés, évidés, vidés de leur substance réelle, magique ou tragique, certains mots épouvantails ont réuni un attirail, un arsenal pour parer à toutes situations des plus attendues et entendues, aux plus inattendues. Cette renaissance n’engendre pas des fantômes, elle génère [ dans le sens de génération ] des humains nouveaux s’échappant du non-sens conventionnel et conventionné vers le sens d’un devenir à convenir sans le poids des conditionnements réduisant l’authentique rêve à une forme de trêve où la société et la société humaine seraient régies par un code commun. Du clonage hors d’âge de raison, une mise en prison définitive des libertés. [Le dernier point nécessite une étude particulière.] Le destin des mots morts préside à la destinée des vivants. Sans dynamique du devenir, les mots morts tuent définitivement le vivant qui prisonnier de sa mort considérera son état comme un état de vie. Voilà pour le mort-vivant ou le vivant mort qui ne meurt ni ne renaît puisque piégé dans des limbes sans issues et sans secours. Trop long, Nadia, trop long mais je sais que tu as compris et que je suis clair dans mes énoncés. Meurs ! Nadia, c’est ton droit le plus absolu, ton devoir d’indignation, ta témérité de vivant. Renaît, c’est ton droit le plus absolu, a ta dignité retrouvée dans et à travers des mots libérés de leur gangue qu’un gang de malappris rarement surpris à défaut, agglutine autour de vérités premières et dernières sans le souci d’enclore l’existence dans les insuffisances qui l’étouffent pour nous tuer. Tu es aujourd’hui en devoir d’écrire un  » Manifeste de la résurrection » et moi en devoir de rédiger une autre réponse plus technique et plus exhaustive: plus grammaticale et sémantique. Au plaisir de lire de tels shrapnels dans l’univers de la paix des mots qui tuent la vie sans explosion.

Fateh Bourboune

************************************************************************************************************ Auteur: SLIMANE AIT SIDHOUM.

Titre : »LES RÉVOLTES FEUTRÉES »

Chihab éditions 2008.

Une présentation lapidaire du roman de Slimane Ait Sidhoum.
Je l’ai relu d’une traite, de nombreuses cigarettes mais sans halte. Sans hâte non plus. Une écriture savoureuse. Des récits bien menés. Des phrases soulagées de toute lourdeur, réduites à leur fonction d’unités minimales de sens. Cependant, avec brio, elles produisent à l’évidence la volonté de leur auteur. En d’autres termes, le destin de la phrase n’est pas abandonné au hasard des impressions s’habillant de mots à leur convenance pour se dire. Des mots probablement choisis par l’auteur un à un pour chasser toute ambigüité ou extrapolation. Un travail d’orfèvre, du sertissage. De la poésie subtilement tissulée afin de tenir à distance l’horreur de la guerre et les mesquineries des gens.
Roman du mea culpa et de la réparation, le texte n’est ni un procès, ni un procès d’intention. Non plus acte d’accusation, réquisitoire ou plaidoirie. Des faits, de la repentance à l’incipit, de la réparation qu’offre des circonstances singulières à l’exipit. Des revanches simples que des innocents prennent sur l’histoire sans lui rien demander. Justice semble rendue dans un sous-entendu sans malentendu.
Le recours au roman à tiroirs accroît l’impression de sincérité des aveux, des récits des personnages. Prêtant la parole à Idir, Youcef, Si El Hafid et au capitaine Randier, une atmosphère de vraisemblance s’installe pour ne pas dire une impression de réalité.
L’auteur à recours au roman à tiroirs afin de simuler l’autobiographie, d’installer un pacte autobiographique par le truchement du vraisemblable, du « je » développant son parcours. En effet, lorsque le narrateur raconte des faits dont il est le témoin auditif et oculaire, l’autobiographique se profile pour faire de l’ombre au fictionnel, pour le supplanter, y suppléer avantageusement. A ce niveau, le brio de l’auteur, son doigté, son tact en disent long sur son talent.
La saga est abornée de 1910 aux années 1990. La narration traverse l’histoire à trot soutenu et régulier. Le commandant Amer n’y prend pas la parole. Si Hamza le représentera symboliquement mais officieusement à l’incipit. Le capitaine Randier est contacté et questionné. Il a droit à deux interventions.
Tout au long du texte, l’auteur répugne à écrire, à décrire la violence qui sourde a fleur d’énoncé. Il rappelle en cela Mouloud Feraoun dans « la terre et le sang, » Fatéma Bakhai dans « Un oued, pour la mémoire ». Une époque de guerre sans bruits ni fureurs. La fabrication d’armes sans qu’un coup de feu ne soit tiré. Deux chefs de guerre ne s’affrontant jamais dans des combats meurtriers alors que l’un et l’autre vivent dans la même région, la même zone. Amer et Randier agissent en fonction de leurs missions. Soustrayant à la narration la violence coloniale, le mépris total est affiché pour les exactions de la France. Le bourreau est abandonné à sa conscience. L’histoire a tout consigné, les mémoires sont l’hermétique et fidèle réceptacle.
Le premier chef, le commandant Amer, est rusé, dur, rude, sévère, intransigeant, autoritaire, tyrannique, imbu de patriotisme, de nationalisme. Il est pourtant crédule parce que fragilisé par la crainte de la trahison. La crédulité est son pire ennemi, elle le piège, lui fait commettre des erreurs de jugement, il y succombe. Le rusé est abusé. Youcef et Idir en sont les innocentes victimes. Le second, capitaine Randier se pavane dans un humanisme ostentatoire qui ne trompe personne. La population de Derna ne se laisse pas prendre à son jeu. Le capitaine a recours à un informateur, Si El Hafid personnage roué, jouissant de l’estime de Amer. Le double jeu du traitre est éventé par Salem qui deviendra par contre coup l’ennemi à abattre, la cible des cabales de Si El Hafid.
La société kabyle est décrite dans ses mœurs, us et coutumes vénérables ou méprisables sans qualifiants laudatifs ou discrédit. La neutralité du scientifique ou l’objectivité du journaliste y président ne laissant aucune place à la répugnance ou à l’excès. Une pudeur altière empêche l’auteur de juger, de trancher. Il présente les faits et les effets sans questionner la conscience. A la limite de l’écriture béhavioriste chaque personnage portrait physique narre son vécu tel un témoin sincère au prétoire de l’histoire.
« Les révoltes feutrées », contient [du verbe contenir : retenir] des secrets qu’une lecture en profondeur révèle si l’on décode ou connote le général à l’exclusif. Les reliefs du texte en surface sont les indicateurs potentiels d’un texte à lire dans la strate ou les strates.

Fateh Bourboune.

*******************************************************************************
*******************************************************************************

Auteur : Youcef MERAHI.

Titre : Et l’ombre assassine la lumière !
Casbah éditions /2010.

Ébauche pour une approche éthnocritique du texte.
En guise de prélude je m’autorise une citation dont j’ai supprimé une partie par souci de pertinence, je n’en userai pas. La soustraction opérée n’altère en rien la cohésion de la citation et par contre coup sa cohérence.

« Le personnage liminaire.
Notre hypothèse de travail est qu’il y a une homologie structurelle et fonctionnelle entre le rite de passage (Van Gennep) et le récit littéraire. La trajectoire narrative des personnages serait donc l’histoire d’une mise en marge, qui aurait pour objectif de les faire accéder à un nouveau statut. Mais certains d’entre eux se caractérisent précisément par leur incapacité à quitter l’entre-deux de la phase de marge : nous proposons de leur réserver l’étiquette de « personnage liminaire ». Le personnage liminaire est donc toujours un non ou un mal « initié » (à condition de donner à l’ « initiation » une acception strictement anthropologique).
La fonction première de ce type de personnage est sans doute d’être un personnage-témoin, placé simplement au degré ultime de l’échelle du ratage initiatique qu’empruntent tous les personnages du roman moderne. Mais l’initiation impossible lui confère aussi une ambivalence constitutive qui peut faire de lui un passeur pour les autres. Le moins initié devient alors un sur-initié ; dans certains cas même, le personnage liminaire a tout du trickster. »

DE L’INDIGNATION COMME FACTEUR DÉCLANCHANT DU RITE DE PASSAGE.

J’ai assenti à l’insistant besoin de relire « Et l’ombre assassine la lumière ! ». Impérieuse mission née d’une circonstance particulière éprouvante pour bon nombre. L’auteur de ce texte, Youcef MERAHI, il est vrai , était déjà dans mes chantiers, cependant, Le souvenir de l’assassinat de Tahar Djaout en a déclenché l’extraction du livre de l’étagère.

Le roman se compose de deux parties. Chacune étant réservée au « rite de passage « du personnage principal : Boussad pour la première partie, Farid pour la seconde.
Les titres donnés aux chapitres engagent immédiatement le lecteur non seulement dans un inconditionnel contrat de lecture mais de plus le guident dans les étapes du parcours initiatique des personnages, « leur rite de passage ». Le lecteur se sent investi ou s’investit d’emblée.
Les titres des chapitres de la première partie relèvent du registre existentialiste. Ils mettent précocement le lecteur dans une ambiance impressionniste. Ceux de la seconde partie par contre, évoluent dans une gradation ascensionnelle dont l’aboutissement est la conséquence logique du parcours initiatique de Farid, indigné par l’extrême indigence de sa famille, récupéré, initié et utilisé par un recruteur manipulateur, en d’autres termes « un passeur au second degré» qui le met entre les mains du commanditaire « Passeur au 1er degré ». La gradation accompagne la propension du meneur de jeu et de celui dont il se joue. L’ascendant du manipulateur « passeur » activant l’ascendant du manipulé « passant » sur son milieu immédiat : sa famille et le milieu scolaire. Le rite de passage relève d’un protocole rigoureux. Dispensé en lieu clos la halaqua et la mosquée, et agissant en milieu clos. Farid, « le passant » devient inévitablement « passeur » Il est le passeur de sa famille.
Le personnage de la première partie, Boussad, de part sa profession, enseignant en littérature comparée, convie le lecteur à une lecture comparée des deux parties du texte. L’auteur se fait pédagogue et « initie » le lecteur à la lecture de son texte.
L’indignation De Boussad, le professeur de littérature comparée le mène à l’indignité et à la précarité tandis que pour Farid, elle le mène vers une forme de dignité que confèrent l’aise et l’appartenance à un clan d’humanisme et de puissance puisque ce dit clan est allé à son secours. Farid, grâce à son rite de passage s’arrache à la précarité de son existence pour un meilleur confort matériel. Il retrouve pour lui et pour sa famille une dignité factice cependant conçue comme valeureuse.
Deux indignations distinctes face à des sorts tragiques : Boussad est révolté par l’assassinat de Tahar Djaout. Farid est révolté par les aveux durs et rudes de sa mère et une existence au-dessous du seuil de l’indigence. Mais Boussad est victime de son indignation : d’une part il devient la cible du terrorisme et d’autre part, il entame une désescalade. Tandis que l’indignation arme le bras de Farid chargé de mettre un terme à la vie d’un autre indigné, en l’occurrence Boussad.
Le premier, Boussad, par instinct de survie quitte Tizi- Ouzou pour Alger. De crainte d’être surpris dans son apparente déchéance, il abandonne Alger pour Oran. A Alger, un chef de gare, nommé H’mida, l’aide à monter à bord d’un wagon de marchandises. Le nom de H’mida, devant servir de sauf conduit a Boussad en cas de difficultés tout au long de son voyage. Nul n’ignore la/les charge/s sémantique/s du nom H’mida dans l’esprit du commun. Le passager clandestin a son blanc seing, sa patte blanche. H’mida l’aiguilleur se transforme en « passeur ». Boussad, n’est plus « un vagabond du rail ».
A Oran, Boussad au premier jour de son arrivée est défendu, pris en charge, intégré et initié par un autre sdf nommé Kada. Kada, Boussad et Vinou forment un trio soudé. Trois existences assumant avec beaucoup de philosophie leur descente aux enfers. Chacun des trois avait une profession digne. Ils vivent leur indignité en espace ou vert derrière le marché Garguinta.
Boussad reçoit son nom de baptême de Kada. A son prénom vient s’ajouter, pour couronner son adoubement celui de « Laswed ». L’auteur mime par ce procédé l’onomastique de Tahar Djaout, en recourant à l’euphémisation de la destinée, de la qualité ou du connoté par le patronyme ou le prénom.
A Oran, Boussad à un second parcours initiatique, « un rite de retour », de réhabilitation, un désapprentissage et un réapprentissage. Sa rencontre avec Samra change le cours de sa vie. Elle l’aide à réapprendre à vivre, à reprendre pied dans la vie.

Le professeur de littérature comparée, compare aussi les villes.
Tizi-ouzou « est une métropole qui rappelle une femme, jadis belle mais qui se néglige désormais. Elle a le même peignoir depuis les années soixante-dix. [p11] Boussad l’a quittée. Sa mise en marge est double : sa dépréciation de la ville et son statut de victime expiatoire.
Alger est : « comme une femme fardée, semble belle. Mais il n’y a qu’apparence et sortilège. Si cette ville est propre, elle a oublié de se laver les pieds. » [p33] Boussad l’a quittée. Sa mise en marge est double : sa dépréciation de la ville et se crainte d’y être reconnu.
Oran. Oran la voluptueuse, la jouissive, la mer cap


Nadjib Stambouli : Ma piste aux étoiles

$
0
0

Auteur : Nadjib Stambouli.
Titre : Ma piste aux étoiles.
Genre : Recueil de portraits.
Editions : Casbah. 2015. 117 pages.

La clarté de l’écriture de « Ma piste aux étoiles » me met en devoir de prohiber le terme d’ambiguïté. J’allais en faire usage pour traiter de deux éléments para textuels de la première de couverture : Le titre et l’illustration.

L’illustration est mise en exergue au-dessus du nom de l’auteur suivi du titre. Un rectangle occupant le tiers de la page présente sur un fond de ciel crépusculaire aux nets dégradés où le rougeoiement du soleil couchant est remplacé par un vaporeux vert pâle ; une sorte de comète ou d’astéroïde anthropomorphique relié à la terre par d’étranges racines plus ressemblantes à des lianes, à des liens.

Le déplacement de l’objet extra-terrestre à forme de tête humaine est suivi d’une queue de comète aux couleurs se défendant d’être celles d’une flamme. La tête d’apparence humaine nous interpelle à son humanité par la présence d’un œil surmonté d’un sourcil et d’une narine. Plus loin, trois peupliers en perspective, espacés par des intervalles réguliers nous mènent vers le lointain. Le ciel encore clair ne s’autorise aucune étoile.

L’engin anthropomorphique extraterrestre donne à la fois l’impression du mouvement et celle de la fixation au sol par une sorte d’ancre.

Le titre se prête à de multiples interprétations alors que d’emblée, il laisse supposer flons- flons, paillettes et strass d’une piste de cirque ou d’une représentation ronflante dans quelque cabaret huppé de Paris ou de Brodway.

L’exergue de l’illustration met systématiquement en opposition l’image et le titre. Le contrat de lecture est cependant signé : l’illustration est une dénégation du titre et vice et versa ou une démystification et une démythification.

Nadjib Stambouli ne brode pas dans le way, c’est dans le clair-obscur de temps durs qu’il refait le parcours l’ayant conduit à l’étoile, l’ayant conduit vers chacune d’elle. Ill balise dans la brièveté de l’étoile filante, dans le ciel d’ici-bas des artistes, les heures heureuses, les heures tristes, les heures chaleureuses ou frileuses et les combats toujours gagnés alourdissant le panier artistique souvent vide de victuailles.

Nadjib Stambouli nous révèle pas à pas l’investissement réalisé dans le déterminant possessif « Ma » et tout ce que « piste aux étoiles » à de réellement merveilleux et de sérieux très loin de l’idée d’une piste où les clowns succèdent aux acrobates.

S’il s’agit en effet des gens du spectacle et de la presse, des gens de scènes et d’écran, des gens de plume et de pinceau, du chatouilleur de cordes de mandole et subtile parolier et pour verrouiller la magistrale revue, Mahboub Stambouli, père de l’auteur des articles; chaque personnalité est un astre original dans l’harmonieuse et originelle constellation de l’univers de l’auteur.

Si le déterminant possessif « ma » induit l’élection par la sélection, il est déterminatif d’un parcours, d’un cheminement vers et entre les astres de la pléiade.

« Ma piste aux étoiles » pas la vôtre, pas la leur, nous dit Nadjib Stambouli. Il ne s’agit pas non plus d’extraterrestres maintenus dans un monstrueux exil entre ciel et terre comme on veut les présenter, comme l’on prétend qu’ils furent, mais des astres connus, visités, familiers, grands par leur art et commun par leur simplicité.

« Ma piste aux étoiles » Ma piste, Mon chemin de Damas, Mon cheminement salutaire, Mon sentier, Mon parcours, Mes haltes, Mes astres, les astres qui ont balisé Ma route de pèlerin de l’art et des arts.

Objectivement testimonial ,chaque article précédé d’un portrait au fusain, nous informe que suffisent à l’éloge les réalisations de la personne citée.

La grandeur d’âme de l’auteur, sa simplicité, rehaussent la grandeur de chaque personnalité objet d’article.

Nadjib Stambouli, n’a pas tenté de glorifier ses ami/es, il leur a rendu un juste hommage ouvrant grande la porte aux biographes paresseux, les invitant à les honorer.

Fateh Boureboune


L’héritage colonial de la francophonie

$
0
0

Couverture du cahier scolaire par G. Daschner, vers 1900.
Alors que se tiendra les 19 et 20 novembre de cette année le seizième sommet de la francophonie à Antananarivo, François Hollande a évoqué lors de son récent voyage en Égypte et au Liban l’importance d’encourager et soutenir la diffusion de la langue française dans ces pays. Retour sur l’origine coloniale de ce prosélytisme.

Au cours d’un point de presse organisé au musée copte du Caire le 18 avril, François Hollande a déclaré : «  La francophonie n’est pas un cadeau simplement de ceux qui parlent français. La francophonie c’est un combat, un combat pour des valeurs, un combat pour la culture, un combat pour la diversité. Nous voulons donc ici, à l’occasion de cette visite d’État, promouvoir la francophonie  »1.

Les mots qu’utilise le président ne sont pas sans rappeler la rhétorique qu’employaient les élites françaises du XIXe siècle pour justifier la colonisation. La langue française, la langue d’une nation civilisée pour faire sortir le colonisé de sa barbarie primitive, la langue française comme un don «  humanitaire et civilisateur  » pour reprendre la formule de Jules Ferry. La francophonie en cadeau, une antienne qui date de l’époque coloniale.

Définir la langue française comme «  cadeau  » revient à jeter un voile sur la façon dont elle fut introduite dans bon nombre de ces territoires dits francophones. C’est lui ôter son histoire et son rôle dans le processus colonial. Prenons le cas de l’Algérie où la langue française n’est pas une langue innocente : le français, «  une langue installée sur la terre ancestrale dans des effusions de sang  !  », écrit Assia Djebar dans L’Amour, la fantasia (Le Livre de Poche, 2001  ; p. 300). L’histoire de la langue française en Algérie débute avec le débarquement des flottes françaises le 14 juin 1830 à Sidi-Ferruch (actuel Sidi-Fredj,) qui annonce cent trente ans de colonisation française. Comme le rappelle l’écrivaine algérienne d’expression française, ce n’est pas par les œuvres de Pierre de Ronsard ou de Jean Racine que les Algériens sont entrés dans la langue française, c’est la langue française qui est entrée par effraction en Algérie : la langue française, qui jouit d’une image romantique – la langue de l’amour, dit-on — qui lui permet de rayonner dans le monde, a été, en Algérie, «  imposée dans le viol  ».

La «  mission civilisatrice  » de la France
Couverture du Petit Journal, novembre 1911

La langue française était un outil au service de la colonisation. Une partie des colonisés était formée en français, «  la langue des autres, celle des colonisateurs, ses maîtres  », la langue de l’école coloniale :

Le français donc, celui de l’école, celui de
«  nos ancêtres, les Gaulois  », or ils n’étaient
pas «  nos ancêtres  », et ils n’étaient pas
Gaulois  !

Mes, nos ancêtres parlaient, ou criaient,
ou chantaient en arabe, en berbère, en…
Quelle importance, puisqu’ils n’écrivaient
pas, ou plutôt qu’ils n’écrivaient plus,
ils faisaient la guerre ( du moins,
dans les récits de nos grands-mères  !).

Ma grand-mère, en arabe, racontait aux
enfants autour d’elle, la guerre, les otages,
l’incendie des oliviers, à la zaouïa.
À l’école française, l’institutrice — venue
de France — racontait Charlemagne, et même
Charles Martel à Poitiers…

confie Assia Djebar dans un poème2.

Au cœur de la stratégie assimilationniste coloniale

La langue française qui était présentée comme la langue «  civilisatrice  » était en réalité «  la langue colonisatrice  », ainsi que le rappelle Albert Memmi dans Portrait du Colonisé (Payot, 1973  ; p. 163). On pourrait même parler de «  langue aliénatrice  » en ce que «  la mémoire qu’on lui constitue [le colonisé scolarisé dans une école coloniale, dans le cas présent, école coloniale française] n’est sûrement pas celle de son peuple. L’histoire qu’on lui apprend n’est pas la sienne  ».Dans Le chant du lys et du basilic ( éditions de la Différence, Paris, 1998  ; p. 89), Latifa Ben Mansour explicite cette tentative de colonisation de l’esprit dont la langue française était le corps conducteur :

À l’école coloniale, on voulait mater son esprit, le laver, l’aseptiser pour qu’il en sorte une petite Française incollable sur les batailles de Poitiers, d’Alésia et de Waterloo. Incollable sur les noms des plus grands poètes et écrivains qui virent plus que les généraux la gloire et le prestige de la France, la mère patrie.

La langue française était, dans ce passé à portée de mémoire, la langue des valeurs coloniales et racistes  ; c’est dans la langue française qu’était enseigné aux petits Algériens que René était intelligent, et Ali, bête comme un âne, ainsi que l’exposait un manuel scolaire de l’époque coloniale qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux3. La promotion de la langue française en langue de la civilisation entrait dans une stratégie ethnocidaire.

«  Ali est un âne  »

Nulle diversité selon Assia Djebar qui fut élève d’une de ces écoles, bien au contraire, elle avance dans son discours de réception à l’Académie française :

Passionnée, étais-je à vingt ans, par la stature d’Averroes, cet Ibn Rochd andalou de génie dont l’audace de la pensée a revivifié l’héritage occidental, mais alors que j’avais appris au collège l’anglais, le latin et le grec, comme je demandais en vain à perfectionner mon arabe classique, j’ai dû restreindre mon ambition en me résignant à devenir historienne. En ce sens, le monolinguisme français, institué en Algérie coloniale, tendant à dévaluer nos langues maternelles, nous poussa encore davantage à la quête des origines.

Dévaluation jusqu’à une utopique destruction. Léopold de Saussure dans Psychologie de la colonisation française dans ses rapports avec les sociétés indigènes (Félix Alcan, 1899  ; p. 168) révélait déjà, au tournant du XXe siècle, cette stratégie ethnocidaire : «  l’importance prépondérante que les assimilateurs attachent à la destruction des langues indigènes  ». La langue française n’est pas un «  cadeau  » anodin, offert dans le désintéressement le plus total, mais la trace d’un traumatisme historique.

«  Diversité  » à sens unique

Lorsque François Hollande dit : «  Nous voulons donc ici, à l’occasion de cette visite d’État, promouvoir la francophonie  », il montre que la langue française est l’apanage du politique et non seulement du culturel. La langue française continue d’être institutionnalisée et instrumentalisée, même si l’empire colonial n’est plus, elle demeure un instrument politique. Depuis la fondation de la Ve République, dix-sept entités gouvernementales – ministères ou secrétariats d’État — responsables de la francophonie ont été constituées. Force est de constater cette singularité française de vouloir administrer politiquement une langue et sa diffusion. Sur ces dix-sept entités gouvernementales, quinze ont fait — font — partie du ministère des affaires étrangères, c’est peu dire que la diffusion de la langue française se confond avec la protection des intérêts de la France à l’étranger. Ce n’est certainement pas le fruit du hasard si l’Algérie, ancienne colonie française, ne fait pas partie de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) bien que constituant la seconde communauté francophone après la République démocratique du Congo.

La francophonie est présentée comme diversité, pluralité, richesse, symboliquement «  récompensée  » par l’élection à l’Académie française de francophones comme l’Algérienne Assia Djebar en 2005 ou le Libanais Amin Maalouf en 2011. Cependant, ces consécrations symboliques ne reflètent pas la vérité de l’étude des littératures dites «  francophones  » en France. Selon le paradigme de l’université française, est écrivain francophone tout écrivain non français qui écrit en français. Il est à noter que lorsque l’université française parle d’«  études francophones  », dans le monde anglo-saxon on évoque les «  postcolonial studies  ». Sous couvert de la langue, encore une fois, sont tues les tensions historiques et politiques. La diversité de la francophonie n’apparaît, par exemple, pas du tout dans les programmes des concours français de l’enseignement : il n’y a jamais eu d’écrivains nord-africains ou proche-orientaux de langue française dans les programmes du concours de l’agrégation de lettres modernes, et un seul dans les programmes des écoles normales supérieures : Kateb Yacine et son roman Nedjma, et ce en 2009 seulement. L’absence de ces écrivains dans les concours de l’enseignement est éloquente, elle annonce leur absence dans l’enseignement en France et dans le bagage culturel des élèves des collèges et des lycées de France.


Pour une reconnaissance du génocide algérien

$
0
0

Libération pour certains, massacres pour d’autres. Le 8 mai 1945 est le symbole de la répression française avec les massacres de Sétif et sa région en Algérie encore française. Ce fut une goutte de haine qui fit déborder un vase déjà bien rempli du sang des « indigèrnes », car il convient de le rappeler : avant les évènements de Sétif, c’est tout une politique génocidaire s’étalant sur plus d’un siècle qui avait été mis en place par « les émissaires de la Civilisation ». A l’heure où la France, pays des Lumières et des Droits de l’Homme dit-on, s’entête à faire reconnaître le génocide arménien par la Turquie, cette dernière n’a pas encore accordé le statut de génocide à ce qu’elle a fait en Algérie. Et pourtant : camps de concentrations, chambres à gaz (artisanales), massacres de masses inopinés… tout les ingrédients sont là.

ÉPISODE I : LA POPULATION ALGÉRIENNE DÉCIMÉE : UNE VOLONTÉ GÉNOCIDAIRE

Contrairement à une idée reçue, les massacres « d’Indigènes » n’ont pas commencés à partir des massacres de Sétif, mais ils ont bel et bien eu lieu dès que les soldats « de la civilisation » foulèrent le sol algérien. En effet, bien que la politique française aurait dû reposer sur l’engagement du général de Bourmon lors de la prise d’Alger le 5 juillet 1830, lequel stipulait que « l’exercice de la religion mahométane restera libre, la liberté de toutes les classes d’habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerces ne recevront aucune atteinte . Les femmes seront respectées », il n’en fut rien. Deux mois plus tard, le nouvellement investi général Clauzel inaugura la politique de non-respect de la parole donnée à l’Islam. Ainsi, la trahison de l’engagement donna engrangea la révolte des trahis, ainsi commença la « pacification » de l’Algérie, ainsi commencèrent les massacres de masses:

Les premiers massacres de masses commencèrent dès les années 1830

Les premiers massacres de masses commencèrent dès les années 1830

Un officier et diplomate présent sur place, Edmond Pellissier de Reynaud affirma que

Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; tout ce qui pouvait être pris fut enlevé, on ne fit aucune distinction d’âge ni de sexe. Cependant l’humanité d’un petit nombre d’officiers sauva quelques femmes et quelques enfants. En revenant de cette funeste expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances et une d’elles servie, dit-on, à un horrible festin

Les témoignages d’officiers sont nombreux, tous plus effroyables les uns que chez les autres et, au-delà du crime contre l’humanité, attestent de la volonté génocidaire des conquérants et du caractère systématique de l’entreprise exterminatrice. Ainsi, La chasse à l’homme fut le titre de l’ouvrage du Comte d’Hérisson, tandis que dans ses Lettres, le lieutenant-colonel de Montagnac démontre clairement son projet d’extermination :

Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que, s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils reçoivent une volée de coups de plat de sabre.

Face à la résistance algérienne, l’anéantissement et la déportation étaient les solutions proposées par Montagnac :

Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot en finir, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens…

Dès 1842, le caractère génocidaire fut reconnu par le Gouverneur général de l’Algérie lui-même, Bugeaud, qui justifia toutes les exactions commises par les troupes françaises, en affirmant :

Il n’y a pas d’autres moyens d’atteindre et de soumettre ce peuple extraordinaire.

Parlant de la guerre exterminatrice menée en Algérie par l’armée française, le colonel de Saint-Arnaud affirmait quand à lui:

Voila la guerre d’Afrique ; on se fanatise à son tour et cela dégénère en une guerre d’extermination.

Loin d’être le seul fait des militaires, la volonté d’extermination fut aussi un phénomène chez les colons. Ainsi, le docteur Bodichon publia en 1841 dans un article les lignes suivantes :

Sans violer les lois de la morale, nous pourrons combattre nos ennemis africains par la poudre et le fer joints à la famine, les divisions intestines, la guerre par l’eau-de-vie, la corruption et la désorganisation […] sans verser le sang, nous pourrons, chaque année, les décimer en nous attaquant à leurs moyens d’alimentation.

Le génocide des algériens fut même légitimé par des penseurs dits républicains. Ainsi, un certain Victor Hugo commenta en 1841 les exactions en Algérie par ce qui suit, sous forme de réponse à un Bugeaud qui semblait en manque d’enthousiasme colonial:

Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit, je ne chante qu’Hosanna. Vous pensez autrement que moi c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur.

Tel un BHL prêchant le chaos dans le monde arabe, Alexis de tocqueville s’exprima lui aussi sur le sujet en ces termes sur le sujet, toujours en 1841 :

J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. […] Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux.

Pour l’auteur, cette légitimité est due au fait que les Indigènes n’étaient pas pour lui des hommes à part entière. Aussi, toutes ces des principaux acteurs et témoins de la conquête de l’Algérie illustrent les projets génocidaires des autorités coloniales françaises ainsi que de sa légitimité morale par certains « grands » (?) penseurs de l’époque.

Pour se donner une idée de la portée de ces massacre, il faut se référer à l’étude démographique qu’en a fait le docteur Ricoux, lequel considérait dans sa Démographie figurée de l’Algérie que la « race inférieure » et « dégénérée » que composent «les indigènes […] sont menacés d’une disparition inévitable, prochaine. »

A notre arrivée, en 1830, la population indigène était évaluée à trois millions d’habitants. Les deux derniers recensements officiels, à peu près réguliers, donnent en 1866 : 2.652.072 habitants, et en 1872 : 2.125.051 ; le déchet en 42 ans a été de 874.949 habitants, soit une moyenne de 20.000 décès par an. Durant la période 1866-72, avec le typhus, la famine, l’insurrection, la diminution a été bien plus effrayante encore : en six ans il y a eu disparition de 527.021 indigènes ; c’est une moyenne non de 20.000 décès annuel mais de 87.000 !

Si l’on en croit les chiffres, la France aurait donc enlevé la vie en toute impunité à presque un million d’algériens en à peine plus de 40 ans d’occupation. D’autres chiffres affirment que de 1830 à 1856, la population algérienne passa d’environ 5 à 3 millions d’habitants à environ 2,3 millions. Par la suite, elle remonta jusqu’à 2,7 millions en 1861 avant de connaître sa chute la plus brutale à 2,1 millions d’habitants en 1872. La population algérienne ne retrouva son niveau d’environ 3 millions d’individus qu’en 1890.

En se basant sur ces chiffres, nous pouvons établir que l’Algérie a perdu entre 30 et 58% de sa population au cours des quarante-deux premières années (1830-1872) de la colonisation française. Un tel désastre humain, volontairement provoqué et mis en avant par une autorité politique responsable, ne peut être qualifié au regard de l’histoire que par le terme de génocide.

Pour rappel et à titre de comparaison, les nazis exterminèrent 46% de la population juive européenne (environ 5,1 millions sur une population de 11 millions) et 33% de la population tzigane (environ 250.000 sur une population de 750.000). Donc quand François Hollande affirme que la France reconnaît tous les génocides, François Hollande ment.

La période de conquête génocidaire céda sa place à une période d’oppression généralisée du peuple algérien qui prit la forme d’une politique de destruction de l’identité culturelle et civilisationnelle. Ainsi, les autorités françaises s’attaquaient prioritairement à l’islam en Algérie et à la langue arabe qui fut déclarée langue étrangère dans son propre pays. Les réseaux d’enseignement que composèrent les mosquées furent largement détruits.

Le 8 mai 1945et les milliers de victimes qui l’accompagnent ne marquent finalement que la reprise de cette boucherie, avec une nouvelle ampleur : massacres, viols collectifs, tortures systématiques ou internement de populations civiles dans des camps de « regroupement », etc. Dans sa lettre de démission adressée à Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, le secrétaire général de la police d’Alger, l’ancien résistant Paul Teitgen, qui avait été torturé par la Gestapo, n’hésita pas à comparer l’action des militaires français à celle de la police secrète du Troisième Reich.

Au total, cent trente deux ans de colonisation française en Algérie (1830-1962) aurait fait, selon l’historien Mostafa Lacheraf, environ 6 millions de morts algériens.

Aujourd’hui, le seul pays qui demande que ce génocide soit reconnue est la Turquie, par la voie de son président Recep Tayep Erdogan, en réponse à un Nicolas Sarkozy très virulent sur la question du « génocide » arménien.

PROCHAIN ÉPISODE (à paraître prochainement):

« EMMURAGE, ENFUMADE, CAMPS DE CONCENTRATION : LES OUTILS DE L’HORREUR »

 

TORTURES ALGÉRIE

Par David BIZET

 


Dormir dans tes bras

$
0
0

Laisse-moi encore dans tes bras,
Blottie ainsi dans la douceur de ta chaleur,
Laisse-moi rêver et sombrer mon amour,
Dans les bras de Morphée j’oublierai,
J’oublierai la nuit en fuyant le jour
Laisse ma tête sur ta poitrine,
Entendre les battements de ton coeur,
Est un véritable et sublime bonheur,
Ne me réveille pas je t’en prie,
Je veux passer ainsi la nuit.

Belabed Zahrat leqloub.


Hier, ce matin et demain

$
0
0

Hier tard dans la nuit noire, je me suis endormi avec ton image.

Je contemplais tes paroles écrites sous mon clair de lune

comme des étoiles, j’y lisais ton âme dans la mienne

libre, sauvage, et désespéré

qui recherchait dans ton regard d’ermite

le mystère de l’éternité.

 

Ce matin à l’aube,  je me suis levé avec ton visage

ton regard étais le seul à peupler mon univers

de roses rouges, de vins, et de magnificences,

de couleurs émeraudes, d’onde, et de tendresses

de senteurs exaltantes, de fontaines, et de symphonie

de cris, de vers, et de silences

 

Demain en plein jour,  j’irais m’ensevelir dans ton rivage

mon visage couvert de ta chevelure

mon regard fermé sur tes yeux

mes bras tout autour de ta poitrine

pour engloutir mon étoile dans ton éternité

et ma bouche dans ton immortalité

Omri !

 

Jamouli


Viewing all 127 articles
Browse latest View live